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Affaire Holenweger, un procès sous haute tension

Le banquier Oskar Holenweger se retrouve sur le banc des accusés après plusieurs années d'enquête. RDB

Huit ans après l’ouverture de l’instruction contre le banquier privé zurichois Oskar Holenweger, c’est le procès le plus politisé et le plus controversé que la Suisse a connu ces dernières années qui s’ouvre devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone. Rappel des faits et enjeux.

Véritable polar politico-judiciaire, les développements et multiples rebondissements de cette affaire, dite du banquier Oskar Holenweger, ont fait peser de lourds soupçons jusqu’au Parlement et au gouvernement. De plus, certains volets de l’enquête menée par le Ministère public de la Confédération (MPC) soulèvent une série de questions sur le fonctionnement de la justice suisse.

Ainsi, si tous les regards vont converger vers le banc des accusés, où apparaîtra un Oskar Holenweger resté imperméable aux sollicitations des médias durant ces huit années de sinueuse instruction, les méthodes du Parquet de la Confédération aussi pourraient être au cœur des débats.

Ou peut-être pas. Comme le souhaite à tout prix cette autorité, qui s’est battue afin d’éviter de produire les documents relatifs à un certain Ramos, à l’origine de l’affaire, en invoquant la haute confidentialité de ces documents.

Des barons de la cocaïne

Tout avait commencé au cours de l’été 2003, lorsque l’ancien trafiquant de drogue colombien Juan Manuel Ramos, engagé comme «personne de confiance» par le Ministère public de la Confédération, accuse Oskar Holenweger de blanchir les millions de certains barons de la cocaïne. L’agent infiltré du MPC assure aussi que le banquier zurichois aurait déjà «travaillé» pour Pablo Escobar.

Mais il faut des preuves. Le Ministère public de la Confédération décide alors de recourir à un ancien policier allemand, qui dépose quelque 830’000 euros sur un compte de la Tempus Bank, propriété d’Oskar Holenweger et propose à ce dernier de blanchir de l’argent provenant prétendument du trafic de drogue.

Ce que le banquier privé aurait accepté de faire. Oskar Holenweger est arrêté le 11 décembre 2003 et placé en détention préventive durant 7 semaines. Après quoi, il sera obligé de vendre son établissement.

Rebondissement inattendu

Mais l’enquête pour recyclage de narcodollars tourne court, sans pour autant que l’instruction contre le banquier soit abandonnée. Cette fois, les révélations d’une employée de la banque conduisent les enquêteurs vers les caisses noires d’Alstom, et qu’Oskar Holenweger aurait gérées pour le compte du groupe industriel français.

Il est question de millions de francs que le banquier zurichois aurait fait transiter sur des comptes off shore, au nom de sociétés écran, qui établissaient des contrats fictifs et des fausses factures. Le but était de corrompre des fonctionnaires étrangers pour permettre à Alstom de décrocher des marchés.

Des malversations présumées qui valent aujourd’hui à Oskar Holenweger de répondre de faux dans les titres et de gestion déloyale qualifiée (pour 9 millions de francs), de blanchiment de valeurs patrimoniales et de corruption d’agents publics étrangers. Le chef d’accusation de recyclage d’argent de la drogue a été en revanche abandonné.

Documents trop secrets

Entre temps, la justice française a classé le volet des caisses noires d’Alstom, le 19 octobre 2009, mais l’affaire et surtout l’implication de l’accusé reste d’actualité pour le Parquet de la Confédération.

Le rôle de Ramos ainsi que celui joué par le policier allemand infiltré, et surtout les méthodes utilisées par les limiers du MPC au début de l’enquête, ont été remis en question par l’avocat de la défense, Lorenz Erni.

Le célèbre ténor zurichois (Roman Polanski, Viktor Vekselberg, Corinne Mauch, Philippe Bruggisser, Moritz Suter), avait demandé que les actes relatifs à Ramos soient impérativement inclus dans le dossier d’instruction remis au TPF, ce qu’avait également exigé le juge Peter Pop.

Des requêtes finalement rejetées par la Cour des Plaintes, alors que de nombreux médias alémaniques en particulier, continuent de critiquer cette posture. De fait, l’épais acte d’accusation du MPC ne fait à aucun moment allusion à la taupe colombienne.

 

Parquet sous pression

A quelques jours du début du procès, le magazine alémanique Weltwoche, qui suit l’affaire Holenweger depuis ses débuts et qui avait révélé l’existence et l’engagement de Ramos voulue par le MPC, vient de publier des extraits de procès-verbaux confidentiels.

Des documents compromettant pour le Parquet de la Confédération et son directeur, Erwin Beyeler, puisqu’ils tendent à prouver l’existence d’une corrélation entre l’affaire jugée à Bellinzone et les «services» rendus par Ramos.

Avant de reprendre la direction du Parquet, Erwin Beyeler avait été à la tête de la police judiciaire fédérale, et partant, impliqué dans l’opération d’infiltration du trafiquant colombien voulue par l’ancien procureur Valentin Roschacher et qui avait conduit à la mise à l’écart de ce magistrat, aujourd’hui reconverti à la peinture.

Pour rappel, l’affaire Ramos-Roschacher avait aussi contribué à l’éviction du ministre de la Justice Christoph Blocher. Ce dernier avait ouvertement été accusé de complot par la commission de gestion de la Chambre basse, présidée à l’époque par la députée Saint-Galloise Lucrezia Meier-Schatz.

Vers un nouveau camouflet?

La commission avait estimé qu’un complot avait été mis en place pour évincer le procureur général, Valentin Roschacher et que le ministre Christoph Blocher y avait participé. Aucune preuve ou faisceau d’indices concret n’avait néanmoins pu être démontré par les auteurs de cette thèse.

Si, au terme de ce procès, qui devrait durer une semaine, la Cour du TPF, présidée par le juge Peter Pop, devait conclure à l’innocence du prévenu, le verdict pourrait résonner comme un énième camouflet sonore pour le MPC.

Doté d’effectifs renforcés et de nouvelles compétences en matière de crime organisé et de délits économiques le premier janvier 2002, le Ministère public de la Confédération a enchainé les défaites jusqu’ici. Et à la veille de ce retentissant procès, la pression ne cesse de monter.

L’instruction a été ouverte en 2003.

Près de 8 ans d’enquête, plus de 100 classeurs fédéraux, sont résumés dans un acte d’accusation de 61 pages, paraphé par le procureur Lienhard Ochsner.

Avant même d’être jugée, l’affaire Holenweger aura déjà coûté quelque 15 millions de francs au contribuable.

C’est le montant estimé par l’hebdomadaire Sonntag et qu’ont coûté les salaires des quelques 200 personnes et fonctionnaires mobilisés par l’instruction.

Une somme trois fois supérieure au frais engendrés par l’effondrement de l’empire financier de Werner K. Rey.

Si la Cour du TPF ne retient pas les chefs d’accusation contre le banquier zurichois, celui-ci pourrait alors demander des dédommagements pour les torts subis.

Ce dernier a laissé entendre avoir dépensé plus d’un million de francs pour assurer sa défense jusqu’ici.

Parmi les nombreux coups de théâtre qui ont marqué cette affaire, il y a eu le départ du juge d’instruction chargé de l’affaire, Ernst Roduner.

Victime d’un surmenage psychologique, le magistrat s’était adressé à lui-même un

faux fax de menaces

. Il avait été contraint de quitter ses fonctions après avoir été condamné.

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