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Marx, Lénine, Mao: même combat pour la pub

Une image revisitée de Che Guevara est devenue une icône publicitaire. youtube.com

Un fabricant automobile français a frappé un grand coup publicitaire en «engageant» les pères de la révolution communiste pour vanter en Suisse sa sous-marque low cost… avec la copie conforme du petit livre rouge de Mao. L’idée n’est pas nouvelle mais elle fait encore recette.

Le fac-similé du petit livre rouge de Mao (avec l’étoile, les portraits des grands idéologues et les slogans universalisant la révolution communiste) a été distribué dans toutes les boîtes aux lettres des Suisses, alors qu’un spot montrait Castro, Lénine, Che Guevara, Marx and Co en action à la télévision.

En rachetant la marque roumaine Dacia (créée en… 1968!), Renault avait promis une «voiture à 5000 euros». Dix ans plus tard, le constructeur français a réalisé sa voiture low cost avec une quatre portes dès 9900 francs: «la voiture des travailleurs», sans gadgets ni fioritures.

Cette publicité très remarquée a été conçue par l’agence allemande Nordpole Hamburg pour les marchés allemand, suisse et autrichien. Cette campagne est-elle adaptée à la Suisse? Gilles Blanchet, directeur d’une agence lausannoise de publicité, en est convaincu.

«C’est un positionnement intéressant qui ne repose pas sur le prix, comme par exemple M-Budget, la gamme bon marché du grand distributeur Migros, mais qui valorise le produit bon marché en le faisant passer pour une petite révolution en soi, puisqu’il n’y a rien de comparable à ce prix.»

Universalisme et globalisation

Le choix des grands leaders révolutionnaires répond aussi parfaitement à la globalisation: le manifeste de l’Internationale communiste ne s’adressait-il pas aux «prolétaires du monde entier»? «La publicité s’est mondialisée, car le public est de moins en moins différencié géographiquement, confirme Gilles Blanchet. Aujourd’hui, on ne fait plus de distinction entre régions, mais plutôt selon l’âge ou le mode de vie.»

Mais ce choix n’a rien de très nouveau: n’a-t-on pas déjà vu Gandhi ou Jésus vendre une célèbre boisson américaine? Jacques Séguéla, le père de la publicité politique en France, n’a-t-il pas affirmé que «c’est Jésus qui a inventé la publicité» en créant un slogan (aimez-vous les uns les autres), un symbole (la croix) et la promotion (les miracles)? Le tout il y a plus de 2000 ans.

Au 20e siècle, les communistes eux-mêmes ont su jouer de l’iconographie totalitaire avec une efficacité que les grandes marques d’aujourd’hui ne peuvent que leur envier. Comme, du reste, la propagande de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste.

Du bon usage des icônes de Mai 68

L’icône publicitaire la plus réussie dans le genre, c’est probablement Che Guevara, transformé en marque révolutionnaire du domaine public qu’on trouve sur des T-shirts, en passant par des briquets ou des bikinis brésiliens. Cela a, il est vrai, été rendu possible par le fait que la célèbre photo du Che, prise en 1959 à Cuba par Alberto Korda, est restée libre de copyright pendant des décennies.

Qu’en pense-t-on à gauche? Géraldine Savary, conseillère aux Etats (sénatrice) socialiste, est affligée de voir que «nos révolutionnaire ne font plus peur à personne, bravant les routes, barbe au vent, au volant d’une voiture pas chère. D’un autre côté, si Marx et Lénine sont utilisés dans la publicité, c’est donc qu’ils appartiennent à notre imaginaire collectif…»

L’utilisation des figures communistes nous vient en droite ligne des idées de Mai 1968, relève de son côté l’historien Hans-Ulrich Jost: «On a commencé à reprendre des slogans révolutionnaires pour des publicités de lessive. C’est ce que Herbert Marcuse a appelé la ’tolérance répressive’: la société capitaliste et consumériste récupère le discours et la symbolique de la révolution pour attirer l’attention, mais c’est aussi une forme de dévalorisation un peu ironique de ce passé révolutionnaire.»

Publicité à l’envers

Ainsi, Karl Marx est-il utilisé pour des «pubs à l’envers», par exemple par le Parti libéral genevois qui, il y a quelques années, avait choisi de mettre en valeur son slogan, «L’avenir est libéral» en utilisant le portrait de l’ennemi numéro un du capitalisme avec la mention: «rideau!» Dans le même esprit, Marx a aussi été utilisé comme repoussoir pour des publicités bancaires.

D’autre part, le néo-libéralisme a fort bien su exploiter l’hédonisme soixante-huitard bâti sur la «jouissance sans entrave», le «tout est permis, ici et maintenant» et l’individualisme à tout crin. C’est ce que relève François-Xavier Putallaz, professeur de philosophie à la faculté de théologie de l’Université de Fribourg.

«Une partie de la pensée de 1968 accompagnée par l’image des grands révolutionnaires a été utilisée très rapidement pour, en quelque sorte, accélérer la consommation et alimenter le libéralisme ‘sauvage’. On joue sur l’antithèse, c’est-à-dire l’anticonsumérisme, l’anticapitalisme, pour vendre un produit de grande consommation», ajoute-t-il.

Le philosophe regrette en outre un «certain manque de culture», voire de respect historique, pour de grands personnages. Enfin, ilestime que «les figures choisies sont contestables, parce que peu fréquentables» si l’on considère qu’elles ont été des leaders parfois impitoyables, voire sanguinaires.

Moralité, ces techniques publicitaires ont beau ne pas être nouvelles, elles fonctionnent à tous les coups: depuis le lancement de sa campagne «révolutionnaire», Dacia Suisse a vu ses ventes augmenter de 200% au premier trimestre 2010, selon les indications de Maryse Lüchtenborg, collaboratrice de la direction de la communication de Renault Suisse.

Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch

1999: le fabricant français de voitures Renault rachète le constructeur roumain Dacia (marque créée en 1968).

2004: lancement du premier modèle de la nouvelle gamme.

2009: les ventes de la marque augmentent de 60% en Suisse sur l’année.

1er trimestre 2010: les ventes ont progressé de 201,1% après la campagne de pub.

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