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Des voisins qu’un monde sépare

Impressionnés par la démocratie directe, Gerald Rinke, Sandra Günter et Ulf Schiller aimeraient bien pouvoir voter eux aussi. swissinfo.ch

Le nombre d’Allemands vivant en Suisse a fortement augmenté ces dernières années. Quel regard portent-ils sur leur pays d'accueil et ses habitants? Table ronde autour de ces petites et de ces grandes différences.

Sandra Günter, 41 ans, originaire de Hambourg, professeure de sociologie du sport à l’Université de Berne; Gerald Rinke, 46 ans, originaire de Dresde, employé chez un opérateur de téléphonie mobile à Berne; Ulf Schiller, 50 ans, originaire de Cologne, professeur d’économie à l’Université de Bâle: trois Allemands qui vivent et travaillent en Suisse.

Comme la plupart de leurs 279’000 compatriotes installés en Suisse, ils sont très bien formés, contribuent énergiquement à la vigueur de la consommation intérieure. Et, bien sûr, ils parlent une des langues nationales suisses.

Les Allemands sont-ils donc des «immigrants de rêve» pour la Suisse? «Probablement», répond Ulf Schiller, qui s’est installé en terre helvétique avec sa famille il y a dix ans, à Säriswil, près de Berne.

Le professeur estime que la forte présence allemande dans le milieu académique n’est pas un hasard, car la Suisse peine à produire la relève nécessaire.

Et quelle est l’attitude des Suisses envers les Allemands, à l’heure où certains cercles déplorent ouvertement une présence trop importante? «Si je me parque mal, je ne suis pas n’importe qui. Je suis un Allemand qui s’est mal parqué, raconte Ulf Schiller. Sinon je me trouve dans un environnement totalement normal. Mes contacts avec mes amis suisses, allemands, italiens ou canadiens sont très naturels, exactement comme si j’habitais encore en Allemagne».

De son côté, Sandra Günter, qui vit en Suisse depuis trois ans, estime que «les différences culturelles sont minimes et les ressemblances très grandes».

Une impression partagée par Gerald Rinke. Arrivé en Suisse il y a seize ans pour rejoindre son amie, qui est entre temps devenue sa femme, il juge que le contraste entre la Suisse et le sud de l’Allemagne n’est pas plus important que qu’entre le sud de l’Allemagne et le reste de l’Allemagne.

Honte et fierté

Malgré cette proximité culturelle, Sandra Günter, Ulf Schiller et Gerald Rinke notent aussi des différences entre leur pays de résidence et celui de leurs origines.

«En raison du passé de l’Allemagne, j’ai grandi en ayant honte de dire que j’étais allemande. Et je ne suis pas du tout fière de mon pays», indique Sandra Günter. A ses yeux, la situation en Suisse est tout autre. «Les Suisses ont grandi avec l’idée qu’être suisse est quelque chose de formidable et que c’est un privilège d’avoir le droit de vivre ici.»

Gerald Rinke regarde ces questions de fierté nationale avec une certaine distance. «Un enfant ne choisit pas de naître en Suisse ou en Allemagne», dit-il. Il avoue également que les habitudes locales en matière de débat le laissent perplexe.

«Lorsque je donne mon avis, que ce soit sur la politique ou sur un autre sujet, il est pris très personnellement. Je ne me vexe pas si un Suisse critique la chancelière allemande. Mais les Suisses sont blessés si l’on critique un conseiller fédéral.»

Dans ce genre de situations, Gerald Rinke regrette que les Suisses ne soient pas davantage capables de recourir à l’humour pour détendre l’atmosphère. «En Allemagne, les différences font souvent l’objet de plaisanteries, par exemple entre les Allemands de l’ouest et ceux de l’est», raconte-t-il.

Mais Gerald Rinke ne se limite pas à enregistrer les divergences. Il apprend également. «Je sais mieux écouter. Ici, dans les discussions, on écoute longtemps avant de prendre la parole, alors qu’en Allemagne on commence par parler longtemps». Ulf Schiller et Sandra Günter disent aussi avoir adopté une attitude plus «en retrait» et plus «respectueuse».

Les choses se compliquent toutefois lorsque l’on entre sur le terrain de la langue. «Je ne sais pas s’il est même souhaité que les Allemands apprennent le dialecte», note Sandra Günter. Il lui a fallu une année pour le comprendre et aujourd’hui elle prie ses interlocuteurs de s’adresser à elle dans leur langue.

Glisser un mot en suisse allemand de temps en temps donne un certain charme, selon Ulf Schiller. Il estime toutefois que les Allemands devraient en rester là. «Lorsque je suis arrivé en Suisse, un de mes collègues m’a immédiatement conseillé de ne pas faire l’erreur de parler le dialecte.»

Tabous et libertés

Quant aux discours sur les Allemands, ils ne choquent pas particulièrement à Gerald Rinke. Mais il trouve quand même «effrayant» qu’un parti rassemblant plus de 30% des voix en Suisse – l’Union démocratique du centre – puisse défendre des positions tellement à droite. «Si un politicien allemand utilisait le terme ‘camp d’internement pour requérants d’asile’, sa carrière serait brisée.»

Gerald Rinke est favorable à la démocratie directe mais trouve «quand même étrange que la population soit amenée à voter sur des questions énergétiques que les experts eux-mêmes n’arrivent pas à trancher.»

Ulf Schiller s’inquiète pour sa part du fait que la démocratie directe soit de plus en plus souvent détournée pour servir les querelles entre gauche et droite. Dans le même temps, il se dit «très impressionné» par le savoir et la compétence du peuple suisse sur les sujets soumis à votation.

Sandra Günter, Ulf Schiller et Gerald Rinke apprécieraient tous trois de pouvoir mieux s’intégrer dans la vie politique du pays en ayant la possibilité de voter au niveau communal après un certain nombre d’année de résidence.

«J’ai complètement sous-estimé l’importance du vote communal, par exemple pour ou contre la fermeture d’une école. A ce niveau, la possibilité de faire valoir mon avis me manque beaucoup», souligne Ulf Schiller.

Fin avril 2012, 1’789’374 étrangers vivaient en Suisse, soit 22,6% de la population. Forte de 291’000 membres, la communauté italienne est la plus importante communauté étrangère de Suisse. Les Allemands arrivent en deuxième position, avec 279’672 personnes, soit environ 3,5% de la population du pays. A ce chiffre s’ajoutent quelque 50’000 frontaliers. La présence allemande en Suisse a fortement augmenté après l’accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne entré en vigueur en 2002.

En Suisse, un cadre supérieur sur huit, un professeur d’université sur cinq et un médecin sur dix viennent d’Allemagne. Avec les 3000 médecins allemands exerçant en Suisse, le Confédération a économisé environ trois milliards de francs en frais de formation, selon une étude d’Avenir Suisse publiée en 2011. Le montant réel devrait toutefois être encore plus important car la statistique ne prend pas en compte les médecins qui habitent en Allemagne ni les double nationaux.

Traduction de l’allemand: Sophie Gaitzsch

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