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Le chant du bisse, mélodie alpestre à préserver

Simon Crettenand assure depuis six ans le gardiennage du bisse du glacier du Trient, dans le canton du Valais. swissinfo.ch

L’Association des bisses du Valais, qui sera officiellement créée le 15 octobre, veut déposer une candidature pour inscrire ces canaux d’irrigation au patrimoine mondial de l’Unesco. Pour mieux saisir les contours de ce précieux héritage, rencontre avec un gardien de bisse.

La barbe grise, la peau légèrement tannée, un t-shirt noir où repose fièrement l’écusson du canton du Valais. Et bien sûr, l’accent chantant des contrées montagneuses. Simon Crettenand est l’archétype du valaisan. D’ailleurs, s’il a quitté plusieurs fois le canton pour des escapades à l’étranger, il revient toujours au bercail, heureux de se nicher entre rochers et glaciers. «Tous les pays du monde sont beaux, mais pas comme le Valais», relève-t-il. Voilà qui est dit.

Simon Crettenand apprécie les paysages abrupts, les sommets enneigés et surtout l’eau. «Mon signe du zodiaque est le poisson, j’adore l’eau et sa musique. Sans eau nous ne pouvons pas vivre, c’est un liquide noble et extraordinaire.» Alors, lorsqu’en 2004 le consortage du bisse du Trient (communauté de propriétaires qui gère le canal d’irrigation) lui a proposé de faire gardien de bisse, il a tout de suite accepté.

Ecouter la musique de l’eau

Depuis six ans, ce serrurier appareilleur de formation, âgé de 78 ans, protège, soigne, nettoie et observe le canal d’irrigation qui prend sa source au glacier du Trient, pour déverser son eau à la Forclaz et à Martigny Croix.

«Pour effectuer ce travail correctement, il convient de chercher le comment et le pourquoi des choses. C’est pour cela qu’il faut toujours écouter la musique de l’eau. Par exemple, s’il y a un trou fait par une souris ou autre chose et que l’eau s’écoule, il y aura un tourbillon, avec un bruit spécial de glouglou comme une bouteille qui se vide.» Simon Crettenand, a appris, donc à écouter le chant du bisse, harmonie fluide.

Armé de son «capion», une petite pioche qui sert notamment à retirer les éléments qui obstruent le bisse, il perpétue un métier qui date du XIIIème siècle. Epoque où les premiers canaux ont été construits pour irriguer pâturages, prairies, champs et vignes, dans un canton particulièrement chaud en période estivale, avec de rares précipitations. «Si on met de l’eau dans un bisse, il est impératif de le surveiller. Tous les bisses encore en activité ont leur gardien.»

La survie des surfaces agricoles

Du 1er juin au 15 septembre, période où le bisse est mis en eau, Simon Crettenand, passe tous les jours regarder si «son» canal se porte bien. Et observer si le précieux liquide cristallin s’écoule sagement. L’œil aiguisé, il aperçoit chaque pierre, branche d’arbre, ou amas de feuillages qui ralentit ou bloque le cheminement de l’eau.

«En dessous du bisse, il y a la route secondaire qui va de Martigny à Chamonix. S’il déborde, la route peut être inondée en quelques minutes. Pour cette raison, je dois passer chaque jour, me maintenir au courant de la météo, prévoir le mauvais temps et les grosses pluies. Gérer la quantité d’eau que je mets dans le bisse (ndlr : à l’aide d’une écluse qui se trouve a proximité du glacier du Trient) en fonction de ces facteurs et veiller à ce que des arbres ne le bouchent pas.» Un travail nécessaire pour préserver le canal qui assure la survie des surfaces agricoles.

Des canaux indispensables

Car si désormais les bisses sont surtout connus pour leurs tracés qui offrent de splendides balades, ils continuent à jouer un rôle important en matière d’irrigation.

«La majorité des bisses encore en fonction sont des bisses d’irrigation. Ce qui a changé c’est que l’eau est utilisée pour d’autres usages, comme les canons à neige, ou le remplissage de piscines. On a des bisses qui ont été conçus il y a plus de 500 ans et qui sont toujours fonctionnels», note Roman Hapka, responsable romand de la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage.

Des bisses, qui relèvent toujours à majorité de la responsabilité des consortages. Ces institutions communautaires, indépendantes de l’Etat, ont survécu aux politiques publiques de gestion de l’eau. Et elles jouent encore un rôle important.

A l’époque, tous les propriétaires qui utilisaient l’eau du bisse, devaient intégrer le consortage et participer aux travaux d’entretien du canal au prorata de la superficie de terrain dont ils disposaient. Mais avec la mise sous tuyau de l’eau et l’arrosage par aspersion, l’intérêt pour l’entretien du bisse s’est étiolé. Cette eau qui serpente dans la montagne est devenue anonyme, impersonnelle.

Plus besoin de s’inscrire pour obtenir le liquide qui désaltérera les cultures, d’attendre son tour et de connaître la prairie dans ses moindres recoins, pour l’arroser au mieux dans le temps imparti (écouter l’audio de Bernard Crettaz). Désormais, avec les jets grande pression, la fonctionnalité première du bisse s’efface. Et ne subsistent que les images idylliques de sentiers pédestres vertigineux.

Reconnaître pour mieux préserver

«Ce n’est pas la zone de transfert de l’eau, en falaise, qui subit les plus grands dommages. C’est la zone de diffusion de l’eau du bisse, le bisse d’aval, qui se trouve en danger. C’est cette partie, qui irrigue les prairies qu’il faut s’efforcer de préserver. Si on veut faire inscrire les bisses au patrimoine mondial de l’Unesco, c’est l’ensemble du bisse qu’il faudra faire reconnaître, pas seulement la partie touristique», note Roman Hapka.

Pour préserver les bisses, il faut, donc, apprendre à les connaître dans leur entier. Et les apprécier, un peu comme le gardien qui choie chaque partie de son «protégé». «Le bisse, il faut forcément l’aimer. Moi, je l’aime dans son entier, il a tellement de particularités, de terrains. Chaque fois que je viens, je regarde et surtout j’écoute. Je trouve ce bruit extraordinaire. Là-bas, il est calme, là, il dévale la montagne, il est tout heureux, il crie de joie, il coule. Puis, il se laisse aller, s’endort. C’est un peu une personne, je ne l’abandonnerai jamais, même quand je ne serais plus gardien de bisse.»

Les bisses, aussi appelés Suonen dans le Valais germanophone, sont des canaux d’irrigation qui permettent d’amener l’eau des rivières glacières jusque dans les vallées. En particulier dans la vallée du Rhône là où figurent de nombreuses terres agricoles et vignobles.

Les premiers écrits mentionnant des bisses datent du 13ème siècle.

Les bisses représentent une longueur totale de plus de 1’000 kilomètres. La plupart de ces canaux se situent dans le Haut Valais (territoire germanophone à l’est du canton).

Au cours du XXème siècle plusieurs bisses ont été laissés à l’abandon. Aujourd’hui, une septantaine de bisses sont toujours en fonction.

En Valais, 80% de l’eau utilisée par les surfaces agricoles provient des bisses.

Depuis les années 1980, les bisses ont commencé à avoir une fonction touristique.

Actuellement, le Valais compte sur les bisses pour dynamiser le tourisme d’été.

Si le Valais est le canton qui possède le plus grand nombre de bisses, on peut en retrouver ailleurs en Suisse, comme dans les Grisons (dans le Val Müstair) et le Tessin .

Ces canaux d’irrigation se retrouvent également hors des frontières helvétiques. On peut par exemple observer des bisses en France, en Belgique, mais aussi au Moyen-Orient, à Oman.

L’Association des bisses du Valais, qui sera créée le 15 octobre, a pour objectif, de devenir un lien entre les différents propriétaires de bisses, de soutenir la conservation des bisses et de constituer un dossier de candidature pour inscrire les bisses au patrimoine mondial de l’Unesco.

L’Association verra le jour sous l’impulsion de l’association valaisanne de la randonnée pédestre (Valrando), du futur musée valaisan des bisses, de l’Etat du Valais et de la députée de Sion (Valais), Véronique Jenelten-Biollaz.

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