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Quand les Américains ne veulent plus la Lune

Avec la mise à la retraite des navettes, le vaisseau russe Soyouz (au centre) sera momentanément le seul à pouvoir transférer des hommes sur l’ISS, la Station spatiale internationale. esa

Débarrassée de l’objectif Lune, la nouvelle feuille de route de la NASA, signée le 11 octobre par Barack Obama, parle beaucoup de collaboration, notamment avec l’Europe. De quoi ravir Willy Benz, astrophysicien à l’Université de Berne et conseiller scientifique de l’ESA.

En 2004, George Bush voulait renvoyer des Américains sur la Lune pour 2020. Début 2010, le programme, baptisé Constellation, est déjà en retard et sous-doté financièrement. Barack Obama décide alors son abandon, qu’il entérine le 11 octobre en signant le «NASA 2010 Authorization Act». Ce texte de loi autorise l’Agence spatiale à dépenser 58 milliards de dollars entre 2011 et 2013.

Comme promis, c’est trois milliards de plus que prévu initialement. Mais on ne court plus la Lune, laissant aux Chinois et aux Indiens le plaisir d’aller y planter leur drapeau, ce que les deux puissances prévoient de faire en 2020 et 2025.

On ne jette pas pour autant six ans de travail à la poubelle. Les plans et les prototypes de la fusée Arès, lanceur du programme Constellation, serviront de base pour développer les nouveaux lanceurs dont la NASA a urgemment besoin. L’ultime vol d’Endeavour en février 2011 marquera en effet la fin de l’ère des navettes spatiales, après 30 ans de service, 130 missions et… deux catastrophes (Challenger en 1986, Columbia en 2003).

Mais la NASA n’a pas besoin de fusées uniquement pour transporter des hommes et du matériel vers la Station spatiale internationale (ISS). Arès, c’est le dieu Mars des anciens Grecs, et la planète rouge reste bien l’objectif à long terme.

Le prestige de l’astronaute

Avant d’y arriver (on n’articule pas de date, mais 2050 semble une estimation réaliste), les astronautes à la bannière étoilée devraient faire un détour inattendu par… un astéroïde. Mission pour laquelle tout ou presque reste à inventer, à commencer par le moyen de faire se balader des hommes sur un de ces «cailloux» où la gravité sera très faible du fait de sa taille et même aléatoire du fait de sa forme.

D’un point de vue scientifique, le gain à attendre d’une telle mission est douteux. Et pour voir si les astéroïdes recèlent de riches gisements miniers (qu’aucune technique ne nous permettrait de toute façon d’exploiter avant des décennies), des sondes automatiques feraient largement l’affaire.

Mais la motivation est ailleurs. «Les vols habités portent en eux quelque chose qui dépasse la science», souligne Willy Benz. Quelque chose qui tient de l’irrationnel, du rêve. Et de l’orgueil national.

«Pourquoi la NASA a la réputation qu’elle a? C’est bien sûr grâce au programme Apollo. Sans l’homme sur la Lune, l’Agence n’aurait jamais reçu les fonds qu’elle a reçus pour toutes ses autres missions», affirme le scientifique bernois.

«Regardez les milliers de candidats qui se sont annoncés quand l’ESA a mis au concours quelques postes d’astronautes. Et regardez comme un pays peut être fier d’exhiber ‘son’ astronaute», ajoute Willy Benz.

Ensemble vers l’infini

L’exploration spatiale ne peut donc pas se passer de ces gouffres à milliards que sont les missions habitées. La Lune avait coûté 25 milliards de dollars (de 1969) aux Américains. Et demain, Mars pourrait bien en coûter cinq à six fois plus. Reste que sans elles, Willy Benz n’est «pas sûr du tout que l’on ferait autant de science qu’on en fait actuellement».

Car l’espace ce sont aussi nombre de missions inhabitées, robotiques. Et dans ce domaine, la nouvelle feuille de route de la NASA ne marquera pas de répit. Que ce soit pour sonder les objets proches, les confins du système solaire, ou plus loin encore, les profondeurs de l’infini.

La bonne nouvelle, c’est que la NASA va poursuivre et intensifier ses collaborations avec ses partenaires, principalement européens et japonais. Dans le programme scientifique 2015 – 2025 de l’ESA, sur les six missions principales encore en cours d’évaluation (cinq devraient être réalisées), il n’y en a qu’une qui ne soit pas une collaboration ESA-NASA

Les objectifs visés vont de Jupiter au Soleil, en passant par la quête de la fameuse énergie sombre, un des grands mystères de la physique actuelle.

«Si on veut faire des choses d’une certaine importance, ça coûte très vite très très cher. Et la seule manière logique de faire – en tout cas quand l’objectif est la science -, c’est en collaboration», note Willy Benz, qui se réjouit des relations «au beau fixe» entre l’Europe et les Etats-Unis dans le domaine spatial.

Quant aux autres acteurs de cette grande ruée vers le ciel, les collaborations existent certes (surtout avec les Russes), mais chacun des grands pays tient quand même a sa part d’orgueil national… toujours le prestige de l’astronaute.

Autant dire que le drapeau qu’un homme devrait planter dans quelques décennies dans la poussière rougeâtre de Mars risque de ne pas être encore celui de l’Agence spatiale mondiale.

Objectif Mars. Après l’abandon du projet lunaire Constellation, la NASA devrait envoyer des hommes se poser sur un astéroïde en 2025 et orbiter autour de Mars au milieu des années 2030, prélude à l’atterrissage sur la planète rouge, dont la date n’est pas avancée. La Lune est laissée aux Chinois et aux Indiens, qui espèrent s’y poser respectivement en 2020 et 2025.

Et au-delà. L’agence spatiale devra également poursuivre l’exploration du système solaire par les sondes automatiques, repérer des sites pour de futures missions habitées et maintenir un programme conséquent de recherche et d’analyse sur notre soleil, ses planètes, mais également sur l’univers et les lois naturelles fondamentales qui le régissent.

Quête de la vie. La feuille de route mentionne expressément «la recherche de corps célestes et de planètes semblables à la Terre autour d’étoiles lointaines» et la «compréhension des conditions qui pourraient favoriser le développement de la vie».

Plus près de nous. La NASA, avec ses partenaires russes, européens et japonais, continuera à exploiter la Station spatiale internationale (ISS) jusqu’en 2020 et au-delà. Avec la mise à la retraite des trois navettes qui lui restent, elle devra développer, en partenariat avec le secteur privé, un véhicule de remplacement, capable d’amener du matériel et des hommes en orbite basse et de les rapatrier sur Terre.

Astrophysicien. Né en 1955 à Neuchâtel, Willy Benz a étudié la physique à l’Université de Neuchâtel et passé sa thèse en astrophysique à Genève en 1984. Après une formation postdoc aux Etats-Unis, au Los Alamos National Laboratory et à l’Université de Harvard, il est nommé professeur assistant dans cette dernière en 1987.
Professeur à l’Université d’Arizona en 1994, Professeur associé à l’Université de Genève en 1995, puis Professeur à l’Université de Berne dès 1997, il en dirige depuis 2002 l’institut de physique.
Il est membre depuis 2003 du «Space Science Advisory Committee» de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et depuis 2004 du Conseil suisse de la science et de la technologie.

Comète. Son laboratoire a conçu l’expérience Rosina, embarquée sur la sonde européenne Rosetta, qui doit atteindre en 2014 la comète Churyumov-Gerasimenko. Elle analysera la composition chimique des gaz de la queue de la comète, tandis qu’une petite sonde tentera de se poser à sa surface.

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