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Roman Polanski signe le film de sa vie

Roman Polanski lors du tournage de 'The Ghostwriter'. Cinetext

«The Ghost Writer» de Roman Polanski a été présenté en première mondiale à Berlin. Brillant, le réalisateur montre dans ce film qu’il n’a jamais oublié les événements américains d’il y a plus de 30 ans – qui le rattraperont juste après le tournage.

Déchaînements médiatiques vieux de 40 ans

Tourné au printemps 2009, le film ne peut donc être une réponse voulue à ce qui s’est passé en Suisse à l’automne suivant. Mais il révèle à quel point Roman Polanski n’a jamais oublié les événements survenus dans les années 70, ni sa dénonciation des crimes et des magouilles politiques.

L’ex-Premier ministre retranché dans son bunker et assailli par les journalistes évoque peut-être l’arrivée du cinéaste à Gstaad en décembre dernier. Mais toute l’«affaire» suisse ne fait que répéter, concernant la furie médiatique, ce que Polanski a vécu aux Etats-Unis.

En 1969, lorsque sa femme Sharon Tate est assassinée, avec plusieurs de leurs amis, la foule et les médias se déchaîneront sur lui, parfois avec haine. En 1977, avec l’agression sexuelle sur une adolescente, la furie médiatique sera évidemment pire encore, puisque Polanski passe du statut de victime à celui de coupable.

Cela pourrait être le film «ultime» dans le sens d’un couronnement. Avec «The Ghost Writer» («L’homme de l’ombre»), le réalisateur franco-polonais Roman Polanski, toujours assigné à résidence à Gstaad, dans le canton de Berne, signe une œuvre magistrale nouant la gerbe, d’une façon très personnelle, autour de la plupart des grands thèmes de sa filmographie.

Le héros, ce «ghost writer» (pour «écrivain fantôme» ou «nègre», interprété par Ewan Mc Gregor), n’a, de façon remarquable, ni prénom, ni nom. C’est, en quelque sorte un vrai fantôme – peut-être comme Polanski dans son chalet bernois.

L’écrivain fantôme doit rédiger l’autobiographie d’un ancien Premier ministre anglais (Toni Blair a décidément de beaux interprètes au cinéma, puisque, cette fois, c’est Pierce Brosnan qui lui prête ses traits) visé par une enquête de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre.

L’écrivain est pris au piège dans une demeure aussi belle architecturalement – même si ressemblant à un bunker à l’extérieur – qu’isolée au bord de l’Atlantique américain, houleux comme il se doit. Au fur et à mesure de son travail, il découvre des secrets qui le mettent lui-même en danger.

Un «survivant»?

Même s’il s’en défend – dans de nombreuses interviews disponibles sur internet – la capacité de «survivant» et de «résilient» du réalisateur, qui a vécu dans le ghetto de Cracovie et dont la mère est morte à Auschwitz, tandis que son père a survécu à Mathausen, reste un sujet fort de son œuvre.

«The Ghost Writer» évoque ainsi beaucoup «La jeune fille et la mort» (1994), où une victime de la dictature chilienne (Sigourney Weaver, à qui l’actrice Olivia Williams, dans le dernier film, ressemble beaucoup) retrouvait son bourreau. Maison isolée, huis clos, mer déchaînée…: comme le retour d’un passé sombre, ces éléments sont aussi partie intégrante du dernier film.

Tragique, comique

L’enfermement est aussi omniprésent au long des films, allant souvent de pair avec des situations absurdes où le comique transperce. «Cul-de-sac» (qui avait obtenu l’Ours d’or de Berlin en 1966) montrait un quatuor isolé par la mer montant autour de leur presqu’île. Dans «The Ghost Writer», il faut prendre le ferry pour quitter l’île, mais le bateau est rempli de gens mal intentionnés…

Bien sûr, c’est l’ex-Premier ministre qui est enfermé, et non son écrivain: ses avocats lui «recommandent fortement» de ne pas quitter le sol américain, puisque les Etats-Unis sont un des seuls Etats au monde à ne pas reconnaître la CPI. Bien plus qu’à Polanski emprisonné, c’est à Polanski attendant que le juge tranche son cas, en 1977, qu’il faut penser.

La fuite des Etats-Unis

Et c’est cette interdiction-là que le cinéaste bravera, s’enfuyant en France, quand il comprendra que le juge ne joue pas franc jeu. Et c’est de cette fuite-là que Polanski est, aujourd’hui toujours, coupable, aux yeux de la justice américaine.

Son personnage finit aussi par quitter les Etats-Unis, mais d’une façon qu’il serait «criminel» de dévoiler. Et si l’action de ce «thriller» coupe le souffle très souvent, l’humour permet de re-respirer. Or Polanski en a, assurément, et peut-êre de plus en plus, comme le montrait déjà son hilarant sketche pour les 60 ans du festival de Cannes.

La «Berlinale» fête aussi son 60e anniversaire. Pour un cinéaste chez qui histoire personnelle, fiction et «vraie et grande histoire» sont si intimement liées, un Ours d’Or serait peut-être aussi une victoire existentielle. Mais elle serait, aussi, à prendre au sens premier: une récompense pour un film particulièrement réussi.

Ariane Gigon, swissinfo.ch, Zurich

«The Ghost Writer», sortie le 18 février en Suisse alémanique, le 2 mars en Suisse romande.

400 films. La 60e Berlinale s’est ouverte jeudi. 400 longs métrages seront présentés jusqu’au 21 février.

Compétition. 20 films sont en compétition. Outre Roman Polanski avec ‘The Ghostwriter, parmi les cinéastes en lice pour l’Ours d’or figurent le Chinois Wang Quan’an, le Britannique Michael Winterbottom, le Danois Thomas Vinterberg, le Japonais Koji Wakamatsu, le tandem français Benoît Delépine- Gustave de Kervern.

Zurich. Le cinéaste franco-polonais Roman Polanski, 76 ans, a été arrêté le 26 septembre 2009 à son arrivée en Suisse alors qu’il venait pour recevoir une récompense dans le cadre du Festival du film de Zurich.

AccusationsRoman Polanski est recherché depuis 1977 par la justice américaine. Il est accusé d’avoir abusé à l’époque d’une adolescente de 13 ans en marge d’une séance de photographie dans la maison de l’acteur Jack Nicholson.

Loi. Alors que les protestations sont nombreuses, le gouvernement suisse estime que la police a agi conformément au droit en vigueur.

Chalet. Sorti de prison le 4 décembre 2009, le cinéaste est assigné à résidence dans son chalet de Gstaad, dans le canton de Berne.

Attente.Avant de prendre une décision sur la demande américaine d’extradition de Roman Polanski, les autorités judiciaires suisses attendent la réponse définitive du juge compétent de Los Angeles sur une question de procédure, qui concerne la possibilité d’un jugement pour contumace.

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