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Des fusils d’assaut suisses à… Versailles

Au stand de tir de Versailles, les tireurs suisses ont leurs entrées. swissinfo.ch

En Suisse, presque chaque commune a son stand de tir. En nombre d'adhérents, c'est l'activité favorite des Helvètes, avec la gymnastique. Depuis presque un siècle, les Suisses de Paris tirent eux aussi, avec armes et munitions de l'armée. Reportage.

Le gardien s’approche de moi, un casque sur les oreilles: «vous n’avez pas le droit d’être là». Petite hésitation puis un sourire «ah, si vous êtes avec les Suisses… alors ça va».

Au stand de tir de Versailles, «les Suisses» comme on les appelle, sont connus. Ils ont leur QG ici, à quelques centaines de mètres du château des rois de France. C’est là qu’ils entreposent leurs armes et se réunissent, une fois par mois environ, pour tirer.

Au rendez-vous, ce matin, une dizaine d’hommes. Il y a le professionnel venu vérifier que sa main ne le trahit pas: Jacques Dousse, l’attaché de défense à l’ambassade suisse de Paris, venu s’entraîner au fusil et au pistolet. Il y a le trentenaire sorti du lit par son père et qui aurait préféré passer son samedi à faire la grasse matinée. Mais aussi le fonctionnaire postal qui «aime bien jouer aux petits soldats avec des armes ». Ou encore le spécialiste du matériel, Jean, 80 ans, qu’on appelle lorsqu’un fusil s’enraie. C’est lui qui nettoie toutes les armes à la fin de la séance, parce qu’il «adore ça».

Au total, la société de tir suisse de Paris compte une trentaine de membres dont la moitié de Suisses ou de binationaux.

L’odeur piquante de la poudre

On les repère de loin au bruit sec des fusils. Comme le stand de tir se trouve à Versailles, il fait penser aux illustrations de chasse à courre dans les livres d’histoire… Retour à la réalité à l’intérieur, avec l’odeur piquante de la poudre. «Le tir, c’est quelque chose de familial. Si quelqu’un vous initie au goût des armes et de l’histoire, ça marche à tous les coups», raconte Jean Gabriel Ceccarelli, un Marseillais adopté par la société suisse. «Ma fille cadette est ingénieur, elle vient tirer avec moi dès qu’elle est à Paris».

La séance suit son cours tranquillement. Couchée à plat ventre, j’apprends à viser : un œil fermé, concentrée sur l’extrémité du fusil et non sur la cible… et tirer, tout doucement. Je me sens gauche, inquiète de poser mes doigts n’importe où sur une arme. A côté, deux autres tireurs s’entraînent, pendant que leurs compagnons notent leurs résultats. A la dixième balle: en plein dans le mille! «Ah, les filles sont toujours meilleures!», s’exclame mon professeur, tout fier.

Les Suisses tirent à 300 mètres, la plus longue distance de compétition, «et à l’œil nu, pas comme ces Français à côté qui utilisent des lunettes», se moque l’un des nôtres. Entre deux déflagrations, on m’énumère les armes: le mousqueton 31, un fusil 57 et un fusil 90 – les chiffres représentent les années de fabrication. «C’est la Rolls-Royce de la profession», s’exclame Jean Gabriel, «ces armes suisses sont d’une conception et d’une fabrication parfaites. C’est un honneur de tirer avec…»

Des armes de guerre

Tirer avec des fusils d’assaut, les mêmes que l’armée suisse, c’est l’un des privilèges des membres de la société. A côté d’eux, les groupes de tireurs français doivent se contenter de carabines de compétition: les armes de guerre ne sortent pas des casernes.

Les Suisses ont donc droit à un traitement de faveur avec leurs armes et munitions délivrées par la Confédération. Pas facile pour autant d’expliquer aux autorités locales qu’en Suisse, tirer au fusil d’assaut est une activité traditionnelle très courante: «C’est de l’importation de matériel de guerre étranger, du coup il nous faut toute une journée pour le dédouaner à Roissy», explique le président de la société. «Et encore, avant c’était pire: on devait tout faire venir par train. La SNCF nous facturait un wagon entier même si on n’avait que deux boîtes de cartouches!»

Le charme du tir à la mode helvétique, c’est ce qui a attiré Didier Ferré. Ce français a fréquenté plusieurs clubs avant de se laisser séduire par la carabine suisse.

Aujourd’hui il gère la société: «c’est un tir populaire, où tous les participants ont la même arme, les mêmes munitions. Du coup, c’est vraiment le meilleur qui gagne! Dans les clubs de tir français, on observe une course au matériel, et donc à l’argent. Au final, c’est le plus riche, celui qui peut s’acheter le meilleur fusil, qui aura plus de chances d’atteindre la cible…»

La culture du fusil

Tir en campagne, tirs obligatoires: l’organisation de la société de Paris ressemble à celle des stands suisses. La seule différence – à part l’absence de carnotzet ! – c’est la moyenne d’âge. Ici, beaucoup de seniors, quelques trentenaires, mais pas un seul mineur. Logique: la société ne fait pas de formation, au contraire des stands de tir suisses qui accueillent les jeunes pour les préparer à leur école de recrue.

Pas de novices – cette position, assumée par les organisateurs, est censée éviter les têtes brûlées: «si vous êtes un rambo ou un néo-fasciste, ce n’est pas ça qu’il vous faut. Nous, on a une discipline. Les Suisses ont la culture du fusil, comme les Japonais avec le tir à l’arc».

Alors, ces descendants de Guillaume Tell trouvent-ils bizarre de tirer avec des armes suisses à Versailles, la ville symbole de l’Etat français centralisé, jacobin? Pas du tout: «c’est un retour aux sources: il y avait plein de gardes suisses à la cour de Louis XIV», rétorque le commandant de corps Jacques Dousse. Et avec le sourire, il pointe du doigt le parc jouxtant le stand de tir: «et regardez ce bassin à côté, c’est justement la ‘Pièce d’eau des Suisses’».

swissinfo, Miyuki Droz Aramaki, Paris

– Les sociétés de tir sont une tradition suisse qui remonte au Moyen-âge. A l’instar des chorales et des clubs de gymnastique, il en existe dans quasiment toutes les communes du pays.

– A la base, elles ont surtout pour but de familiariser les jeunes avec les armes et le tir avant l’école de recrues mais leur côté social et sportif est aussi mis en avant.

– Une autre de ses fonctions est de servir de lieu d’entraînement pour les hommes de l’armée de milice. C’est au stand de tir qu’ils effectuent leur «tir obligatoire», leur entraînement minimum annuel avec leur arme de fonction.

– On y tire au pistolet et au fusil, avec des armes et des cartouches de l’armée.
Il existe des sociétés de tir suisse dans plusieurs pays; Les plus importantes sont situées en France, aux Etats-Unis, au Canada et en Nouvelle-Zélande.

– Les tireurs participent à plusieurs concours: le tir cantonal, le tir en campagne ou encore, tous les cinq ans, le tir fédéral.

– Cette compétition est l’une des plus importantes rencontres de tir au monde. Elle réunit tous les tireurs du pays et ceux de l’étranger qui ont fait le déplacement, soit quelque 60’000 personnes. La dernière édition a eu lieu en 2005 à Frauenfeld (Thurgovie).

– Les Suisses de Paris tiraient depuis les années 1860 au sein de la société suisse de gymnastique de Paris, disparue depuis.

– La société en tant que telle est issue de la section de tir qui s’organise en 1907 à Maison-Laffitte.

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