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Prostitution en Suisse, les cantons veulent dialoguer

Le marché du sexe tarifé en Suisse "pèse" près de 4 milliards de francs par année. Ex-press

Lundi s’ouvre la première plateforme de discussion inter-cantonale sur la prostitution et la migration en Suisse. Cette journée, organisée par l’Office fédéral des Migrations à la demande des cantons, doit permettre à ces derniers d’échanger leurs expériences et leurs préoccupations. Enquête.

Si la prostitution n’est que l’une des nombreuses facettes de la migration, elle n’en est pas moins l’un des aspects les plus difficiles à gérer. En Suisse, l’exercice du plus vieux métier du monde n’est pas interdit par le Code pénal, et les cantons sont libres de légiférer. Il en découle une grande disparité des pratiques d’un bout à l’autre du pays.

Face aux nouveaux flux migratoires et à l’augmentation de la demande sur le marché du sexe tarifé, les défis sont nombreux; la lutte contre la traite humaine, les problèmes sanitaires et autres nuisances sociales menacent de prendre de l’ampleur. Les réflexions conduites par les cantons varient, et certains progressent plus rapidement que d’autres et font œuvre de pionnier à l’échelle nationale.

La loi comme instrument de contrôle

De fait, les cantons latins se sont pratiquement tous dotés de leur propre arsenal juridique pour contrôler le marché et lutter contre les épiphénomènes de la prostitution (violence et drogue). En Suisse romande, de nombreux cantons ont par ailleurs adopté l’obligation de s’annoncer – ou sont sur le point de le faire – pour toute personne munie d’un permis de séjour valable et exerçant cette activité.

Une contrainte qui facilite le travail des autorités et de la police pour suivre l’évolution de la situation dans ce secteur particulièrement mouvant. «Grâce à l’obligation de s’annoncer à la police, les prostituées officielles ‘régulent’ le marché en dénonçant toutes les prostituées illégales qui tentent de s’approprier des parts», explique Eric Grandjean, officier de communication de la police cantonale genevoise.

Progrès latin

Cette avancée n’a pas échappé aux cantons alémaniques – initiateurs de la journée d’échange -, qui avaient pour la plupart préféré s’abstenir de légiférer dans ce domaine. Les instruments juridiques en vigueur de l’autre côté de la Sarine et au Sud du Gothard portent leurs fruits et permettent pour le moins, de mieux contrôler le marché du sexe et la présence des prostituées et des salons de massage sur le territoire.

Ainsi, les cantons de Zurich et de Berne planchent actuellement à leur tour sur des projets de loi dans ce sens. «Notre objectif vise la protection des prostituées et le contrôle des conditions dans lesquelles elles exercent», explique Florian Düblin, du service des migrations du canton de Berne.

Le fonctionnaire admet néanmoins que «le crime organisé est aussi objet de préoccupation». Une inquiétude que nourrissent d’autres cantons aussi. «Nous avons observé des nouvelles problématiques, liées à la prostitution sans doute de contrainte de filles roms», signale aussi Jean-Christophe Sauterel, porte-parole de la police cantonale vaudoise.

Les maquereaux de l’Est

A Zurich, le contrôle du marché du sexe par des filières criminelles roms est déjà une réalité, comme le confie Rolf Vieli, responsable des projets «Rotlicht» et «Langstrasse Plus». «Ces maquereaux veulent gagner rapidement d’importantes sommes d’argent et font arriver des filles à Zurich qu’ils font travailler 90 jours avant de les envoyer vers d’autres pays».

Au sud des Alpes, l’ombre des gangs criminels italiens et balkaniques en particulier, qui convoitent le contrôle de ce marché lucratif, plane aussi. Pour endiguer l’avancée des organisations criminelles dans ce secteur, le Tessin – et dans son sillage le canton de Vaud – planche actuellement sur un projet de loi qui pourrait marquer un nouveau tournant.

Réduction des dommages

«Pour une véritable stratégie de la réduction du dommage dans le domaine de la prostitution», tel est le libellé de la motion du député vert tessinois Sergio Savoia, cosignée par plusieurs députés. Le texte, approuvé par le Parlement cantonal, demande l’introduction d’un permis spécial pour les prostituées provenant de pays extérieurs à l’UE.

Pour Attilia Cometta, de la section cantonale des permis et de l’immigration, qui représente le Tessin à la rencontre de ce jour à Berne, la proposition est «intéressante et innovante et vaut d’être examinée au niveau fédéral également».

Un rapport rédigé par une commission spéciale est actuellement entre les mains du gouvernement tessinois, qui pourrait, ces prochains mois, se tourner vers Berne afin qu’un projet pilote d’une durée limitée soit mis en place. «Comme pour l’interdiction de la fumée, le Tessin pourrait une nouvelle fois servir de modèle national», espère son promoteur, Sergio Savoia.

Tourisme du sexe

Permettre aux travailleuses du sexe de sortir de la clandestinité aurait notamment, pour effet de couper l’herbe sous les pieds du crime organisé. Au Tessin, pour l’heure, la brigade spéciale TESEU multiplie les descentes et les contrôles afin de déstabiliser sans relâche le milieu et éloigner ces organisations mafieuses.

Si la qualité de l’offre helvétique génère un véritable tourisme du sexe dans les cantons frontaliers, à Genève et au Tessin en particulier, les prostituées elles aussi ont tendance à bouger. Les travailleuses du sexe clandestin ne restent que peu de temps dans les lupanars et autres salons de massage et franchissent les frontières cantonales à une vitesse déconcertante, faisant perdre leur trace avant de réapparaître plus tard.

Nicole della Pietra, swissinfo.ch

Selon les dernières estimations, quelque 12’000 femmes et hommes exerceraient la prostitution en Suisse.

Le chiffre d’affaires de ce commerce du sexe oscille entre 3,5 et 4 milliards de francs. Le Code pénal suisse n’interdit pas la prostitution.

La grande majorité des personnes exerçant cette activité provient d’Amérique latine et d’Europe de l’Est.

Sans autorisation de séjour, la présence et le travail de ces ressortissants et ressortissantes de pays extérieurs à l’Union européenne en Suisse, sont illégaux.

Le SCOTT est le service chargé de la coordination contre la traite d’êtres humains et le trafic de migrants.

Dès le 1er avril 2010, les victimes de la traite d’être humains ou ayant souffert de conditions abusives pourront bénéficier de l’aide au retour prévue par la loi fédérale sur les étrangers.

La France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Belgique, le Luxembourg et le Danemark tolèrent la prostitution sans la reconnaître officiellement. La Suède a choisi la voie de l’interdiction totale.

Les cantons disposent de leur autonomie pour légiférer sur les limitations de la pratique du sexe tarifé.

En Suisse, les cantons latins se sont presque tous dotés de lois cantonales en matière de prostitution.

La majorité d’entre eux prévoit l’obligation de s’annoncer auprès des autorités pour toutes les personnes qui pratiquent la prostitution.

La grande disparité des lois et des pratiques a poussé plusieurs cantons alémaniques à demander la création d’une plateforme inter-cantonale de dialogue et d’échange d’expérience.

La première rencontre de ce type a lieu lundi 1er février à Berne, sous la houlette de l’Office fédéral des migrations.

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