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Tous en train en cas de «non» au doublement du tunnel routier

Environ 70% des marchandises qui franchissent les Alpes sont transportées par le rail. RDB

Quelles seraient les autres options si le peuple refusait le doublement du tunnel routier du Saint-Gothard? La création de ce que l’on appelle une «autoroute ferroviaire» a les faveurs des opposants au percement d’une nouvelle galerie. Solution illusoire et impossible à mettre en pratique, répliquent les partisans du doublement.

Et si un «non» sortait des urnes le 28 février? Comment permettre aux plus de 5 millions de voitures et au quelque 900’000 camions qui traversent annuellement le Saint-Gothard de traverser les Alpes quand le tunnel routier sera fermé pour les travaux de rénovation prévus? Impossible de les dévier vers d’autres axes. Le San Bernardino, le Simplon ou le Grand-Saint-Bernard ne peuvent pas absorber une telle quantité de trafic.

Il n’y a qu’une seule option: transférer le trafic nord-sud sur le rail. En d’autres termes, créer une «autoroute ferroviaire», appelée aussi chaussée roulante, RoLa (de l’allemand «Rollende Landstrasse»).

Les camions pourraient être placés sur des wagons spéciaux et transportés de Chiasso/Novare vers Bâle, et vice-versa. A cette liaison de frontière à frontière s’ajouterait une seconde autoroute ferroviaire «courte» – elle aussi réservée aux transports lourds – qui relierait Erstfeld à Biasca. Dans les deux cas, les trains passeraient par le nouveau tunnel ferroviaire de base du Saint-Gothard (Alptransit), qui sera inauguré en juin 2016.

Pour les automobiles, il faudrait en revanche créer un service de transport entre Airolo et Göschenen en utilisant l’actuel tunnel ferroviaire, qui sera sous-utilisé dès l’entrée en fonction du nouvel Alptransit.

Une fois ce dispositif impressionnant mis en œuvre, on pourra procéder à la rénovation du tunnel autoroutier sans interrompre la liaison nord-sud à travers les Alpes, affirment les opposants au doublement. 

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Moins cher, mais…

Même si elle est techniquement réalisable et moins chère (voir encadré), cette variante a été écartée par le gouvernement pour une série de raisons. Avant tout parce qu’elle «ne générerait pas une valeur ajoutée permanente». En effet, une fois le tunnel routier rouvert, les infrastructures seraient démantelées. De plus, le même problème se représenterait à chaque cycle de manutention du tunnel routier, soit tous les 30 à 40 ans. La réalisation d’une autoroute ferroviaire implique aussi la construction de grandes gares de transbordement, une option qui n’est pas vue d’un très bon œil par les communes où devraient être construites ces infrastructures.

Les coûts

Il en coûtera 2,9 milliards de francs pour creuser un second tunnel autoroutier et rénover celui qui existe déjà, selon les chiffres communiqués par le gouvernement.

Si le peuple refuse le creusement d’un second tunnel, les coûts de rénovation du tunnel actuel et la mise sur pied d’une «autoroute ferroviaire» se monteront à une somme comprise entre 1,4 et 1,8 milliard de francs. Les voitures voyageront gratuitement sur les trains-navettes entre Göschenen et Airolo, alors que les camions devront payer une centaine de francs pour le transport entre Erstfeld et Biasca.

Le groupe «Assainir à moindre coût» estime de son côté à un peu plus d’un milliard de francs les coûts pour cette seconde option. 

Soutenue depuis toujours par les adversaires du doublement, la solution de l’autoroute ferroviaire a été récemment reproposée par un groupe d’ingénieurs et d’experts en transportLien externe, parmi lesquels de nombreux anciens cadres des Chemins de fer fédéraux, réunis dans un comité dénommé «Assainir à moindre coût».

Pourquoi revenir à la charge avec cette option? Est-ce seulement de la soupe réchauffée pour la campagne? Serge Anet, porte-parole de ce groupe, souligne qu’il est intervenu un changement important depuis l’étude de faisabilité de l’autoroute ferroviaire, en 2010. «Dans l’intervalle, le Parlement a voté les crédits nécessaires pour réaliser un corridor quatre mètresLien externe de Bâle à Chiasso/Novare», explique-t-il.

Le crédit de 990 millions de francs permet d’agrandir les tunnels ferroviaires, afin qu’ils puissent être traversés par des semi-remorques avec une hauteur aux angles de 4 mètres (un type de véhicule de plus en plus utilisé). «On pourrait ainsi transporter les gros transporteurs routiers internationaux à travers toute la Suisse, et pas uniquement le long du nouveau tunnel de base de Biasca à Erstfeld. Cet aspect n’avait pas été suffisamment pris en compte lorsque le gouvernement avait présenté son message au Parlement», indique Serge Anet.

Jusqu’à l’ouverture du tunnel autoroutier, en 1980, on pouvait franchir le Saint-Gothard en plaçant sa voiture sur le train. RDB

Grosse capacité, sur le papier

Sur l’itinéraire long, il serait possible de transporter 510 camions par jour dans chaque direction, avec un train chaque heure. Sur l’autoroute ferroviaire courte, 1140 camions (avec 2 trains à l’heure dans chaque direction). On arriverait ainsi à une capacité journalière de 3300 camions (actuellement, 3100 camions traversent journellement le tunnel autoroutier).

Entre Göschenen et Airolo, le service de trains-navettes permettrait de transporter 16’000 automobiles par jour (avec 8 trains à l’heure). Les jours de pointe, on pourrait arriver à un maximum de 31’000 véhicules.

Pour Mathias Tromp, ancien directeur de la société de chemin de fer BLS, qui avait introduit l’autoroute ferroviaire au Lötschberg, le système n’est pas impossible à réaliser, mais beaucoup plus difficile que ce que veulent faire croire ses partisans.

En ce qui concerne les automobiles, en étant pratiquement plus utilisé, l’ancien tunnel pourrait absorber, sur le papier, les trains-navettes nécessaires. Mais le problème, pour les véhicules légers, surviendra aux gares de chargements, trop sous-dimensionnées, explique Mathias Tromp. Le risque est que le système s’effondre au moindre accroc, en particulier les journées de pointe.

Un doublement à moindre coût?

Récemment, le célèbre ingénieur suisse Christian Menn (88 ans), a émis l’idée de creuser un second tunnel routier non pas entre Göschenen et Airolo, mais plus en altitude, le long de la route du col du Saint-Gothard. Ce tracé alternatif présente l’avantage d’être plus court (6,7 km) et moins coûteux (700 millions en moins).

Ce ne devrait pas être un problème de maintenir ouvert toute l’année ce nouveau tunnel situé à environ 1600 mètres d’altitude. Le temps de parcours s’allongerait de seulement un quart d’heure par rapport à l’itinéraire normal.

Une autre proposition, faite par l’ingénieur lausannois Rodolphe Weibel, est de reconvertir l’ancien tunnel ferroviaire en tunnel autoroutier. Mais pour le gouvernement, cette option n’est pas réalisable: d’une part, l’ancien tunnel continuera d’être utilisé par les Chemins de fer fédéraux; d’autre part, cette reconversion serait très coûteuse.

L’autoroute ferroviaire courte est encore plus problématique, estime l’ancien directeur des BLS. «En particulier pour une question de profil, le nouveau tunnel de base du Saint-Gothard n’est pas adapté à un système de roll-in/roll-out [quand c’est le même chauffeur qui charge et décharge son camion sur le train, en restant dans son véhicule], comme c’est le cas dans le tunnel sous la Manche», ce qui complique les opérations de transport.

Combien de terrains de football?

Les surfaces nécessaires pour les gares de chargement représentent un autre obstacle important. Construire des installations qui occuperaient entre 55’000 et 80’000 mètres carrés chacune (respectivement entre huit et douze terrains de football) et un non-sens pour les adversaires, en particulier dans des vallées étroites comme la Levantine et Uri. D’autant plus qu’après la fin des travaux de rénovation du tunnel autoroutier, ces infrastructures seraient démantelées.

Serge Anet reconnaît que l’emplacement de ces gares est problématique, car elles se retrouveraient dans les fonds de vallées, occupant des terres précieuses, par exemple pour l’agriculture. Cependant, «il faut une surface trois fois supérieure pour les chantiers de creusement du nouveau tunnel. A lui seul, celui du nord nécessite 21 terrains de football», relativise-t-il.

Limite de sillons

Pour ce qui concerne l’autoroute ferroviaire longue, le problème des infrastructures ne se pose pas, car celles qui existent en Italie du Nord et dans la région de Bâle ont encore des capacités à disposition.

Mais transporter des camions sur des distances plus longues ne résout pas le problème de fond: les capacités des chemins de fer sont limitées, souligne Mathias Tromp. Quand le tunnel de base du Monte Ceneri sera également ouvert, en 2020, les Chemins de fer fédéraux indiquent qu’il sera possible de faire rouler deux trains voyageurs et jusqu’à six trains marchandises par heure et par direction (260 trains au total).

«Les sillonsLien externe pour faire passer ces trains supplémentaires – de 80 à 100 convois – n’existent pas», observe Mathias Tromp.

Pour le groupe «Assainir à moindre coût», les capacités pourraient cependant être augmentées jusqu’à huit trains marchandises en réduisant la vitesse des trains voyageurs. «Actuellement, on prévoit que deux à trois trains marchandises à l’heure circuleraient, observe Serge Anet. Il y a donc une réserve suffisante pour au moins un convoi sur le tracé court et deux sur le long.»

(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

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