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Romains et Barbares façon Marini

A la croisée de deux univers, Arminius et Marcus.

Mettant entre parenthèses le «Scorpion» et autres «Rapaces» qu'il dessine avec brio, Enrico Marini se lance dans une nouvelle série: «Les Aigles de Rome».

Une plongée dans le chaudron germano-romain dont Marini signe le dessin et, c’est une première, le scénario.

Le monde sauvage et brutal des Germains. Le monde policé et cruel des Romains. A cheval sur ces deux univers, deux jeunes gens, Arminius, fils de prince barbare et otage des Romains, et Marcus, fils d’un chevalier romain et d’une femme barbare.

A travers ce 1er tome des «Aigles de Rome», on assiste à la construction de ces deux personnages. Entre eux, la haine va se transformer en amitié.

Cela au fil des entraînements guerriers et des initiations érotiques avec diverses beautés, esclaves ou romaines. Le dessin brillant de Marini a toujours su s’attarder sur les corps sculpturaux…

swissinfo: Pourquoi avoir fait le choix, maintenant, de passer pour la 1ère fois à l’écriture d’un scénario?

Enrico Marini: Si tard, vous voulez dire! J’ai toujours aimé participer un peu à la création de mes séries. Et l’envie d’écrire moi-même remonte à quelques années. Une envie de liberté, et une sorte de défi: voir si j’étais capable de le faire! J’avais envie de développer mes envies, ce qui est toujours un peu difficile quand on bosse avec un partenaire. Avec un scénariste, c’est comme dans une vie de couple, il faut faire des compromis, et pour une fois, je n’avais pas envie d’en faire.

swissinfo: Quand on travaille à d’autres séries, il faut aussi trouver le bon créneau pour créer un nouveau projet!

E.M.: J’ai pris mon temps. J’ai accumulé un maximum de documentation, lu beaucoup de choses sur l’époque. Il y a quatre, cinq ans que j’ai commencé à avoir de vagues idées sur ce projet. A côté du «Scorpion» ou de «Rapaces», j’ai pris des notes… Puis j’ai pu prendre une année pour me consacrer vraiment au premier album des «Aigles de Rome».

Il faut le temps d’écrire, puis de dessiner. Il y a 4 ou 5 tomes prévus, j’en ai écrit à peu près 3, et 2 sont découpés. J’ai privilégié l’écriture avant de me mettre au dessin. Et comme ce premier tome est plus long qu’un album standard, il a 56 pages, le dessin a représenté six à sept mois de travail.

swissinfo: Se lancer ainsi dans un nouvel univers historique, qu’est-ce que cela implique en termes de documentation, de recherche ? Dans quoi se plonge-t-on?

E.M.: Dans tout ce qu’on trouve. J’ai lu autant les historiens romains – Tacite, Suétone – que des recherches historiques actuelles, et accumulé beaucoup d’illustrations. Depuis deux trois semaines, je suis en plus en contact avec un historien qui fait de la reconstitution, ce qui est très utile quand on n’est pas un expert.

Mais disons qu’à la base, pour moi, avant même le cadre romain, il y avait l’envie de raconter cette histoire difficile entre deux amis, qui sont chacun dans un camp opposé. C’est donc peut-être plus un film comme «Il était une fois en Amérique» de Sergio Leone qui m’a amené à traiter ce sujet. Puis je l’ai transposé dans la Rome antique.

Mais c’est une histoire universelle. On aurait pu la transposer pendant les guerres napoléoniennes… Quoique le personnage d’Arminus, le Barbare, a vraiment existé. Mais on ne sait pas grand-chose de lui, sinon qu’il était aussi citoyen romain, officier dans l’armée romaine, et qu’il a un jour trahi les Romains.

swissinfo: Choc culturel entre Romains et Germains… On ne peut s’empêcher de penser au fait que vous êtes Italien né et vivant en Suisse allemande. Cela a compté dans l’affaire ou c’est anecdotique?

E.M.: Je connais un peu la culture germanique – j’ai fait l’école en allemand, je regarde la télé en allemand, mais je suis Italien. Il est vrai que je me suis senti parfois déraciné. Ni 100% italien, ni Suisse! Cela a certainement une petite influence dans la psychologie que je transmets, inconsciemment, à certains de mes personnages.

Celui de Marcus Falco, qui a une mère barbare et un père romain, sur ce plan-là, est certainement plus fragile qu’un Romain qui est 100% romain. Ou que l’autre personnage, barbare, qui est otage des Romains, et utilise ce statut pour en apprendre un maximum sur l’ennemi de son peuple.

swissinfo: Les dialogues, parfois, étonnent. On s’y traite de «connard» de façon très contemporaine…

E.M.: Ce sont des adolescents qui parlent. L’un est d’origine barbare. L’autre est fils de chevalier, mais a grandi à la campagne. Le peuple ne parlait sans doute pas comme Cicéron. Je voulais une écriture plus crue, plus moderne. Un peu comme dans la série télévisée «Rome». Et puis il fallait que cela me corresponde! Mais ils ne vont pas parler comme ça toute leur vie. Ils vont grandir!

swissinfo: Marini, un goût certain pour la violence virile et surtout pour les femmes sculpturales et désirables…

E.M.: Oui. Dans l’Antiquité, il y avait du sexe et de la violence. Ce qui apporte évidemment beaucoup de ressources graphiques. Pourtant ce qui m’intéresse, c’est avant tout la psychologie des personnages. J’espère que cela y est aussi!

Mais c’est vrai qu’il est très difficile de dessiner la psychologie, alors qu’une scène de cul, on la remarque tout de suite. Les sentiments, cela prend du temps, beaucoup de dessins, il faut s’arrêter sur un regard, un geste, des choses qu’on ne voit pas tout de suite.

Bon, c’est vrai, je ne déteste pas dessiner la sexualité! Mais c’est aussi un outil… certaines scènes peuvent paraître gratuites, mais en fait, par ce genre d’actes, sexuels ou violents, la psychologie des personnages se forme aussi. Car je ne veux pas des personnages stéréotypés, trop clean. J’aimerais que les deux principaux protagonistes aient des failles, qu’il y ait du bon et du mauvais dans les deux camps.

Interview swissinfo, Bernard Léchot

«Les Aigles de Rome» par Marini, Livre I (Editions Dargaud), 56 pages.

Enrico Marini, d’origine italienne, est né en 1969 dans la région de Bâle.

Après avoir étudié le graphisme à l’Ecole des Beaux-Arts de Bâle, il est repéré au Festival de la Bande Dessinée de Sierre dans le cadre du concours des nouveaux talents.

Ses dessins sont publiés d’abord dans «La Tribune de Genève». Face au succès remporté, naîtra le premier tome de la série «Un Dossier d’Olivier Varèse». Trois tomes d’Olivier Varèse suivront jusqu’en 1993.

Marini signera plusieurs autres séries avec différents scénaristes: «Gypsy» (avec Smolderen), «Rapaces» (avec Dufaux), «Le Scorpion» et le diptyque «L’Etoile du Désert» (avec Desberg).

Un hors-série intitulé ‘Le Procès Scorpion’ a paru cet automne.

Tout commence en «745 ab urbe condita», soit en 9 avant J.C. Drusus a reçu la mission de soumettre les Barbares de Germanie.

Après le combat, le Prince Sigmar laisse son fils Ermanamer en otage aux Romains. L’éducation du jeune Barbare, renommé Arminius, est confiée à Titus Valerius Falco, qui a un fils du même âge, Marcus.

Entre les deux jeunes gens, la haine va se transformer en amitié. Cela au fil des entraînements guerriers et des initiations érotiques avec de sculpturales beautés.

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