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«Nous avons une démocratie courageuse, et cela me plaît»

"La confiance ne s’est pas envolée. La démocratie directe suisse est particulière: elle est caractérisée par l’action conjuguée de tous les acteurs", affirme la nouvelle présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga. Keystone

La nouvelle présidente de la Confédération plaide pour une culture politique qui «repose également sur le respect de ceux qui pensent différemment». Et même si certaines initiatives sont difficiles à concilier avec le droit international, le système fonctionne, affirme Simonetta Sommaruga à swissinfo.ch.

En 2015, la ministre de la Justice Lien externesera confrontée à un chantier majeur: la mise en œuvre de l’initiative sur l’«immigration de masse» adoptée par une courte majorité du peuple suisse en février dernier. Dans une interview écrite, elle souligne la difficulté de concilier à la fois le contrôle de l’immigration et le maintien de la voie bilatérale. L’UE a toutefois signalé son ouverture à la discussion, relève-t-elle.

La 5e présidente de la Confédération

Simonetta Sommaruga préside en 2015 le Conseil fédéral. L’Assemblée fédérale a élu la socialiste bernoise de 54 ans avec 181 voix valables sur 210. La responsable du Département fédéral de justice et police (DFJP) succède au conseiller fédéral libéral-radical Didier Burkhalter. La fonction est attribuée chaque année à un autre membre du Conseil fédéral. Simonetta Sommaruga est la cinquième femme à devenir présidente de la Confédération. Avant elle, Ruth Dreifuss (1999), Micheline Calmy-Rey (2007 et 2011), Doris Leuthard (2010) et Eveline Widmer-Schlumpf (2012) ont occupé cette fonction. 

swissinfo.ch: Il y a de plus en plus d’initiatives dont les exigences sont problématiques ou qui sont difficiles à mettre en œuvre, et cela conduit à des conflits avec le droit international. C’est le cas notamment de l’initiative sur l’immigration de masse. A votre avis, le droit d’initiative doit-il être restreint?

Simonetta Sommaruga: Effectivement, la mise en œuvre des initiatives populaires représente un défi lorsque de nouvelles dispositions inscrites dans la Constitution engendrent des tensions potentielles avec d’autres articles existants ou avec le droit international. C’est pour cette raison que diverses propositions de réformes sont actuellement en cours. Je le salue, car la démocratie directe a toujours besoin de telles discussions.

Je suis toutefois convaincue que ce ne sont pas les règles mais la culture politique qui est déterminante pour le fonctionnement de notre système. Nous avons besoin d’une culture politique qui repose également sur le respect de ceux qui pensent différemment, et ceci à tous les niveaux: au Conseil fédéral, au Parlement, au sein du Peuple. Dans notre démocratie, tous ces niveaux sont importants.

swissinfo.ch: Les mouvements populistes ont le vent en poupe partout en Europe. En Suisse aussi, la méfiance à l’égard de la politique établie augmente. Cela se constate notamment au travers des votations perdues par le Conseil fédéral et le Parlement. Comment comptez-vous regagner la confiance des citoyennes et des citoyens?

S.So.: La confiance ne s’est pas envolée. La démocratie directe suisse est particulière: elle est caractérisée par l’action conjuguée de tous les acteurs. C’est ce qui marque notre culture politique et nous évite d’avoir un fossé entre la population, le Parlement et le Conseil fédéral, même si les trois organes ne sont pas toujours d’accord.

Les citoyennes et les citoyens portent une grande responsabilité, et c’est ce qui est merveilleux dans notre système démocratique. Nous avons un système courageux, et cela me plaît. Les droits populaires directs ont été précisément adoptés pour donner du poids à ces voix qui n’auraient pas été entendues au-travers de la voie établie de la législation.

swissinfo.ch: La démocratie directe a également pour conséquence que la Suisse a perdu une partie de sa prévisibilité en tant que partenaire international. La démocratie directe est-elle devenue un désavantage concurrentiel?

S.So.: Non, au contraire des Etats qui sont confrontés à des changements réguliers de gouvernements, notre système démocratique est garant de stabilité. Les grands projets de réformes prennent certes du temps, mais à la fin, le compromis équilibré et largement soutenu qui en ressort résiste aux prochaines échéances électorales.  

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swissinfo.ch: Les Suisses de l’étranger s’inquiètent des menaces qui pèsent sur la libre circulation des personnes, qui est non seulement valable pour l’immigration mais également pour l’émigration. Pour l’UE, la libre circulation des personnes n’est pas négociable. Elle rejette résolument les contingents, alors que c’est précisément ce que demande l’initiative contre l’immigration de masse acceptée le 9 février 2014. Comment voulez-vous sortir le pays de cette impasse?

S.So.: Vous avez raison, la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse est exigeante. Le Conseil fédéral veut mettre en œuvre le mandat du corps électoral, soit la gestion indépendante de l’immigration. Dans le même temps, il souhaite également conserver la voie bilatérale.

L’UE a certes dit qu’elle ne voulait pas négocier sur les principes de l’accord de libre circulation des personnes. Mais elle a également indiqué qu’elle était ouverte à la discussion. C’est pour cette raison que le Conseil fédéral poursuit en parallèle les objectifs de politique intérieure et de politique extérieure. En janvier, il discutera d’un mandat de négociation avec l’UE et de la mise en œuvre de la législation.

swissinfo.ch: 2015 est une année électorale. Des Suisses de l’étranger se porteront candidats au Conseil national, mais ils n’auront pratiquement aucune chance d’être élus. Est-il pour vous envisageable que l’on donne de réelles chances électorales aux Suisses de l’étranger, en octroyant un nombre de sièges fixes à la Cinquième Suisse. Ou avez-vous une autre solution?

S.So.: Les Suissesses et les Suisses de l’étranger sont traités au niveau fédéral de la même manière que leurs compatriotes résidant en Suisse. Le Conseil fédéral a toujours encouragé les Suissesses et des Suisses de l’étranger à exercer leurs droits politiques. Il a par exemple récemment pris une nouvelle décision pour l’introduction progressive du vote électronique.

A l’heure actuelle, 135’000 Suissesses et Suisses de l’étranger sont inscrits dans un registre électoral et exercent leurs droits et obligations politiques. Je le salue vivement, car eux aussi font partie de notre pays et contribuent à sa diversité.

swissinfo.ch: La tragédie des migrants qui périssent en Méditerranée prend une ampleur dramatique. Que peuvent faire la Suisse et l’Europe pour stopper ce développement?

S.So.: Vous le mentionnez vous-même: la coopération européenne est déterminante. La Suisse s’engage fortement pour une politique migratoire commune, car elle ne peut pas faire grand-chose toute seule. Pour que les gens ne risquent pas le dangereux voyage à travers la Méditerranée, l’aide sur place est importante.

Nous devons également continuer à lutter vigoureusement contre le trafic d’êtres humains et les passeurs, qui exercent un commerce cynique avec les plus faibles. A l’avenir, les requérants d’asile devront être systématiquement questionnés à propos de ces activités criminelles afin de remonter les filières.

Et enfin, la Suisse a accueilli plusieurs milliers de Syriennes et de Syriens depuis le déclenchement de la guerre civile. Nous donnons une nouvelle perspective à ces personnes. 

Ministre et… pianiste

Simonetta Somaruga est née en 1960 à Zoug. Elle a grandi dans le canton d’Argovie. Son père est originaire du Tessin. En 1983, elle obtient un diplôme de pianiste au conservatoire de Lucerne. Elle étudie ensuite la littérature anglaise et espagnole à l’Université de Fribourg. En 1993, elle prend la direction de la Fondation pour la protection des consommateurs, dont elle devient présidente en l’an 2000. En 1986, elle adhère au Parti socialiste suisse. En 2001, elle signe un manifeste dans lequel elle propose une ligne plus libérale pour le parti, provoquant de vives réactions dans les milieux syndicaux et à l’aile gauche du parti. En 1993, elle est élue au Conseil national, puis en 2003 au Conseil des Etats. En 2010, elle est choisie par l’Assemblée fédérale pour succéder à Moritz Leuenberger au Conseil fédéral.  

(Traduction de l’allemand: Samuel Jaberg)

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