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Didier Burkhalter, submergé par le désir d’écrire

Didier Burkhalter
Depuis son départ du gouvernement fin 2017, Didier Burkhalter s’est embarqué dans l’écriture de roman au long cours, comme en témoigne son dernier livre: Mer porteuse. JEAN-CHRISTOPHE BOTT

Depuis sa démission du gouvernement suisse, l’ancien ministre des affaires étrangères a produit trois romans dont le dernier - Mer porteuse - évoque le thème de la migration. Sans commenter directement les décisions de la Confédération, Didier Burkhalter réaffirme un credo humaniste, moins audible à Berne depuis son départ.  

Trois romans en une année. Avare en paroles publiques depuis son départ du Conseil fédéral en octobre 2017, le Neuchâtelois s’épanche au travers de romans aux titres lyriques: «Enfance de terre», puis «Là où lac et montagne se parlent», et «Mer porteuse» publié récemment.

Convalescent, Didier Burkhalter n’a pas été en mesure de nous recevoir. L’interview qui suit s’est donc faite par échange de courriels.

swissinfo.ch: Ce choix d’écrire des romans historiques découle-t-il de votre expérience au Conseil fédéral? S’agit-t-il de combler un manque ressenti comme chef du département fédéral des Affaires étrangères?

Didier Burkhalter: J’ai beaucoup aimé l’engagement politique pendant plus de trois décennies, tout spécialement la vie gouvernementale au service des populations locale, nationale et même internationale avec la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCELien externe).

Didier Burkhalter
Tôt engagé au sein du Parti Radical – la formation politique des fondateurs de la Suisse moderne – Didier Burkhalter entre en 1991 au gouvernement de la ville de Neuchâtel. Parlementaire dans son canton, puis au niveau fédéral pour le Parti libéral-radical (droite), Didier Burkhalter est élu au Conseil fédéral (gouvernement collégial de 7 membres) en 2009. En charge des Affaires étrangères depuis 2011, Didier Burkhalter démissionne le 22 septembre 2017, à l’âge de 57 ans. Lors d’une interview donnée en avril à la RTS, Didier Burkhalter mentionne notamment la possibilité d’exporter des armes vers des pays en guerre parmi les raisons ayant motivé sa démission. Un assouplissement de la législation proposé à nouveau par le gouvernement depuis l’arrivée d’Ignazio Cassis à la tête du Département fédéral des affaires étrangères. © KEYSTONE / JEAN-CHRISTOPHE BOTT

Et puis, au printemps de l’an dernier, j’ai ressenti l’une de ces envies qui submergent d’un coup: je souhaitais ouvrir un nouveau chapitre dans le livre de ma vie. Je sentais bien que je voulais écrire des pages plus personnelles. C’est ce qui s’est passé, naturellement, au propre et au figuré d’ailleurs.

Mon troisième livre «Mer porteuse» s’inscrit en effet dans une évolution vers le roman historique. Je suis attiré par l’histoire et fasciné par la possibilité d’inventer des personnages pris dans la danse du temps et des événements ayant réellement eu lieu.

Comment nourrissez-vous la matière de vos romans? par des recherches, des souvenirs?

Les deux. L’orientation des recherches se nourrit aussi de souvenirs. Il y avait énormément de souvenirs chargés d’émotion dans «Enfance de terre»: des moments extraordinaires de rencontres avec les êtres qui m’ont le plus marqué durant ma vie de ministre des Affaires étrangères, comme ce jeune garçon, Ahmed, dans le camp de réfugiés d’Azraq en Jordanie ou cette jeune fille syrienne, Imane, qui voulait devenir photographe pour sortir de la misère et de la guerre tout en les dénonçant. Ou encore cette maman d’une vingtaine d’années, Angelica, traversant à pied la misère de son pays, la Colombie.

Ensuite, j’ai décidé d’aborder des thèmes qui me sont chers au moyen d’un roman historique. Il s’agissait, par exemple, de l’ineptie de la guerre, de la peine de mort, de la migration, de la justice, de l’honneur, de l’adoption et des secrets des origines. Pour ce faire, il m’a paru utile de prendre le recul du temps et d’inscrire la vie tragique de mes personnages dans le 19e siècle et la première moitié du 20e siècle.

Cela implique alors davantage de recherches qui sont passionnantes, en fait. J’ai d’ailleurs mis en chantier un nouveau roman qui pourrait être, un jour, la suite de «Mer porteuse» et s’orienter avant tout sur la période partant des années vingt et couvrant une autre part du 20e siècle, peut-être avec l’idée de décrire les ferments humains des montées de crise mondiale. Mais on verra: je prends davantage de temps cette fois-ci, aussi pour des raisons de santé.

Votre dernier livre – Mer porteuse – évoque le destin de migrants européens partant pour les Amériques. Un choix motivé par l’actualité douloureuse de cette thématique? 

Oui. Je pense en effet qu’il est bon de regarder le chemin parcouru, là encore au propre et au figuré, par les générations qui nous ont précédé. Cela nous permet de relativiser nos angoisses en les inscrivant dans le collier du temps et de mieux nous inspirer des multiples courages qui ont gonflé les cœurs de tant de personnes ayant décidé de prendre la mer pour jouer les dés de leur destin, la carte de leur histoire. Le monde évolue constamment au gré des aventures humaines.

Sur cette question, comme sur d’autres (exportations d’armes) la politique étrangère de la Suisse défend une conception plus étroite de ses intérêts que par le passé. Une preuve de réalisme en des temps plus durs en termes de rapports de force entre grandes puissances?

Même si ma conception de nos institutions et mon rôle d’ancien conseiller fédéral font que je ne m’exprime pas sur les décisions du gouvernement, je trouve important de prendre position, en particulier par la littérature, en fonction d’éléments essentiels, de fondements culturels de notre pays.

Ainsi, la culture politique de la Suisse est basée sur le dialogue et l’écoute de tous les points de vue. Pensons aux périodes de consultation sur les projets de loi ou aux débats parlementaires et populaires. De plus, la culture de notre pays à l’égard de l’étranger est construite autour de ces mêmes valeurs. C’est ce qui fait notre force, notre impartialité reconnue aussi, et c’est ce qui nous permet de jouer un rôle d’importance considérable au plan mondial dans des médiations ou d’autres engagements de bons offices; en un mot: pour la paix.

A quoi tient, selon vous, la voix particulière qu’a gagnée la Suisse au sein de la communauté internationale?

Précisément à cela. Un jour, lors d’un voyage en 2014, le président d’un pays lointain m’a pris à part un instant. Il voulait avant tout me dire une phrase sortant des schémas diplomatiques un peu trop convenus: «Vous, en Suisse, vous avez quelque chose de magique, vous savez garder la paix», m’a-t-il dit. Il n’a pas mis l’accent sur le fait que l’on vivait en paix mais sur le fait que l’on disposait, en quelque sorte, de clés pour pacifier, pas seulement chez nous mais à l’étranger également. A vrai dire, je pense qu’il s’agit là d’une énorme et merveilleuse responsabilité et je pense qu’il faut tout faire pour la conserver longtemps encore et s’en montrer digne.

La neutralité de la Suisse et son indépendance par rapport à l’Union européenne a fait la prospérité de la Suisse depuis 1848. Une période où l’Europe et les pays occidentaux étaient au centre du monde. La marginalisation relative de l’Europe ne change-t-elle pas fondamentalement les paramètres définissant les rapports de la Suisse au reste du monde?

L’Europe – et je veux parler de l’ensemble du continent – a été une véritable lumière dans le développement du monde, notamment en matière de droits de l’Homme, tout en étant également le terrible berceau de conflits mondiaux majeurs. C’est d’ailleurs le principal mérite de l’Union européenne d’avoir cherché à réduire les risques en la matière, à rapprocher les ennemis d’hier pour en faire les alliés du présent. Pourvu (aussi pour la Suisse) que cela dure à l’avenir!

Aujourd’hui, notre continent reste l’un des moteurs de la planète dans de nombreux domaines, comme la formation et la recherche, par exemple, la création d’emplois et de prospérité également, mais la concurrence s’est avivée et les fissures se sont creusées dans l’édifice européen. De plus, nos sociétés européennes sont vieillissantes et ont tendance à écouter à nouveau et avant tout, comme avant de précédentes crises, les peurs qui aboutissent au rejet de l’autre et à la fermeture sur soi-même.

Dans un monde globalisé, devenu de plus en plus multipolaire, la réponse la plus prometteuse est selon moi d’affirmer avec confiance les valeurs qui ont fait la grandeur de ce continent. Ainsi, par exemple, les droits de l’homme doivent être réellement universels et les échanges doivent pouvoir se développer selon des règles internationales basées sur le respect de l’ensemble des partenaires, afin de donner de véritables perspectives au plus grand nombre.

Quant à la Suisse, son rôle spécifique de pays impartial mais engagé pour la paix, de nation à la démocratie enracinée tout en étant largement ouverte à la globalisation, prend encore davantage d’importance dans cette période où les tensions montent trop facilement, qu’elles soient mondiales ou liées à des chaudrons régionaux. Je suis convaincu que c’est cette Suisse-là dont on attend le plus, chez nous comme à l’extérieur du pays.

Didier Burkhalter, auteur

Mer porteuse, L’AireLien externe, 2018

Là où lac et montagne se parlent, L’Aire, 2018

Paru en allemand sous le titre Wo sich Berg und See begegnen, Edition Spuren, 2018

Enfance de terre, L’Aire, 2017

Paru en allemand sous le titre Kinder der Erde, Edition Spuren, 2018

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