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Cinq mois de «vacances» à l’alpage

Valérie et Frank passent leur deuxième été dans la vallée du Gros-Mont. swissinfo.ch

Valérie et Frank, deux jeunes «de la ville», travaillent comme bergers cinq mois par an en Gruyère (Fribourg) et n'échangeraient pour rien au monde leur mode de vie ancestral.

Pas d’électricité, cuisine au bois, lessive à la main. Ils ont choisi cette vie par amour des bêtes, alors que les éleveurs ont de plus en plus de peine à trouver des gardes-génisses.

Pour arriver à l’alpage du Plan-du-Mont, on quitte la route Charmey-Jaun pour un chemin escarpé, avec éboulis, ornières, virages en épingle à cheveux, cascade grondante et… presque pas moyen de croiser un autre véhicule.

En haut, la vallée du Gros-Mont est une vaste cuvette verdoyante surplombée de montagnes rocheuses: les Trois Pucelles, la Dent de Brenleire, la Dent de Folliéran, etc. La piste, devenue caillouteuse, mène au «chalet à vaches» de Valérie et Frank. C’est le deuxième été qu’ils passent au Plan-du-Mont, avec une centaine de génisses, le chien et quelques chèvres.

C’est le travail qui compte

Lui, Frank Bongard, 34 ans, a des dreadlocks jusqu’au milieu du dos. «Ici, c’est le travail qui compte, répond Frank. Les gens ont pu voir qu’on est vigilant avec nos bêtes, qu’on entretient bien le pâturage, et ils nous acceptent. Il y a une grande solidarité: on est peu et on s’aide.»

C’est elle, Valérie Bovet, 25 ans, qui a commencé. En 2003, son diplôme d’institutrice en poche, elle est invitée dans un alpage. C’est le coup de foudre. Depuis, de mai à octobre, chaque année elle est en haut, avec un salaire d’environ 100 francs par tête. L’hiver, elle fait des remplacements dans les écoles.

«Au début de saison, il faut faire connaissance avec les bêtes. Il faut apprivoiser celles qui sont élevées en stabulation (confinement) et qui n’ont pas l’habitude d’avoir un collier et une cloche autour du cou ou d’être attachées dans l’étable.»

Dangereux pour une petite jeune femme? «C’est impressionnant, les génisses, c’est vrai. Mais si on baisse la tête, le regard, si on va doucement, comme elles, sans gestes brusques, elles vous suivent. Il suffit de se faire un peu vache et on fait partie de la famille!»

Pas de machine à timbrer

En 2005, Valérie a rencontré Frank. Boucher de formation, il a été déçu par les entreprises industrielles et a ensuite travaillé dans le secteur laitier. Maintenant il est berger l’été et «fait des boulots» l’hiver. Il est aussi musicien et prépare un CD.

«J’aime vivre hors du système. Ici, on a notre rythme, on travaille beaucoup mais sans pression. Il y a les surprises de la montagne mais il n’y a pas de machine à timbrer», raconte-t-il à swissinfo.

Les bêtes aussi ont besoin de calme: «Elles sont ici en vacances pour cinq mois et mon but est qu’elles pensent à nous tout l’hiver!»

Blague à part, Frank a du respect pour «nos ancêtres qui ont transporté les charpentes à dos de mulet pour construire ces chalets». Pour lui, c’est important de continuer d’entretenir la montagne et, de manière générale, la tradition.

Le matin, il faut rentrer les génisses et, parfois, aller les chercher au bout du pâturage. Puis il faut les attacher dans l’étable avant la chaleur. Cela prend deux heures.

Chaque bête est contrôlée chaque jour, il y a parfois quelques piqûres à faire. Il y a aussi la vérification et l’entretien des clôtures et du sol. En fin d’après-midi, les bêtes sont ressorties et il faut nettoyer les étables. Cette année, il n’y a pas de vaches à traire mais il y a les chèvres. Valérie fait de succulentes tommes.

N’est pas armailli qui veut

Et faire du fromage, comme les vrais armaillis? Cela lui plairait bien, à Frank, mais c’est devenu compliqué depuis que les fromages fribourgeois sont soumis aux exigences de l’Appellation d’origine contrôlée (AOC).

«Il n’y a pas beaucoup de jeunes qui ont le courage de se lancer, car c’est un travail lourd et il faut une bonne formation. Et si votre fromage a des fentes, ou des trous, ou s’il est trop salé, il est déclassé et vous ne gagnez plus rien, c’est ingrat.»

«Pour l’instant, on fait nos petits fromages de chèvres et on apprend», conclut sagement Valérie. Qui n’exclut pas de fonder une famille («jusqu’à la scolarité, pas de problème») ou alors d’aller voir ailleurs: «Par exemple dans les Grisons, ou les Pyrénées, il y a des montagnes partout!»

Là, les familles sont moins convaincues, ajoute la jeune femme. «Ils seraient tristes de ne plus pouvoir venir nous voir.» Son grand-père, instituteur, lui a avoué qu’être paysan avait été son rêve d’enfant. «Moi j’ai fait le chemin inverse…» conclut-elle dans un rire de bonheur.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

Selon les archéologues fribourgeois, il y a 10’000 ans, des bergers montaient déjà en été dans les vallées entourant le massif de la Hochmatt, entre Charmey et Jaun.

Dès le haut moyen-âge, on se mit à exploiter les vallées alpines jusqu’à 2500 m d’altitude pour répondre à la croissance du cheptel en produisant du foin et en envoyant les vaches en estivage de mai à octobre.

Depuis l’antiquité, la Gruyère produit du fromage. Durant la période de végétation, les bergers d’alpage (armaillis) transforment le lait des troupeaux.

En 2002, la Confédération a versé près de 90 millions de francs de contributions d’estivage à 7527 exploitations possédant en tout 600’000 hectares de pâturages.

Le gruyère, fromage au lait de vache à pâte dure obtient le statut d’appellation d’origine contrôlée (AOC) en 2001. Il est fabriqué dans les cantons de Fribourg, Vaud, Neuchâtel, Jura et Berne.

Le vacherin fribourgeois, fromage au lait de vache à pâte mi-dure (pressée non cuite), est fabriqué dans le canton de Fribourg et a obtenu l’AOC en 2005.

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