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Slava Bykov, de Fribourg à l’équipe nationale russe

Keystone

Avant de devenir entraîneur de l'équipe nationale russe, Slava Bykov a fait la gloire du HC Fribourg-Gottéron au début des années 90. Retour sur une histoire étonnante avec Jean Martinet, l'homme qui a réussi le «coup du siècle» en faisant venir la paire Bykov-Khomutov en Suisse.

«Slava Bykov est un personnage d’une modestie et d’une sobriété formidable. Les mots me manquent pour le décrire». Quand il parle de son ami Slava Bykov, Jean Martinet a des trémolos dans la voix. Vingt ans après leur première rencontre, les émotions sont toujours à fleur de peau.

Jean Martinet. Ce nom ne dit pas grand-chose aux non-Fribourgeois. Pourtant, il est intimement lié à ceux de Slava Bykov et d’Andreï Khomutov. En 1990, c’est en effet lui qui a réussi le plus incroyable transfert de l’histoire du hockey suisse en faisant venir les deux étoiles russes à Fribourg.

Comme Maradona au FC Fribourg

«J’avais accepté de prendre la présidence du club pour le sortir d’une situation très difficile. Un jour, Tino Catti, ancien joueur d’Olten et qui avait de bons contacts avec la Russie, m’a appelé pour me dire que Slava Bykov et Andreï Khomutov étaient libres».

Si la ligne Bykov-Khomoutov-Kamensky faisait la gloire du CSKA Moscou et de l’URSS à l’époque, la nouvelle n’était pas encore arrivée aux oreilles de Jean Martinet. «Je n’y connaissais pas grand-chose au hockey. Pour me convaincre, le célèbre gardien québécois Dan Bouchard m’avait expliqué que c’était un peu comme si Maradona était transféré au FC Fribourg!»

Convaincu de la nécessité de ramener les deux stars à Fribourg, au contraire d’autres clubs suisses également contactés, il monte 9 jours plus tard dans un avion pour Moscou. «Je me souviendrai toujours de la première rencontre avec Slava et Andreï. C’était le 21 février à 9h00 du matin au Soviet Center».

L’importance de la famille

Dans ses valises, il embarque photos de leur future maison, cartes de la région, descriptif des écoles pour les enfants, … Il vante également les attraits de la Suisse et notamment la brièveté des déplacements qui leur permettront de passer plus de temps à la maison.

«L’aspect familial a joué un rôle décisif. En Russie, ils ne voyaient que quelques jours par mois leur femme et leurs enfants. C’est ce qui a fait la différence avec les offres de clubs de NHL. L’argent n’était pas leur principal souci. Ils nous coûtaient même moins cher que des internationaux suisses!»

L’officialisation du transfert intervient le 21 mars 1990, soit quelques jours avant le coup d’envoi des Championnats du monde qui se déroulent en Suisse. «Nous voulions que tous les Suisses puissent les voir à l’œuvre en se disant que ces deux étoiles grifferaient les patinoires du pays en septembre».

Fribourg, ville russe

Dès leur arrivée, Fribourg est conquis. Une étonnante vague d’affection russe déferle sur la ville. A la patinoire, pleine à craquer, mais aussi dans les vitrines et aux fenêtres des habitations, les drapeaux soviétiques et russes sont omniprésents.

Dans ce canton catholique, il y a Dieu et Gottéron juste après, dit la légende populaire. «C’était encore plus vrai à cette époque. Monseigneur Mamie parlait même de Slava Bykov et d’Andreï Khomutov dans ses prêches à la cathédrale!»

Pour faciliter leur intégration, Jean Martinet fait installer Slava Bykov et Andreï Khomutov à quelques centaines de mètres de chez lui, à Marly, dans la banlieue de Fribourg. «On s’est beaucoup occupé d’eux au départ et c’est certainement une des raisons pour laquelle ils se sont si bien intégrés. Ils étaient pratiquement comme mes deux enfants. On allait même en vacances ensemble».

Pas de choc culturel

Si Bykov l’extraverti a appris beaucoup plus vite le français que Khomoutov l’intraverti, les deux joueurs n’ont pas eu trop de problème à s’acclimater à la Suisse. «On pensait que le choc culturel serait énorme. Mais en fait, ils avaient déjà fait plusieurs fois le tour du monde avec l’équipe d’URSS. Ils parlaient de Calgary comme je parle de Fribourg et de Tokyo comme je parle de Marly!»

Le choc culturel, c’est dans les vestiaires après les soirs de matches qu’il se manifestait le plus. «Ils n’arrivaient pas à comprendre comment certains joueurs pouvaient plaisanter après une défaite. Pour eux, c’était inconcevable».

Pourtant, les défaites, au début des années 90, Fribourg n’en a pas beaucoup connu. Sous la houlette du duo infernal, Gottéron se qualifie trois fois d’affilée pour la finale du championnat de Suisse. «Lors de soirées arrosées, Slava Bykov me racontait ses astuces. Il m’a expliqué comment il empêchait ses adversaires de lui piquer la rondelle avec sa canne qui mesurait pratiquement deux mètres.»

Une entente phénoménale

L’entente entre les deux joueurs russes était phénoménale. «Slava et Andreï avaient entre 600 et 700 schémas de jeu dans la tête. Lorsqu’un avait le puck, l’autre savait exactement où il devait se placer. C’était comme au théâtre. Si l’un d’eux oubliait la réplique, alors l’action ne fonctionnait pas».

Unanimement reconnu pour ses qualités de joueur mais également pour sa modestie et son fair-play exemplaire, Slava Bykov n’avait pourtant pas que des amis sur les patinoires du pays. Davos est allé jusqu’à offrir 100 francs pour chaque charge contre l’un des deux Russes. «Mais ils refusaient toute protection spéciale. Ils jouaient simplement avec le maillot sur les épaules».

Quand Gottéron a refusé de reconduire son contrat en 1998, Slava Bykov s’en est allé le cœur lourd terminer sa carrière à Lausanne. Avant de commencer une brillante carrière d’entraîneur, qui le mènera au CSKA Moscou puis à la tête de l’équipe nationale russe.

Simplicité et sobriété

Citoyen fribourgeois, Slava Bykov passe aujourd’hui la grande majorité de son temps à Moscou par obligation professionnelle. «Nos chemins se sont un peu séparés, la vie est faite comme ça. On se voit plus souvent à Québec ou à Moscou qu’à Marly, alors que nos maisons sont éloignées de 800 mètres. Mais Slava a toujours répété que la Suisse était sa deuxième patrie».

Jean Martinet souhaite que son ami Slava puisse célébrer un deuxième titre de champion du monde consécutif en tant qu’entraîneur de la Russie ce printemps en Suisse. Mais pour lui, l’essentiel, c’est qu’il reste toujours le Slava qu’il a rencontré il y a 20 ans.

«Je ne me fais aucun souci. Qu’il soit reçu par Poutine à Moscou ou par le syndic (maire) de Marly, le personnage reste identique. Avec sa carrière et les exploits qu’il a accomplis, je trouve cette simplicité et cette sobriété extraordinaires».

swissinfo, Samuel Jaberg

Débuts. Vyacheslav Bykov naît le 24 juillet 1960 à Chelyabinsk. Issu d’une famille modeste, il chausse pour la première fois des patins à l’âge de 8 ans. Dès son plus jeune âge, il compense sa petite taille par sa rapidité, son sens du jeu et ses qualités de passeur.

«KLM». A l’âge de 18 ans, il intègre l’équipe du Metallurg Tcheliabinsk (2e division) puis le Traktor Tcheliabinsk (1ère division). Dès 1982, il rejoint le CSKA Moscou, club de l’armée soviétique, où évolue la mythique ligne d’attaque «KLM» : Krutov-Larionov-Makarov. Sous la houlette du «tyran» Victor Tikhonov, il gagne 7 fois le championnat d’URSS.

Titres mondiaux. Au niveau international, il remporte le titre de champion du monde avec l’URSS (83, 86, 89, 90) puis la Russie (93). Il est sacré deux fois champion olympique, en 88 à Calgary avec l’URSS et en 92 à Albertville avec la Russie.

Fribourg-Gottéron. En 1990, le président Jean Martinet réussit le «coup du siècle» en faisant venir la paire Slava Bykov-Andreï Khomutov à Fribourg. Slava Bykov jouera 7 saisons avec son fameux maillot no90, inscrivant une moyenne de 2,02 points par match.

Lausanne. Il est sacré meilleur marqueur de LNA en 92, 93 et 94 mais ne décrochera jamais le titre de champion de Suisse malgré 3 finales consécutives. A l’expiration de son contrat avec Fribourg en 1998, il s’engage pour deux saisons avec le Lausanne Hockey Club.

Entraîneur. En 2002, il devient l’entraîneur du CSKA Moscou, en première division russe. Un poste qu’il vient de quitter en raison de la situation financière insatisfaisante du club. Reconnu pour ses qualités de meneur d’hommes, il est nommé en 2006 à la tête de l’équipe nationale russe. En 2007, il décroche la médaille du bronze au Championnat du monde. En 2008, son équipe remporte le titre mondial en battant le Canada en finale à Québec.

Vie privée. Slava Bykov est marié et père de deux enfants. Il a obtenu la nationalité suisse en 2003. La famille Bykov s’est installée à Marly, dans le canton de Fribourg. Macha, la fille âgée de 25 ans, travaille dans l’événementiel en Suisse allemande. Le fils, Andreï, âgé de 20 ans, est joueur professionnel au HC Fribourg-Gottéron.

– Jean Ammann, Slava Bykov, d’un bloc à l’autre, aux éditions La Sarine, 1997

– Philippe Ducarroz, Gottéron… la marche en avant! aux éditions MicroLaser Services SA, 1992

– Bernard Heimo, Félix Clément, Bykov-Khomutov, hockey passion, 1991

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