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En Suisse comme en France, le plagiat ronge l’Université

De l'amphi au laptop, les joies du copier-coller. Keystone

Avec Internet, le plagiat est devenu un fléau. L’Université française intensifie sa lutte contre l’explosion du «copier-coller». Sur les traces de Michelle Bergadaà, professeure à l’Université de Genève qui a crée un site francophone de référence de lutte contre le plagiat.

C’est en corrigeant des mémoires de master, en 2005, que Jean-Noël Darde, maître de conférences en communication à l’université Paris-VIII, a pris conscience du problème. Deux travaux étaient largement entachés de copier-coller.

Interloqué, le chercheur passe en revue les mémoires des années précédentes. Sur trente, dix contenaient des parties plagiées. «J’ai demandé à la direction l’annulation des masters concernés. En vain. Puis j’ai découvert qu’un des auteurs avait ensuite écrit une thèse… bourrée de plagiats elle aussi.»

À peu près à la même époque, Michelle Bergadaà, professeur à la Faculté des sciences économiques et sociales de Genève, fait la même découverte. «Je me suis aperçue qu’avec Internet, le nombre de plagiats était en train d’exploser.»

Du pompage industriel

Des petits emprunts d’idées? Des citations escamotées? Non: du copier-coller basique, du «pompage» presque industriel, parfois sur des pages entières. Sidérée, Michelle Bergadaà crée un site, devenu depuis une véritable plate-forme francophone de lutte contre le plagiat.

Dans sa dernière lettre d’information, l’enseignante ne s’embarrasse pas de scrupules confraternels. «Je dis devant vous, qu’un ‘chercheur’, directeur général adjoint d’une Grande École française, éditeur d’une revue scientifique, a traduit mot à mot un chapitre de livre publié chez un éditeur français, puis qu’il l’a publié chez McGraw-Hill sous son nom.»

Mme Bergadaà poursuit: «Je dis devant vous, que l’auteur plagié ne cherche pas la vengeance; il voudrait faire son travail de chercheur sans perdre de temps en procédures.» Le chercheur, qui s’est reconnu, a aussitôt appelé Michelle Bergadaà, formulant des excuses embarrassées.

Délation ou information?

Un cas parmi bien d’autres, malheureusement. «C’est le 51e cas grave qui m’est parvenu», note Mme Bergadaà, dont la lettre est diffusée à quelque 16000 abonnés. De la délation? «Non. De l’information. Du reste, je n’en parle jamais au-delà des cercles universitaires.»

Encouragé par sa consœur genevoise, Jean-Noël Darde s’entête. «Sans l’appui de Michelle Bergadaà, je n’aurais jamais eu le culot de me lancer dans un tel combat.» En 2008, le chercheur met la main sur une thèse de doctorat de son département, copiée-collée à 90%. Une thèse dirigée par un professeur pratiquant lui-même le plagiat.

C’en est trop. Il alerte le Conseil scientifique de l’Université, lequel décide en mars dernier, grande première en France, d’annuler le diplôme. «J’étais rassuré. Mais au même moment, le Conseil nommait ce même professeur président du comité chargé de nommer les nouveaux enseignants.» Un comble!

En fin de carrière

Jean-Noël Darde n’incrimine pas sa Faculté. «Des collègues, soulagés de pouvoir enfin s’exprimer, m’ont écrit. Ils évoquaient des cas similaires dans des domaines aussi différents que la grammaire latine, l’histoire médiévale, les mathématiques et l’informatique.»

Les langues se délient. «Mais ceux qui parlent sont souvent en fin de carrière, ils n’ont plus rien à craindre. C’est d’ailleurs mon cas», pointe Jean-Noël Darde. Lequel dénonce un «système» qui favoriserait la fraude: les indicateurs bibliométriques, censés évaluer la production des chercheurs, poussent ceux-ci à publier plus et plus vite.

«Ce que je dénonce, c’est moins le plagiat d’étudiants que la tolérance au plagiat de la part d’universitaires et de l’université», lâche Jean-Noël Darde.

Un code de déontologie

En Suisse, l’université s’attaque au problème. À Genève, les étudiants en sciences économiques et sociales doivent désormais apposer leur signature sous un code de déontologie les rappelant au respect de la propriété intellectuelle et de la vérité. L’Université de Lausanne a pris des mesures similaires.

Depuis le début de l’année, le rectorat genevois met aussi à la disposition des enseignants un logiciel permettant de traquer les plagiats: compilatio.net. Pourtant, ce logiciel, créé par une société française, «ne reconnaît que les textes copiés en vrac», remarque Jean-Noël Darde. Il suffit de quelques mots différents pour qu’il passe à côté d’une source.» Pas simple de débusquer les plagiats. Surtout quand les textes sont traduits dans une autre langue.

A Louvain, en Belgique, comme au Canada d’ailleurs, les autorités universitaires ont saisi le problème à bras le corps, note Michelle Bergadaà. Notamment à travers des campagnes de sensibilisation. «Ici en Suisse, les choses avancent lentement. Mais sûrement. Culture protestante oblige, on n’en parle pas entre collègues. Mais les mesure prises commencent à payer.»

Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch

En cas de plagiat, la situation est souvent simple au niveau de la preuve, dans la mesure où il suffit de comparer deux textes. Les faits sont les faits. La situation est plus difficile en cas de vol d’idées, mais là n’est pas le nœud du problème.

En fait, le plagié ne sait pas comment faire valoir ses droits, car les réponses au plagiat sont très peu structurées et toujours spécifiques aux établissements (…)

La sensation de viol du plagié est naturelle, s’agissant du vol d’une œuvre de l’esprit, donc unique: c’est une atteinte grave aux droits de la personnalité (…)

La violation de ces droits devrait donc entraîner la responsabilité civile (voire pénale) de l’auteur, le plagieur, celle-ci résultant de l’atteinte même (…)

Or, le chercheur – le créateur – ne comprend jamais pourquoi il devrait payer les services d’un avocat pour être rétabli publiquement comme authentique auteur dans les bases de données des articles, thèses et livres.

Et je témoigne: une personne atteinte dans sa personnalité a, en fait, surtout besoin d’être écoutée, de parler de sa blessure.

Mais qui écoute ? Nombre de nos pairs ont oublié qu’ils sont au service de la connaissance et ils se pensent, au mieux service du système, au pire à celui de leur carrière personnelle.

Michelle Bergadaà in «Lettre d’information no 32»

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