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Big Google is watching you – vraiment?

Le fameux Zytglogge, attraction touristique de Berne, tel qu'on le voit sur Google street view. Google Street View

Chacun peut désormais visiter la Suisse au ras du sol sur son ordinateur. Les milieux du tourisme sont ravis, ceux de la protection des données un peu moins. Au point que quatre jours après sa mise en ligne, le préposé fédéral demande le retrait de Google street view.

Les habitués connaissaient déjà les balades virtuelles sur les quais de la Seine ou dans les highlands d’Ecosse avec les photos au ras du sol de Google, qui ajoutent la troisième dimension aux programmes «maps» et «earth» du numéro un des moteurs de recherche.

Depuis ce mardi 18 août, les Suisses peuvent aussi aller y voir leur maison, leur bistrot favori, leur prochain but d’excursion, voire leur chalet de montagne… et peut-être y reconnaître leur voisin.

En principe, tous les visages et toutes les plaques de voiture sont «floutés» (rendus flous) pour que personne ne soit identifiable. Mais la technologie employée par Google n’est pas infaillible et certaines personnes sont reconnaissables. Des personnes qui ne souhaitaient pas forcément toutes voir leur image accessible au monde entier via Internet.

Retrait immédiat

Ce sont ces «bugs» qui ont amené le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence Hans-Peter Thür – qui avait pourtant donnée son feu vert dans un premier temps – a exiger vendredi le retrait immédiat du service.

«Les nombreuses informations reçues du public et les recherches effectuées démontrent que Google street view ne respecte pas les conditions fixées […] de nombreux visages et plaques d’immatriculation n’étaient pas ou insuffisamment floutées», écrit le préposé dans une communiqué diffusé en fin de journée

En conséquence, Hans-Peter Thür «exige de Google d’améliorer le service et d’assurer que les images publiées soient conformes à l’ordre juridique suisse», et annonce qu’il rencontrera au début de la semaine prochaine les représentants de Google.

L’Allemagne et la Grèce plus pointilleuses

Avant cela, le Zurichois Bruno Baeriswyl, président de Privatim, l’association des commissaires suisses à la protection des données, s’était inquiété du non respect d’un autre élément: celui de l’information préalable des habitants.

«Il existe une directive européenne, dont l’application varie d’un pays à l’autre, explique le préposé du canton de Zurich. En Allemagne, les gens doivent être prévenus avant que les photos soient prises, ou en tous cas avant qu’elles soient mises en ligne».

Mais même cette précaution n’offre pas de garantie absolue. La plupart du temps en effet, Google se contente de prévenir du passage des ses voitures via Internet. Les préposés allemands à la protection des données ont donc demandé au géant informatique de faire un effort de communication. Pour l’heure, l’Allemagne n’est d’ailleurs pas encore visitable via Google street view.

En Grèce par contre, les «Google cars» – ces Opel Astra surmontées d’un appareillage compliqué qui permet de prendre des photos à 360° – ne sont pas encore admises à sillonner les routes du pays. L’autorité locale de protection des données veut d’abord en savoir plus.

En France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) s’est inquiétée quant à elle du sort des images «brutes» (avant floutage des visages et des plaques de voiture), que Google conserve même après la mise en ligne des images floutées.

A la demande du groupe européen des autorités de protection des données, Google s’est engagé publiquement, en juin 2009, à ne plus conserver indéfiniment ces images brutes. Cependant, aucune durée de conservation n’a été déterminée pour l’instant et la CNIL attend encore les propositions de Google.

Des millions d’images brutes

«Nous attachons la plus grande importance à la protection des données et nous respectons toujours la loi des pays où nous travaillons», affirme Matthias Meyer, porte-parole de Google Suisse, tout en admettant volontiers que la technologie du floutage a encore des ratés, «comme toute nouvelle technologie».

«Notre logiciel est très efficace, mais il lui arrive de flouter ce qui ne devrait pas l’être ou de rater des choses qui devraient être floutées, explique l’homme de Google. Nous sommes constamment en train d’améliorer ce logiciel pour rendre notre floutage plus efficace, et c’est pour cela que nous avons besoin de garder les images brutes, non floutées».

A ce sujet, Matthias Meyer confirme que Google est en discussions avec le Groupe de travail Article 29 sur la protection des données de la Commission européenne en vue de fixer un délai pour le floutage définitif des millions d’images brutes que le géant américain conserve dans ses serveurs.

L’Oncle Sam vous regarde

Pour Sébastien Fanti, avocat spécialisé dans les questions relatives à Internet, c’est bien là que réside un des principaux problèmes.

«Dans leurs conditions générales, il est prévu que ces entreprises américaines comme Google ou Facebook doivent céder à n’importe quelle agence gouvernementale, sur simple requête et sans l’intervention d’un juge, toutes les données collectées dans tous les pays du monde Et si la CIA demande à voir ce qui se passait à Zurich ce printemps, Google ne va pas lui donner les images floutées».

«Il faut bien se rendre compte que les Etats-Unis sont un pays en guerre. Tant qu’on n’aura pas compris le traumatisme qu’ils ont vécu le 11 septembre 2001, on ne pourra pas comprendre leur état d’esprit, poursuit l’avocat, qui prépare un livre sur les relations entre la CIA et les sociétés Internet. En 2002, suivant l’adoption du Patriot Act [loi d’exception anti terroriste, ndlr], ils ont mis sur pied la plus grande base de données du monde, qui se nourrit de toutes les bases de données des sociétés américaines».

Pour Sébastien Fanti, le retrait d’une image pas ou mal floutée tel que le promet Google à qui se sentirait atteint dans sa sphère privée, n’est pas suffisant. D’ailleurs, résume le bouillant avocat valaisan, «Google prend les meilleurs engagements du monde, mais le jour où vous avez un problème avec eux, vous pouvez toujours vous brosser pour qu’ils vous répondent».

Photos du passé

De son côté, Matthias Meyer ne nie pas que Google collabore avec les autorités. Il cite notamment le cas de ces cambrioleurs arrêtés aux Pays-Bas parce qu’ils avaient eu la mauvaise idée de sortir par une fenêtre juste sous le nez de la Google car qui passait dans la rue.

De là à dire que Google surveille le monde, à l’image du «Big Brother» imaginé par George Orwell dans 1984… «Ce que nous mettons en ligne ce sont des photos du passé, rappelle le porte-parole du géant américain. Ces photos sont fixes, ce ne sont pas des images qui bougent, et rien n’est diffusé en temps réel».

Marc-André Miserez, swissinfo.ch

Pegman. C’est le nom du petit personnage ressemblant à une pince à linge (d’où son nom) qui apparaît à gauche de l’écran dans les applications Google Maps ou Google Earth. S’il est gris, vous êtes au-dessus d’un steppe d’Asie centrale, du grand nord canadien ou de la pampa argentine. Pas moyen de descendre au niveau du sol.

Orange. C’est la couleur que prend Pegman si vous «survolez» les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Suisse, l’Australie ou le Japon. Prenez alors le petit personnage en maintenant enfoncé le bouton de la souris et baladez-le au-dessus du pays.

Bleu. Toutes les routes que vous allez pouvoir parcourir apparaissent de cette couleur. Il suffit alors de poser l’«ombre» de Pegman (cercle vert) sur l’endroit où vous voulez aller, et vous y êtes, comme un piéton qui se serait matérialisé dans un univers figé, mais néanmoins très réel.

Au pas. De là, vous pouvez tourner sur vous-même à 360°, regarder en l’air (jusqu’au ciel) et bien sûr, vous déplacer. Pour ce faire, vous suivez les axes que Google a dessiné au milieu des rues et des routes. Si l’on utilise les flèches pour l’avance image par image, chaque «pas» fait environ 10 mètres. Une fois que l’on s’est habitué au flou entre deux images, qui donne un peu l’impression d’avancer au pas du chameau, l’effet est saisissant. On peut aussi aller plus vite en double-cliquant directement l’endroit où l’on veut se voir transporté.

La Suisse bien servie. Dans la plupart des pays couverts, le service est surtout centré sur les grandes villes et leurs environs immédiats. En Suisse par contre, les voitures photographiques de Google ont parcouru nombre de routes de campagne, surtout en Romandie, dans le Jura et dans les cantons de Berne et de Zurich. Même si le Tessin et les Grisons sont pour l’heure un peu oubliés, le réseau Google street view en Suisse apparaît plus dense que partout ailleurs, Etats-Unis exceptés.

Depuis l’arrivée de Google street view, les internautes s’en donnent à cœur joie pour traquer les photos insolites, dérangeantes ou cocasses, que certains sites se font fort de regrouper en galeries.

Cela va des hommes se soulageant contre une palissade aux OVNIs dans le ciel, en passant par la biche que le conducteur de Google a écrasé sur une route forestière.

Plus problématique: le couple facilement reconnaissable qui s’étreint en pleine rue (sont-ce vraiment Monsieur et Madame ?) ou la voiture garée devant un sex-shop ou un salon de massage (mais qu’est-ce qu’il pouvait bien faire là ?)

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