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Le problème du suicide assisté est «très exagéré »

D’après les pronostics, le nombre de patients ayant besoin de soins palliatifs augmentera à plus de 50'000 d’ici 2032. Keystone

«Boom du tourisme de la mort», «un Britannnique se suicide en Suisse tous les quinze jours»: ces titres récents ont ponctué une nouvelle étude sur le suicide assisté en Suisse. Les experts relativisent et soulignent les progrès des soins palliatifs. 

L’étude «Tourisme du suicide: une étude pilote sur le phénomène suisse»Lien externe, publiée par l’Université de Zurich fin août, a mis le feu aux poudres. Selon ses auteurs, des chercheurs de l’Institut de médecine légale, le nombre de personnes faisant le voyage vers la Suisse pour utiliser les services d’associations d’aide au suicide a doublé entre 2008 et 2012, année où 172 personnes d’origine étrangère ont mis fin à leurs jours à Zurich, dont 77 en provenance d’Allemagne et 29 de Grande-Bretagne. 

Selon Bernhard Sutter, vice-président d’ExitLien externe, première organisation d’aide au suicide de Suisse, qui ne suit que des ressortissants suisses ou résidant en Suisse, le nombre de candidats au suicide en provenance de l’étranger est resté stable ces dix dernières années, à environ 225 personnes par année.

En revanche, le nombre de Suisses recourant à l’aide au suicide augmente chaque année, poursuit Bernhard Sutter. Les statistiques font état de 508 cas en 2012, soit 18% de plus qu’en 2011. Exit est la principale organisation active dans ce domaine, depuis plus de 30 ans. 

Mais ce n’est que la moitié, à peu près, du nombre total de suicides en Suisse. Les chiffres cachent en outre une autre réalité, liée aux soins prodigués à des patients atteints de maladies incurables: seuls 1,3% des près de 40’000 patients au bénéfice de soins palliatifs ont mis fin à leurs jours par suicide assisté en 2012.

Les soins palliatifs

Les soins palliatifs se basent sur une approche pluridisciplinaire incluant des soins médicaux hautement spécialisés dans le cas de maladies incurables. La priorité est de soulager la douleur et le stress pour augmenter la qualité de vie. Fondée en 1988, l’association «palliative.ch»Lien externe, (Société suisse de médecine et de soins palliatifs) compte quelque 2400 membres – médecins, infirmières, accompagnants spirituels et spécialistes d’autres professions soignantes. 

«Choix d’une minorité»

«Le suicide assisté reste le choix d’une minorité», confirme Andreas Weber, un spécialiste de soins palliatifs de l’Hôpital de Wetzikon, dans le canton de Zurich, interrogé par swissinfo.ch. «Pour la majorité des gens, recourir au suicide assisté n’est jamais une option, dit le médecin. Lorsqu’un diagnostic de maladie est posé, l’idée est balayée lorsque nous réduisons leurs soucis et expliquons ce que nous pouvons faire.» 

Maria Walshe, du Centre de soins palliatifsLien externe de l’Hôpital cantonal de Winterthour, est du même avis. Elle ne connaît que «deux cas isolés de patients qui ont recouru au suicide assisté». «Notre travail n’est jamais de raccourcir une vie, mais de soulager les symptômes. Nous parlons aux patients, leur demandons s’ils ont des souhaits et définissons leurs besoins, sans préjugés.» 

Pour ces partisans des soins palliatifs, les seuls cas de patients qui vont jusqu’au suicide assisté sont souvent «des intellectuels qui ont déjà décidé ce qu’ils voulaient faire. Ils ont mis de l’ordre dans leurs affaires, sont membres d’Exit et sont prêts à «partir». Il est impossible de leur faire changer d’avis», estime Andreas Weber. 

Moins de 1% de ses patients prendraient cette décision, ajoute-t-il. C’est également ce qu’observent les experts de l’association «palliative.ch».

«Savoir que l’option du suicide assisté existe est comme une assurance pour les gens qui veulent garder leur autonomie, leur auto-détermination et leur dignité», affirme la présidente de l’association Sonja Flotron. Les spécialistes proposent leurs conseils, organisent des soins à domicile, soulagent les symptômes et, de manière générale, font tout pour réduire les problèmes de leurs patients et augmenter la qualité de vie restant à leurs patients. 

Augmentation des besoins 

D’après les pronostics, le nombre de patients ayant besoin de soins palliatifs augmentera à plus de 50’000 d’ici 2032. Mais la prise de conscience n’intervient souvent que lorsque des familles sont confrontées à une maladie mortelle. C’est le moment où de nombreuses personnes choisissent de rédiger des directives anticipées décrivant ce qu’elles souhaitent ou refusent en cas de perte de conscience. Certains s’inscrivent chez Exit.

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Exit a aussi été l’une des premières organisations à faire la promotion des soins palliatifs, il y a 25 ans. Le soutien est inscrit dans les statuts. Elle informe aussi toujours ses membres sur les soins palliatifs, explique Bernhard Sutter, ce qui n’est pas un paradoxe. 

«Les soins palliatifs et le suicide assisté ne sont pas des contraires, ils sont complémentaires», déclare Bernhard Sutter. «Exit reçoit plus de 2000 requêtes de suicide assisté par année. Après nous avoir consultés, plus de 80% de ces personnes prennent une autre voie, très souvent celle des méthodes palliatives.» 

Les organisations d’aide au suicide n’ont en tout cas pas besoin de chercher les clients. Exit Suisse alémanique compte environ 8000 nouvelles adhésions par année. En Suisse, les cinq organisations actives dans ce domaine ont plus 100’000 membres, comme aux Pays-Bas et au Japon, mais la proportion en regard de la population générale est la plus élevée au monde. Mais en fin de compte, 1% des membres d’Exit utilisent les services d’un accompagnant au décès. 

Droit à l’auto-détermination

Depuis 1942, l’assistance au suicide n’est pas poursuivie en Suisse si elle n’est pas motivée par des raisons égoïstes. D’autres pays connaissent des règlements libéraux, mais la Suisse procède, traditionnellement, de manière pragmatique pour défendre le droit à l’auto-détermination. 

«Si les citoyens européens avaient la possibilité de voter sur l’assistance au suicide, cette dernière seraient acceptée dans toute l’Europe occidentale», affirme Bernhard Sutter. Les sondages le montrent bien. En Allemagne et en Grande-Bretagne, quatre citoyens sur cinq sont favorables au droit de décider de mourir, selon les partisans de l’assistance au suicide. 

De plus, les soins palliatifs ne peuvent pas tout, admet Andreas Weber. «Certaines personnes souffrent de douleurs chroniques aigues que l’on ne peut pas traiter.» Dans ces cas-là, la seule option est une sédation lourde grâce à laquelle les patients peuvent dormir. Mais les personnes qui veulent rester conscientes et lucides rejettent cette possibilité. «Nous devons leur dire que nous ne pouvons plus les aider», souligne Andreas Weber. «Ce sont les très rares cas où nous atteignons nos limites et où l’assistance au suicide peut être la bonne solution».

Assistance au suicide

Les cancers en phase terminale sont la principale raison avancée par les personnes s’adressant aux organisations d’aide au suicide. Les maladies neurologiques telles que scléroses latérales amyotrophiques (SLA), scléroses multiples, paralyses ou maladies de Parkinson viennent ensuite, tout comme toutes les maladies entraînant des douleurs chroniques. Toutes ces maladies sont incurables, mais toutes ne sont pas fatales. 

Les spécialistes en soins palliatifs estiment que 10% de leurs patients (et de la population générale) envisagent de recourir à l’assistance au suicide. 80% d’entre eux craignent de subir des douleurs insupportables, de suffoquer, de perdre leur autonomie ou de devenir un fardeau. Grâce aux soins palliatifs, ils changent souvent d’avis. Seuls 2% des patients poursuivent sur la voie du suicide assisté. 

Exit Suisse alémanique compte 75’000 membres, Exit Suisse romande 20’000 et Dignitas 6000. Deux autres organisations plus petites («Ex International» et «Life Circle») regroupent à elles deux 4000 membres. Avec Dignitas, elles acceptent les personnes ne résidant pas en Suisse. 

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’ayant pas de typologie pour l’assistance au suicide, les statistiques suisses incluent (depuis 2009) ces types décès dans les cas de décès provoqués par les maladies dont ces personnes souffraient.

Isabelle Eichenberger

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