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Les naufragés de la Kander ne connaissaient pas le danger

Walter Knutti, chef des forces aériennes, dont dépendaient les naufragés, est lui aussi sous le coup. Reuters

Après l'accident qui a certainement causé la mort de cinq militaires sur la rivière Kander, les professionnels sont unanimes: seuls des gens totalement inconscients du danger ont pu se lancer en canot à cet endroit.

Ils étaient dix officiers et sous-officiers, de 25 à 33 ans, tous alémaniques, des cantons de Zurich, Schwyz, Bâle-Campagne, Grisons, Thurgovie, Lucerne et Argovie. Trois ont été retrouvés morts et deux autres devraient l’être un jour.

Des cinq survivants, quatre ont déjà pu quitter l’hôpital, tandis que le cinquième, la mâchoire fracturée, a subi une opération. Mais ses jours ne sont pas en danger.

Qui a autorisé ces hommes à s’embarquer jeudi matin sur deux canots pneumatiques pour un exercice visant à «renforcer l’esprit de corps», sur un tronçon de rivière qu’aucun pro du rafting ne se risquerait à emprunter ? C’est une des nombreuses questions auxquelles l’enquête de la justice militaire devra répondre.

Non que la Kander à cet endroit soit une rivière sauvage. Au contraire, c’est même son aménagement par l’homme qui aura été fatal aux deux embarcations, chavirées moins d’un kilomètre après leur mise à l’eau.

Piège mortel

Depuis le soir du drame, tous les experts interrogés par les médias disent la même chose: on ne navigue pas sur une rivière munie de casse-crue, ces barrages artificiels qui servent à ralentir le courant en cas de débit exceptionnel.

A 59 ans, Daniel Chezière en revendique 55 de pratique du kayak. Egalement pilote professionnel de divers types d’aéronefs, il a fondé en 1982 l’agence swissraft, pionnière helvétique de ce que l’on ne nommait pas encore «sports extrêmes».

A swissinfo, il rappelle lui aussi que ces obstacles artificiels sont à éviter absolument. «C’est la première chose que l’on apprend quand on fait du kayak et qu’on a l’autorisation d’aller sur une rivière: les casse-crue, c’est tabou, on n’y va pas. C’est l’ABC du métier.»

Car l’eau qui saute par-dessus le mur crée un tourbillon en retombant. «Exactement comme le tambour d’une machine à laver, précise Daniel Chezière. Et quand vous êtes là-dedans, vous ne pouvez pas vous en sortir».

D’autant moins que cette eau qui tombe avec une grande force crée de la mousse, substance sur laquelle on ne peut pas prendre appui comme sur l’eau.

«La seule issue, si on arrive à garder son self contrôle, c’est de s’agripper au fond et de se dégager pour sortir de ce circuit infernal», explique encore Daniel Chezière.

Pratiquement plus d’espoir

Manifestement, la moitié des naufragés n’y sont pas parvenus. Les deux hommes qui sont encore officiellement «disparus» sont presque certainement morts.

«Il n’y a pratiquement plus d’espoir de retrouver les deux officiers vivants», déclarait déjà jeudi soir Walter Knutti, commandant des Forces aériennes, dont dépend la troupe frappée par le drame.

Les eaux troubles de la Kander en cette période de fonte des neiges compliquent les recherches et la rivière charrie énormément de pierres qui dans le pire des cas pourraient littéralement «enterrer» les deux victimes au fond. Cela revient à disparaître pour toujours. Plusieurs cas de ce genre ont été signalés dans des rivières de montagne depuis les années 60.

Comme une voiture lancée contre un mur

Quant à la question des responsabilités, le chef de l’armée Roland Nef a averti que «l’enquête prendra un certain temps». Et assuré que tout sera mis en œuvre «pour que les causes de cette catastrophe soient examinées sans faille par les organes d’instruction militaires».

Pour Daniel Chezière en tous cas, la question de savoir si les canots utilisés par les victimes étaient adaptés à ce genre d’exercice est sans objet. «Il n’y a simplement pas de canots faits pour résister à ce genre de choses. Comme il n’y a pas de voiture faite pour résister à un choc frontal contre un mur à 80 ou 100 km/h», affirme le navigateur chevronné.

Alors comment et pourquoi a-t-on osé prendre et faire prendre à des hommes un risque pareil ? Daniel Chezière ne se l’explique pas. Si ce n’est par une profonde ignorance du danger.

«Parce que s’il y avait avec eux un soi-disant ‘expert’ en rafting, alors, il y aurait vraiment du souci à se faire pour nos soldats», conclut-il.

swissinfo, Marc-André Miserez et les agences

L’armée suisse est composée d’un effectif de 140’000 soldats, dont 4200 professionnels (soldats, instructeurs ou officiers).

La loi oblige tous les Suisses à servir dans l’armée, pour autant qu’ils y soient aptes. Dans la pratique, près d’un tiers d’entre eux sont exclus pour diverses raisons. Pour les femmes, le service est volontaire.

Le service s’effectue dès 18 ans, à raison de 18 à 21 semaines d’écoles de recrues, suivies de cours de répétition de trois semaines, qui s’étagent jusqu’à l’âge de 35 ans.

Le 12 juillet 2007, cinq recrues et un sergent du Groupe des spécialistes de montagne 1 de l’armée suisse sont tués par une coulée de neige sur les pentes de la Jungfrau, dans l’Oberland bernois.

Trois jours plus tard, un guide de montagne privé affirme qu’il avait averti les guides de l’armée que les conditions étaient trop mauvaises pour cette randonnée.

Mandaté pour une expertise, l’Institut fédéral pour l’étude de la neige et des avalanches de Davos conclut en octobre que la coulée a «très vraisemblablement» été déclenchée par les militaires eux-mêmes.

Quant aux conclusions de la justice militaire, on les attend toujours.

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