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Ecoles: l’Etat doit-il surveiller les parents?

Si un enfant n'arrive pas reposé à l'école, ses parents pourraient être amendés dans le canton de Bâle-Ville.

Bâle-Ville s'attire de nombreuses critiques avec son projet de sanctions contre les parents qui refusent de collaborer avec les écoles. Mais malaise il y a: tous les cantons cherchent en effet à responsabiliser les parents.

Le demi-canton de Bâle-Ville, qui ne compte, outre Bâle, que deux petites communes, essuie les critiques depuis qu’il a fait savoir que les parents qui rechignent, de façon répétée, à assumer leurs devoirs éducatifs pourront être mis à l’amende.

Parmi ces devoirs figurent aussi l’obligation de faire en sorte que les enfants arrivent à l’heure à l’école, nourris et reposés. Depuis, les réactions fusent, quasi unanimes: «Les amendes ne servent à rien!»

Pourquoi tant de haine? Car la chose n’est pas nouvelle. Les amendes existent déjà, sur le papier, dans de nombreux cantons, qui sont peu ou prou tous dotés de lois scolaires prévoyant les droits et devoirs des parents.

Il y a urgence

Si Bâle-Ville a frappé les esprits, c’est par le détail mis à préciser les devoirs des parents. «Mais nous avons aussi considérablement élargi les droits des parents», s’exclame Hans Georg Signer, responsable de la formation au Département de l’instruction publique de Bâle-Ville.

Ainsi, leur droit à être informé sera inscrit dans la loi et la possibilité de conseils de parents sera étendue à tous les niveaux scolaires.

Pour le responsable bâlois, il y a urgence. «Les enseignants n’en peuvent plus de se disputer avec les parents parce que leur enfant dort à l’école ou parce qu’ils ne viennent jamais aux réunions. Nous voyons aussi, dès l’école enfantine, d’incroyables déficits, physiques notamment.»

Si ces difficultés ne sont pas explicitement le fait de migrants, «l’origine est un élément, mais seulement en combinaison avec le statut socio-économique», relève Hans Georg Signer.

Un retard qui ne se rattrape plus

Président de l’Association des enseignants alémaniques (LCH), Beat Zemp confirme que «beaucoup d’enfants commencent l’école en ayant déjà manqué un nombre incroyable de choses». A ses yeux, il est évident que «l’Etat a une responsabilité envers les enfants avant leur entrée à l’école, au nom de l’égalité des chances.»

Du côté des associations de parents, la critique est surtout forte contre les sanctions. «Les amendes sont un signe d’impuissance», critique ainsi Maya Mulle, responsable du centre Collaboration parentale à Zurich.

Seule une minorité de parents posent problème, ajoute-t-elle. «Une partie d’entre eux aurait seulement besoin de savoir comment le système scolaire fonctionne, car les personnes socialement défavorisées n’ont pas les moyens de s’informer.»

Dimension préventive

Bâle-Ville, qui veut aussi détecter avant l’école enfantine les enfants ayant besoin d’apprendre l’allemand, inaugure-t-il une intrusion insupportable dans la sphère privée des familles, comme le pense notamment l’Union démocratique du centre (UDC, droite nationaliste) ?

Ce n’est pas l’avis de la psychologue Annette Cina Jossen, de l’Institut de recherche et de conseil dans le domaine de la famille de l’Université de Fribourg, qui salue la démarche.

«Toute mesure permettant de donner une chance aux enfants, le plus tôt possible, permet de prévenir des difficultés plus tard. Le risque de délinquance est plus grand chez les enfants qui ne réussissent pas à l’école. En outre, un enfant qui n’a pas mangé ou est fatigué ne peut se concentrer. Il perturbera peut-être, ce qui a des conséquences pour les autres enfants.»

Pour Maya Mulle, la recherche du dialogue, sous toutes ses formes, doit primer. «Informer à propos de l’alimentation, du repos, d’une place de travail adéquate pour faire ses devoirs, c’est bien. Mais il ne faut pas oublier qu’il est parfois difficile de forcer un adolescent à prendre son petit déjeuner. On ne peut pas simplement dicter une conduite, dans ce domaine, et sanctionner si les parents n’y arrivent pas.»

Pas à l’ordre du jour en Romandie

Si la Suisse romande ne connaît pas, selon Georges Pasquier, président du Syndicat des enseignants romands (SER), d’initiative axée sur les sanctions, les relations entre parents et écoles ne sont pas au beau fixe pour autant. Cependant, ajoute-t-il, «ces problèmes occupent les congrès de notre associations depuis des décennies…»

Georges Pasquier rappelle que «le taux de réussite des élèves est plus élevé lorsqu’une confiance réciproque existe entre enseignants et parents. Mais ce n’est pas en légiférant davantage qu’on créera cette confiance…»

Et les parents trop présents?

Le responsable bâlois Hans Georg Signer tente un résumé: selon lui, l’école est confrontée à deux types d’éducation déficiente.

«D’un côté, il y a des petits enfants qui regardent la télévision jusqu’à point d’heure ou doivent s’occuper de tâches ménagères, comme ces petites filles qui sont des mères de substitution pour leurs cadets.»

«De l’autre côté, certains parents ont trop d’ambitions pour leurs enfants. Ceux-là reproduisent, sans la filtrer, la pression à la qualification existant dans notre société et exigent de l’école un encouragement individuel permanent. C’est aussi une forme de négligence des enfants et nous devrons aussi nous occuper de ce problème.»

swissinfo, Ariane Gigon, Zurich

La nécessité d’intégrer davantage les parents dans la relation avec les enseignants est devenue urgente, en Suisse, après le meurtre d’un enseignant st-gallois par le père d’une élève, il y a dix ans, le 11 janvier 1999.

Les associations d’enseignants avaient créé un groupe de travail qui avait élaboré 50 mesures, dont la possibilité de sanctions. St-Gall a été le premier canton à les instaurer, selon l’Assocation faîtière des enseignants alémaniques LCH.

Aujourd’hui, des sanctions existent, sur le papier, au moins dans les cantons d’Argovie (jusqu’à 1000 francs), Bâle-Campagne (jusqu’à 5000), Soleure (1000 francs maximum), Zurich (5000 francs maximum), St-Gall (1000 francs maximum) ou encore Vaud (2000 francs maximum).

Pionnier? Bâle-Ville défraye régulièrement la chronique avec des initiatives destinées à détecter les éventuels problèmes sociaux chez les enfants de plus en plus tôt et à intégrer les migrants dès leur arrivée.

Fördern und fordern. Le principe qui sous-tend toute la démarche est «encourager et exiger» («fördern und fordern»).

Devoirs des parents. Après les conventions d’intégration pour les migrants, le demi-canton propose aussi des «conventions d’éducation» aux parents, textes non obligatoires où ces derniers s’engagent à remplir leurs devoirs par rapports aux enfants et à l’école. La discussion sur la convention peut être obligatoire.

Droits des parents. Le Parlement cantonal devra aussi se prononcer sur le projet de révision de la loi scolaire, qui donne aux écoles des possibilités de sanctions mais qui étend aussi les droits des parents (droit d’être informé, droit de participer, droit de former des comités de parents par exemple).

Allemand précoce. Bâle-Ville veut aussi introduire des cours d’allemand, sous forme ludique, avant l’entrée à l’école enfantine. Le projet est en cours d’élaboration.

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