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Les musulmans font face à une hostilité croissante

Ein betender Muslim
Depuis les années 60, l'immigration a fortement fait augmenter la population musulmane en Suisse. Keystone

Insultes dans la rue, injures sur les réseaux sociaux, voire même agressions physiques: juifs et musulmans se heurtent à l’hostilité en raison de leur religion. Et une certaine islamophobie est même devenue respectable.

Colloque à l’Uni de Fribourg

La Commission fédérale contre le racisme invite le 11 septembre à un colloqueLien externe sur le thème de l’hostilité envers les musulmans dans la société, les médias et la politique à l’Université de Fribourg. Ce sera l’occasion de présenter les derniers travaux de recherche et les récentes études sur la perception des musulmans en Suisse.

Cet été, quand un hôtel suisse a placardé une affiche devant sa piscine en demandant aux clients juifs de se doucher avant et après le bain, le monde a regardé la Suisse avec horreur. Le ministère israélien des Affaires étrangères y a vu de l’antisémitisme de la pire espèce. Et depuis que les citoyens suisses ont accepté d’interdire la construction de minarets, et que les Tessinois ont banni le voile intégral, il se trouve des musulmans dans le monde entier pour taxer la Suisse d’islamophobe. Ce petit pays tranquille au pied des Alpes est-il vraiment un havre d’antisémitisme et d’islamophobie? Et si oui, qui sont les plus durement touchés: les juifs ou les musulmans?

Il n’existe pas en Suisse de chiffres fiables ni de données comparables pour répondre à ces questions. Mais certaines études permettent au moins de livrer quelques pistes:

  • Une étude de gfs.bern de 2014Lien externe montre que l’on observe chez 11% des sondés un antisémitisme stéréotypé et chez 19% une attitude, stéréotypée elle aussi, contre les musulmans.
  • L’hostilité envers les musulmans a tendance à augmenter, tandis que celle tournée contre les juifs stagne plutôt.
  • Une étude publiée en août 2017 par la Fondation Bertelsmann en Allemagne, sur les musulmans en EuropeLien externe montre qu’en Suisse, ceux-ci font plus rarement l’expérience de la discrimination qu’en Autriche, en Grande-Bretagne ou en France. Ainsi, alors que 28% des sondés autrichiens ne veulent pas de voisins musulmans, les Suisses ne sont «que» 17%.

En bref, les juifs comme les musulmans doivent se battre contre les ressentiments, et les seconds ont la vie un peu plus dure que les premiers en Suisse. Mais la situation n’y est pas aussi mauvaise pour eux que dans d’autres pays d’Europe occidentale.

Juifs et musulmans insultés dans la rue

Nous avons demandé à des associations juives et musulmanes de Suisse comment cette hostilité se manifeste concrètement. Jonathan Kreutner, secrétaire général de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCILien externe), explique que la haine des juifs s’exprime surtout sur internet, mais également sous forme d’écrits, de graffitis et d’insultes dans la rue. «Et occasionnellement, cela peut aller jusqu’à des agressions physiques».

De son côté également, Önder Güneş, de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse (FIDSLien externe), qui se réclame de «l’islam du milieu», constate qu’il y a «des insultes et de l’incompréhension massives dans les commentaires sur les réseaux sociaux». Et Qaasim Illi, du plus strictement religieux Conseil central islamique suisse (CCISLien externe), parle d’insultes dans la rue, de crachats, de mobbing à l’école et de difficultés dans les recherches d’emploi à cause du foulard.

Selon la Commission fédérale contre le racisme (CFRLien externe), les juifs comme les musulmans sont victimes d’actes d’hostilité verbaux ou écrits – avant tout sur les réseaux sociaux. Et les musulmans, contrairement aux juifs, souffrent en plus de discriminations sur le marché du travail et sur celui du logement.

Qui sont les «haineux»?

Toujours selon la CFR, il y a eu dans les deux dernières années une augmentation des manifestations d’extrême droite contre les musulmans et les juifs. Mais les sentiments hostiles aux musulmans et aux juifs sont aussi présents dans d’autres franges de la population suisse.

Selon Jonathan Kreutner, de la FSCI, les adresses aux juifs utilisent souvent un langage d’extrême droite. Du côté de la gauche, il y a parfois des critiques contre Israël qui dérapent vers l’antisémitisme. Quant aux insultes dans la rue, «les auteurs se servent parfois d’arguments islamistes. Surtout sur les réseaux sociaux, on voit de jeunes musulmans qui s’en prennent aux juifs, le plus souvent à propos d’affrontements entre Israéliens et Palestiniens.

Le conflit du Proche-Orient joue un rôle central dans l’antisémitisme islamiste. Qaasim Illi, du CCIS, admet que les musulmans ont un problème avec Israël: «la relation tendue entre les musulmans et les juifs ne vient pas d’une question ethnique ou religieuse, comme dans l’antisémitisme européen, mais d’une question politique, et très actuelle». L’antisémitisme n’en est pas moins la mauvaise approche. Jusqu’à la fondation de l’Etat d’Israël en 1948, les musulmans et les juifs ont cohabité pacifiquement partout dans le monde arabe.

Eine Palästinenserfamilie vor einem Zelt
Une famille palestinienne à l’ouest de Gaza. Le conflit au Proche-Orient alimente l’antisémitisme en Suisse. Keystone

Pourquoi les musulmans sont les «nouveaux juifs»

Pourquoi les musulmans sont-ils moins bien acceptés que les juifs par la population suisse? Il y a à cela plusieurs raisons possibles:

  • La population juive vit depuis de nombreuses générations en Suisse et a en majorité le passeport suisse. Les musulmans n’ont commencé à arriver que dans les années 60. En tant qu’étrangers, ils ont donc un double stigmate.
  • Un autre élément d’explication réside dans le fait que les juifs sont une très petite minorité, constante de 18’000 personnes, alors que la population musulmane a augmenté fortement en quelques décennies, de 3000 personnes environ en 1960 à presque 450’000 aujourd’hui (5,5% de la population).
  • Les événements mondiaux et leur couverture médiatique ont une grande influence sur les opinions de la population. Önder Güneş, du FIDS, dit que «la couverture médiatique de ce qui concerne l’islam est pour les quatre cinquièmes plutôt négative. Et cela laisse des traces dans la population». Le terrorisme islamiste, en particulier, provoque peurs et ressentiments.

Les événements du monde et leur couverture médiatique ont toutefois aussi des effets sur l’antisémitisme: selon la FSCI, les juifs de Suisse sont fortement touchés par les événements politiques et militaires en Israël. «Lors de la dernière escalade en 2014, une véritable vague d’antisémitisme a balayé la Suisse, avec d’innombrables menaces contre les juifs d’ici».

La méfiance envers l’islam touche indirectement aussi les juifs

Avec la démocratie directe, l’humeur de la population se voit plus vite et plus clairement en Suisse que dans d’autres pays d’Europe – comme le montrent par exemple l’interdiction des minarets et du voile. Des discussions politiques sont actuellement en cours sur la question de l’interdiction de l’importation de viande d’animaux ayant subi de mauvais traitementsLien externe. L’abattage rituel est déjà interdit en Suisse à la suite d’une décision populaire de 1893. La circoncisionLien externe, le refus de serrer la main pour des raisons religieuses ou le voile alimentent débats et controverses. Et toutes ces interdictions effectives ou discutées concernent presque uniquement les juifs et les musulmans.

Selon Jonathan Kreutner, il est clair que de telles interdictions visent en premier lieu l’islam, mais touchent aussi les juifs. «Nous n’y verrions cependant pas une manifestation de l’islamophobie ou de l’antisémitisme, mais plutôt de la sécularisation montante et d’un scepticisme général à l’égard de la religion».

Orthodoxe Juden in weissen Kleidern
Les Juifs représentent une petite minorité en Suisse. Ici, des orthodoxes célèbrant la fête du Pourim à Zurich. Keystone

Ce scepticisme se manifeste surtout envers l’islam. Selon l’étude de 2014 de gfs.bern, il y a nettement plus de Suisses critiques envers l’islam qu’envers les musulmans eux-mêmes (38% contre 19%). Anna-Konstanze SchröderLien externe, du Groupe de travail pour la recherche empirique en religion (AGER) de l’Université de Berne, confirme: «L’hostilité envers l’islam est souvent plus forte qu’envers les musulmans. Les critiques aux juifs et au judaïsme se distinguent moins nettement». La charia, le terrorisme et l’impérialisme islamique, sont déterminants pour critiquer l’islam – des aspects que l’on ne trouve pas dans le judaïsme.

L’antisémitisme est pris plus au sérieux

Bien que selon les sondages, l’hostilité envers les musulmans soit plus prononcée que celle envers les juifs, les tribunaux ne disent pas la même chose. Sur l’ensemble des condamnations pour racisme, 28% concernent des incidents contre des juifs, et 5% seulement contre des musulmans. La Commission fédérale contre le racisme l’explique en partie au moins par le fait que «davantage de plaintes sont déposées après des actes antisémites qu’en cas d’hostilité contre les musulmans».

L’antisémitisme est aussi pris plus au sérieux dans la société que l’hostilité envers les musulmans. Önder Güneş raconte par exemple que «les attaques et les discours excessifs dans les médias ou dans le cercle d’amis ne sont pas rejetés d’emblée. On en rigole même».

Pour Qaasim Illi, l’antisémitisme est aujourd’hui plutôt latent, alors que l’islamophobie est devenue respectable. «Ceci qui s’en prend aux juifs peut s’attendre rapidement à des conséquences, même judiciaires. On ne peut pas en dire autant des attaques contre l’islam». Une impression que partage Anna-Konstanze Schröder: «je crois que la raison principale de cette différence, c’est que dans le débat public, la critique ou les préjugés contre les musulmans sont admis, mais pas contre les juifs».


Juifs et musulmans en Suisse – une longue histoire

Les Sarrasins pénètrent au début du 10e siècle dans les Alpes suisses. Mais ils sont rapidement repoussés et la foi musulmane disparaît de la région vers 975.

L’existence de juifs en Suisse est établie par l’archéologie dès 1150. Au Moyen Age cependant, la population juive est massacrée et expulsée, au point qu’il ne reste parfois pratiquement plus de juifs en Suisse. Ils ne s’y réinstallent qu’à la fin du 16e siècle, mais restent très minoritaires. En 1850, à peine 3000 juifs vivent en Suisse. Puis, l’immigration d’Alsace, d’Allemagne et d’Europe de l’Est fait progressivement croître cette population, jusqu’à atteindre 21’000 personnes en 1920.

Dès les années 1960, de nombreux musulmans de Turquie et de Yougoslavie immigrent en Suisse. Ceux d’Afrique du Nord, d’Asie et du Golfe viendront plus tard et constituent toujours une minorité. Une deuxième vague balkanique arrive au cours des années 1990, fuyant les guerres dans la région. Aujourd’hui, la population musulmane en Suisse (450’000 personnes) est nettement plus importante que la juive (18’000). La plupart des juifs sont suisses, alors que de nombreux musulmans sont étrangers ou double nationaux. Les deux communautés religieuses se battent depuis des années – en partie en vain – pour une reconnaissance officielle. 

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Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez

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