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Le retour de l’expérience psychédélique

Albert Hofmann. L'homme qui découvrit le LSD a aujourd'hui 102 ans. Keystone

Le premier Forum psychédélique mondial s'ouvre ce vendredi à Bâle. Histoire de célébrer la renaissance d'un certain intérêt culturel et scientifique pour les hallucinogènes comme le LSD.

Découvert par le chimiste suisse Albert Hofmann, le LSD (acide lysergique diéthylamide) a connu son heure de gloire à la fin des années 60. Aujourd’hui, la médecine recommence à s’y intéresser.

Ce Forum de trois jours réunit plus de 50 experts et une trentaine de jeunes chercheurs venus du monde entier pour débattre de «l’expérience psychédélique multidimensionnelle» et de son «énorme potentiel d’expansion de la conscience».

L’idée est née d’une conférence donnée en 2006 à Bâle pour le 100e anniversaire d’Hofmann. Initiateur du Forum, Lucius Werthmüller avait été frappé par l’intérêt soulevé à l’époque.

«Il n’y a que très peu de gens qui savent vraiment ce que sont les drogues psychédéliques. La plupart pensent que ce ne sont que des substances illégales, comme l’héroïne ou la cocaïne», explique-t-il.

«Nous voulons faire savoir aux gens que les psychédéliques, comme le LSD, ne sont pas toxiques, qu’ils ne créent pas de dépendance et qu’ils ne sont pas dangereux, à condition d’être utilisés de manière correcte et par une personne équilibrée».

Albert Hofmann, encore très alerte à 102 ans, sera hôte d’honneur. C’est en travaillant pour les laboratoires de la pharma bâloise Sandoz, qu’il découvrit accidentellement le LSD en 1943.

Il décrit alors ce premier «trip» de l’histoire comme «un flot interrompu d’images fantastiques, de formes extraordinaires, avec des jeux de couleurs kaléidoscopiques très intenses».

L’âge d’or hippie

Les propriétés de modification de la conscience du LSD amènent alors certains chercheurs à croire qu’il pourrait être utile en psychiatrie.

Mais dans les années 60, l’«acide» sort des laboratoires pour se répandre sur les pelouses des campus universitaires et des parcs de San Francisco, berceau du mouvement hippie. C’est l’époque où un psychologue de Harvard du nom de Timothy Leary incite la jeunesse à «tune in, turn on, drop out», soit à accorder sa conscience à celle de l’univers et à laisser tomber l’«american way of life».

Poursuivi par la justice de son pays, emprisonné puis évadé, Leary sera repris en 1974 en Afghanistan, puis libéré définitivement deux ans plus tard. Une des étapes de sa cavale le voit passer par la Suisse, en 1971

«A l’époque, c’était une sorte de grand prêtre de ce mouvement basé sur le LSD, raconte Vanja Palmers, prêtre zen et ancien compagnon de Leary. Mais cela ne plaisait pas à tout le monde. De nombreux chercheurs, dont Albert Hofmann, trouvaient que tout cela devenait trop fou, trop sauvage».

L’establishment prend peur lui aussi. Aux Etats-Unis, le LSD est interdit depuis 1966. il le devient en Suisse en 1973. Et les études médicales subissent un sérieux coup de frein.

Première mondiale

Puis en décembre 2007, la Confédération autorise une étude pilote qui vise à analyser les effets de l’«acide» sur des personnes gravement malades. C’est un première mondiale. Depuis 35 ans, plus aucune étude sur le LSD n’a été autorisée nulle part.

Le psychothérapeute Peter Gasser a l’intention de traiter douze patients atteints de maladies comme le cancer, et qui souffrent de peurs existentielles. Il suppose que le LSD permettra d’apaiser leurs angoisses et ainsi leurs douleurs.

«Le débat est moins polarisé de nos jours qu’à l’époque, où il s’agissait avant tout de savoir si on était pour ou contre», explique Peter Gasser, qui sera présent au Forum de Bâle.

L’expérience durera deux ans. Chaque patient recevra deux doses «moyennes» de LSD durant deux journées. Ils seront accompagnés par le thérapeute. Sept séances de psychothérapie serviront à préparer les prises et à discuter des expériences vécues.

Le but est d’apprendre si le LSD peut avoir un effet positif dans le cadre de psychothérapies et si la substance peut être prise sans risques.

«Enfant terrible»

Cette étude a la bénédiction d’Albert Hofmann, qui, même s’il a désapprouvé les excès des années 60, a toujours cru aux vertus thérapeutiques de son «enfant terrible».

Mais tous les psychiatres ne sont pas convaincus pour autant. Car la drogue n’est pas sans risques. Tout ceux qui s’en sont approchés ont vu ou entendu parler des «mauvais voyages» qui peuvent déboucher sur des crises de panique ou de ces «flashbacks» qui peuvent survenir des mois, voire des années après.

Une visite sur les pages du site de l’ISPA, l’Institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies consacrées aux hallucinogène ne donne pas vraiment envie d’essayer. De plus l’«acide» n’est plus vraiment à la mode chez les jeunes.

«Comparé à d’autres substances, la consommation de LSD en Suisse n’est vraiment pas considérable», confirme Monique Helfer, porte-parole de l’Institut.

En 2002, une étude de l’ISPA montrait que chez les 15-39 ans, 1,2% seulement des femmes et 2,9% des hommes avaient tâté des hallucinogènes. Pour le cannabis par contre, les chiffres étaient respectivement de 21,1 et 34,2%.

swissinfo, Isobel Leybold-Johnson
(Traduction et adaptation de l’anglais: Marc-André Miserez)

Synthétisé une première fois en 1938, puis testé en 1943 par le Bâlois Albert Hofmann, le LSD est l’hallucinogène le plus puissant connu à ce jour.

Il a pour effets principaux d’intensifier et de déforme les perceptions. Il peut induire des réactions de panique et d’agressivité ou réveiller des troubles psychiques préexistants, mais il n’est pas considéré comme une drogue à accoutumance.

Les effets d’une prise de LSD durent jusqu’à 12 heures, mais la substance peut aussi causer des «flashbacks», où l’on se sent à nouveau brièvement sous son effet longtemps après l’expérience.

Organisé par la fondation Gaia Media, il se tient du 21 au 24 mars à Bâle. Quelque 80 scientifiques, praticiens ou artistes du monde entier y discuteront des potentiels des substances psychoactives, comme le LSD ou les plantes hallucinogènes.

Outre Albert Hofmann, diverses personnalités prendront la parole, comme Stanislav Grof, l’un des pionniers de la recherche médicale sur le LSD, ou l’anthropologue jurassien Jeremy Narby, spécialiste du chamanisme amazonien. On relève également la présence de témoins de la génération hippie, comme Carolyn Garcia, qui a été la femme du guitariste et chanteur du groupe californien Grateful Dead.

Une exposition présentera par ailleurs des documents rares de la collection privée d’Albert Hofmann et de la Ludlow Santo Domingo Library de Genève, la plus grande collection au monde d’objets et de livres sur la culture psychédélique.

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