Des perspectives suisses en 10 langues

Le dialogue pour éviter le repli identitaire

La médiation, un moyen d'éviter que les interrogations identitaires des jeunes musulmans débouchent sur le repli. Keystone

Des jeunes musulmans venus de trois pays européens sont réunis en Suisse pour se familiariser à la médiation et à la résolution de conflit. Un programme qui pourrait faire boule de neige l'an prochain.

Dialogue, écoute, échange d’idées. Depuis sa création en 1946, le centre de rencontres de Caux invite à prendre de la hauteur. Perché au-dessus du Léman, cet ancien palace accueille cette semaine une quinzaine de jeunes musulmans venus de France, de Suède et d’Angleterre.

Réunis suite à une initiative de plusieurs organisations qui œuvrent à la coexistence interreligieuse, dont le mouvement britannique Communities in action, ils participent à un séminaire intitulé «Des outils pour changer».

Quelque 380 personnes venues du monde entier s’y sont inscrites cette année, indique Marianne Spreng, chargée des relations internationales de la fondation helvétique de l’ONG Initiatives et Changement International (IofC).

Propriétaire du centre de Caux, celle-ci est l’émanation de l’ex-«Réarmement moral», mouvement dont l’idée maîtresse est que le changement personnel peut déboucher sur le changement de la société.

Contact entre communautés

Un credo que tous ces jeunes âgés de 18 à 25 ans mettent déjà en pratique puisque la plupart font partie de groupes de contact et d’échanges dans leur pays respectif.

«Les jeunes musulmans de Suède présents à Caux sont originaires de six pays différents. Impliqués dans des programmes soutenus par l’Etat suédois, ils sont concernés par ce type de démarche. Une première étape pour eux est d’établir un dialogue intercommunautaire, par exemple entre chiites et sunnites. Ils ont aussi des contacts avec des organisations chrétiennes», souligne Marianne Spreng.

Au cours de leur séjour à Caux, les jeunes musulmans suivront des interventions portant sur l’histoire des relations interreligieuses et sur l’herméneutique. Il sera aussi question de la situation des minorités et de perception interculturelle.

Outre ce volet théorique, leur formation comporte aussi des aspects pratiques. Ils bénéficieront ainsi de cours sur l’élaboration et le maintien d’un réseau social dans leurs communautés et dans les villes ou les villages où ils vivent.

Travail de terrain

Membre de Jeunes Musulmans de France (JMF), Asma Soltani, 21 ans, est étudiante en médecine et chimie à Paris. Elle participe à ce séminaire par intérêt personnel, mais confie y avoir appris beaucoup de choses qui lui serviront dans son travail avec JMF.

«Les jeunes des quartiers avec lesquels nous travaillons sont souvent assez désabusés. Certes, ce sont des adolescents, un âge de toute façon difficile, mais ils trouvent moins facilement les réponses dont ils ont besoin, je ne sais pas exactement pourquoi», témoigne-t-elle.

Précisant que la religion n’intervient que sur le plan individuel au sein de JMF, elle explique que le but est avant tout de leur donner des opportunités afin que ces jeunes se mettent à leur tour à faire des choses pour leurs concitoyens et qu’ils prennent leurs responsabilités.

Un principe de relais qui reflète les motivations des jeunes musulmans présents sur les hauteurs du Léman. «Leur idée principale est de retourner dans leur pays mieux équipés pour travailler avec leurs coreligionnaires», relève Marianne Spreng, qui a prêté une oreille attentive à leurs diverses expériences.

Eviter le repli

«En France par exemple, ils ressentent très fortement la discrimination par le nom. La situation sur ce plan est peut-être plus ouverte en Grande-Bretagne. Mais là comme en Suède, ils constatent que le ressentiment anti-musulman augmente», résume-t-elle.

Dans ce contexte, il est essentiel pour des mouvements comme Communities in action ou Initiatives et Changement de privilégier le dialogue entre les cultures, les ethnies et les religions. Faute de quoi le réflexe naturel de la jeunesse à s’interroger sur son appartenance et sa culture risque de tourner au repli identitaire.

Evoquant le problème, Asma Soltani souligne que le port du voile est par exemple un sujet qui fait débat partout et qu’elle a abordé avec ses camarades anglais et suédois. Mais pour elle, la vision de l’islam qu’a la société d’accueil est déterminante.

Ainsi, la jeune femme préfère parler de «diversité» plutôt que de communautarisme et estime que «plus d’ouverture, plus de dialogue, et une compréhension plus profonde» sont aujourd’hui nécessaires.

Une conférence l’an prochain

Pour y contribuer, les organisations qui ont invité cette année ces jeunes à Caux prévoient de mettre sur pied une manifestation du même genre mais de plus grande envergure l’an prochain.

Une centaine de participants y seraient conviés, pour autant que suffisamment de sponsors soient trouvés d’ici là. Le but? Changer à long terme l’image de l’islam en Europe car «dans les bouleversements du monde actuel, les jeunes musulmans sont trop souvent associés à la violence et au terrorisme», déplorent les organisateurs.

swissinfo, Carole Wälti

La Suisse compte environ 340’000 musulmans.

Près de 12% d’entre eux bénéficient d’un passeport suisse.

Ils proviennent pour l’essentiel des Balkans et de Turquie.

Leur nombre a passé de 2,2% de la population en 1990 à 4,3% en 2000.

L’islam est la seconde religion en Suisse, loin derrière les différentes confessions chrétiennes.

Le mouvement Initiatives et Changement existe au niveau international.

Il a pour fondateur le pasteur américain Frank Buchman (1878-1961).

Jusqu’en 2001, Initiatives et Changement s’appelait «Réarmement moral».

En 1938, face à la montée du fascisme et du nazisme, Frank Buchman avait en effet lancé un appel «au réarmement moral et spirituel des hommes et des nations».

L’action d’Initiatives et Changement se fonde sur l’idée que le changement personnel peut déboucher sur le changement de la société.

Cette action est basée sur l’échange de personne à personne et sur le témoignage personnel.

En 1946 s’est ouvert le centre de Caux, qui avait initialement pour vocation de servir de lieu de rencontre dans le cadre de la reconstruction de l’Europe et de la réconciliation des anciens ennemis, la France et l’Allemagne en particulier.

Ce centre est financé en grande partie par des dons privés.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision