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Les immigrés à la retraite avec dignité

Ils ont travaillé durement toute leur vie. Aujourd’hui, ils sont retraités et la Suisse veut prendre soin d’eux. swissinfo.ch

De nombreux travailleurs immigrés arrivés il y a des décennies restent en Suisse pour leur retraite. Et cela après une vie de labeur dont a aussi bénéficié la Suisse. Le sujet a été au cœur des discussions d’une journée d’étude consacrée aux migrants du troisième âge.

 

«Nous n’étions pas venus en Suisse pour longtemps. Nous voulions rentrer chez nous avant que nos enfants n’atteignent l’âge de la scolarité. Puis, la chute du régime de Franco a bouleversé nos plans. Et finalement, nous resterons ici jusqu’à la fin de nos jours», raconte Maria del Carmen Albarran, une travailleuse immigrée espagnole.

Un destin qu’elle partage avec d’autres immigrés, et en particulier ceux d’origine italienne. Arrivés en Suisse entre 1950 et 1970, ces travailleurs déracinés rêvaient  tous de rentrer plus ou moins rapidement au pays.

Aujourd’hui, les immigrés âgés de plus de 65 ans résidant au sein de la Confédération sont près de 130’000, sans compter celles et ceux qui ont été naturalisés. Un nombre destiné à augmenter au cours des années à venir, selon les prévisions de l’Office fédéral de la statistique, qui estime qu’ils seront quelque 280’000 à l’horizon de 2050.

Nouveaux défis à la société

Une évolution qui impose de nouveaux défis à la société et aux institutions qui prennent en charge les personnes âgées. Les conditions sociales et sanitaires ont été au centre de la journée d’étude, intitulée «…et ce sont des hommes qui sont venus», organisée à Berne à la fin du mois de novembre par le «Forum national âge et migration».

Au cours de la rencontre, qui s’est déroulée deux jours après la votation sur l’initiative pour l’expulsion des étrangers criminels, d’autres questions ont aussi été évoquées par les participants. L’événement a également permis de remercier celles et ceux qui ont contribué à la construction du pays, de la Suisse telle qu’elle est aujourd’hui.

«Nous tenons à rappeler que sans l’apport important et fondamental des immigrés italiens, espagnols et portugais, nous ne bénéficierions pas du même degré de bien-être. Nous devons reconnaître les mérites des travailleurs étrangers et leur dire: «Nous nous sommes servis de vous et aujourd’hui, nous nous engageons afin que vous puissiez profiter au mieux du dernier volet de votre vie en Suisse», a déclaré Christine Egerszegi, la présidente du «Forum national âge et migration».

Un aspect sur lequel a également insisté la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga: «La Suisse, sans les immigrés, serait un autre pays, un pays plus pauvre», a souligné la ministre du Département fédéral de justice et police, en louant les efforts consentis par les étrangers dans les domaines de la santé, de la construction, de l’hôtellerie et de la restauration.

Des bras plus que des personnes

Les immigrés venus en Suisse ont travaillé durement et ont construit des immeubles, les premières autoroutes ou encore le tunnel du Gothard. Ils sont arrivés en bonne santé, après une visite médicale imposée à la frontière, un peu comme pour du bétail. Ils étaient considérés comme de la main-d’œuvre avant d’être perçus comme des êtres humains.

Aujourd’hui, et au terme d’une vie de labeur, ils sont fatigués et tiraillés entre le désir de rentrer chez eux et l’impossibilité de le faire, puisque c’est en Suisse que vivent leurs enfants et leurs petits-enfants. A cela s’ajoutent des problèmes économiques et le fait de ne plus toujours savoir lequel des deux pays est leur véritable patrie.

«Les statistiques montrent que la condition des immigrés est moins bonne que celle de leurs contemporains suisses. Près de 25% des immigrés âgés de 63 à 74 ans se considèrent en mauvaise santé. Il s’agit d’un pourcentage six fois plus élevé que parmi les Suisses du même âge», explique Giuseppe Ribaudo, président de Pro Migrante, l’association qui s’engage en faveur du bien-être et de l’intégration des migrants du troisième âge.

«C’est un paradoxe. Au départ, cette population était en meilleure santé que les Suisses, car seules les personnes bien portantes pouvaient accéder au marché du travail en Suisse», poursuit Giuseppe Ribaudo.

Et ma santé aujourd’hui?

Dès lors, pourquoi sont-ils plus mal lotis? Les raisons sont nombreuses, comme le souligne encore Giuseppe Ribaudo: «Les conditions dans lesquelles les immigrés ont travaillé et vécu ont eu des conséquences négatives, à la fois sur leur santé et leur situation économique et sociale. Nombre d’entre eux, en raison du bas niveau de formation scolaire et professionnelle, ont exercé des métiers physiquement astreignants et mal rétribués, un aspect qui a aussi eu un impact sur les contributions à la caisse de pension. De plus, les expériences négatives liées à la marginalisation sociale et au manque d’intégration ont aussi conditionné leur état psychique ».

Et c’est ainsi que Luigi, un ouvrier à la retraite, se demande aujourd’hui : « Mais la Suisse s’intéresse-t-elle encore aujourd’hui à ma santé, comme le jour où j’ai franchi la frontière pour venir travailler ici? La Suisse me permettra-t-elle de vivre dignement le dernier volet de ma vie?».

Certainement. Tout au moins, telle est la réponse qui émane de la journée d’étude conduite à Berne. C’est aussi l’avis de la conseillère aux Etats argovienne Christine Egerszegi: «Nous devons fournir aux travailleurs étrangers à la retraite toutes les informations nécessaires afin qu’ils connaissent leurs droits et accèdent aux prestations qui leurs sont destinées. Nombreux sont ceux qui ignorent par exemple la possibilité de demander des prestations complémentaires. De plus, il faut créer les conditions afin de permettre aux migrants âgés d’emmener avec eux un peu de leur culture en maison de repos. C’est une marque de reconnaissance que la Suisse leur doit».

Fondé en 2003, le «Forum national âge et migration», ensemble avec des partenaires sociaux internationaux, se charge de la promotion de l’information et de sensibilisation de même que de la recherche sur des thèmes liés à l’immigration.

Le Forum s’engage aussi dans l’amélioration des conditions de santé et sociale des migrants du troisième âge en Suisse. L’organisation s’est donnée pour objectif d’améliorer les droits de cette génération de travailleurs d’origine étrangère et de leur permettre d’obtenir la reconnaissance due pour leur contribution en terme de développement économique qu’ils ont offert à notre pays.

Le Forum soutient en outre la Confédération dans sa mise en œuvre d’une politique sur le troisième âge et la migration, fixée dans le rapport de l’assemblée mondiale de l’ONU sur le vieillissement, qui s’est tenue à Madrid en 2002.

La première génération de travailleurs immigrés originaires du sud de l’Europe,  arrivée en Suisse dans les années cinquante et soixante, a vieilli.

Aujourd’hui, près d’un tiers des immigrés à la retraite passe la dernière étape de sa vie en Suisse. Un autre tiers fait la navette entre la Suisse et son pays d’origine, alors que le reste fait le choix de rentrer au pays.

En Suisse, le 10% des citoyens de plus de 65 ans est de nationalité étrangère et le 21% des personnes du troisième âge est né à l’étranger.

Dans la catégorie des immigrés âgés de plus de 64 ans, le 78% d’entre eux provient des pays limitrophes, d’horizons culturels similaires à la Suisse et seul le 4% est originaire de pays extérieurs à l’Union européenne.

Selon les prévisions de l’Office fédéral de la statistique, entre 2008 et 2050, le nombre d’immigrés âgés de plus de 65 ans vivant en Suisse passera de 125’319 à 277’730.

(Traduction de l’italien: Nicole Della Pietra)

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