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Salutation paysanne de la part de Ramuz

Charles-Ferdinand Ramuz.

Légende littéraire, l'auteur vaudois est à l'honneur sur les scènes romandes, avec un spectacle qui tourne depuis trois ans sous ce titre chaleureux: «Les uns à côté des autres».

C’est François Chattot qui en assure la mise en scène. Regard d’un créateur français sur Charles-Ferdinand Ramuz, cet écrivain faussement «régionaliste».

«Allez faire comprendre aux Français la littérature romande!», nous confiait il y a quelque temps, sur un ton dépité, un éditeur fribourgeois.

Depuis, on s’était promis qu’à la première occasion on poserait la question à un Français avisé pour savoir si le talent de nos écrivains échappe vraiment à nos voisins hexagonaux.

Surprise: la réponse fut passionnée, car le Français interrogé, en l’occurrence le metteur en scène François Chattot, nous remit vite en place en nous expliquant que ce sont plutôt les Suisses qui mesurent mal l’envergure de leurs grands auteurs. Et comme nous parlions de Charles-Ferdinand Ramuz, François Chattot s’empressa de nous raconter cette anecdote.

«Un jour, à l’occasion d’un vernissage dans un musée de Nyon, j’étais invité à lire un texte. J’en ai choisi un écrit par Ramuz sur Paul Cézanne. A la fin de la cérémonie, l’assistance, qui comptait des personnes éclairées, est venue me demander de qui était la plume. J’ai répondu: de Ramuz! Stupéfaction générale».

Chattot, lecteur bouillonnant donc, avait décidé entre temps de porter à la scène l’écrivain vaudois. Il alla ainsi puiser sa matière théâtrale dans l’immense œuvre ramuzienne. Un spectacle en est sorti intitulé «Les uns à côté des autres». Soit un montage de textes qui regroupe quelques extraits des Carnets et du Journal de Ramuz, ainsi que trois de ses nouvelles: «La Faneuse dans son pré», «Salutation paysanne» et «Symétrie».

Le tout est joué en solo par Martine Schambacher, comédienne inspirée, elle aussi fervente de Ramuz, qu’elle lut et relut une année durant pour pouvoir habiter son verbe.

Un bâtisseur de cathédrales

Le spectacle fut créé en 2004 en Bourgogne où François Chattot travaille en grande partie. «Là-bas, dit-il, il y eut une rencontre immédiate entre le texte et le public. Les Bourguignons ont partie liée avec la terre, et la poésie ramuzienne, qui respire l’air frais de la nature, résonne très percutante dans le milieu rural».

Ramuz, auteur de magnifiques tableaux parlés dignes d’un Turner: «Guerre et querelle cette après-midi dans le ciel entre le soleil et les nuages, et ceux-ci se sont arrangés pour empêcher le soleil de passer».

Ramuz «bâtisseur de cathédrales», également, selon la jolie formule de François Chattot qui considère le poète comme un prodigieux architecte du langage. «Seuls les imbéciles, lâche-t-il, ont vu dans son verbe une langue régionaliste. Son parler est universel, il dépasse le terroir suisse. On pourrait le jouer dans n’importe quelle campagne d’Europe, il serait entendu avec toute sa force».

Après la campagne bourguignonne, le spectacle est arrivé à Lausanne, au Théâtre de Vidy. «Nous avions lancé des invitations pour la première, se souvient le metteur en scène. Certains nous ont répondu: ‘Ramuz? hors de question, on ne viendra pas’».

On l’a regardé d’un œil torve

En Suisse, l’auteur a ses admirateurs qui ont fait de lui une légende. Mais il a aussi ses détracteurs. Chattot en est convaincu. Il précise: «Ramuz a beaucoup souffert d’un certain isolement. Il a vécu une dizaine d’années à Paris, juste avant la Première Guerre, et s’y est fait une certaine renommée. Il a même failli avoir le Goncourt. Lorsqu’il est rentré chez lui, on lui en a voulu d’être parti. Les maîtres de la littérature suisse le regardaient d’un œil torve. Il en était profondément blessé».

«Les uns à côté des autres» n’a pas cessé de tourner depuis sa création en 2004. Le spectacle sera d’ailleurs repris en Bourgogne au printemps 2008. En attendant, il se joue à Genève, jusqu’au 2 décembre, et à Neuchâtel du 4 au 7 décembre.

Faire circuler la parole de Ramuz, rugueuse et soyeuse, est un art. «Dans les cirques, dit François Chattot, il y a des montreurs d’ours. Notre métier consiste à montrer les mots.»

swissinfo, Ghania Adamo

«Les Uns à côté des autres»:

A Genève, Théâtre Saint-Gervais, jusqu’au 2 décembre.

A Neuchâtel, Théâtre du Passage, du 4 au 7 décembre.

Mise en scène: François Chattot.
Interprétation: Martine Schambacher

Formé à l’Ecole supérieure d’art dramatique de Strasbourg, François Chattot est comédien et metteur en scène. Il dirige, à Dijon, le Centre dramatique national de Bourgogne.

Souvent invité à travailler en Suisse, il se produit sur les scènes institutionnelles genevoises et lausannoises.

On l’a vu notamment dans les spectacles de Matthias Langhoff, dont l’excellent «Quartett» joué à Vidy il y a 2 saisons.

Au cinéma, il a tourné avec Benoit Jacquot et Luc Besson, entre autres.

Le verbe haut, le jeu aisé, il ne passe jamais inaperçu sur scène et encore moins à la ville.

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