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L’endettement mine le développement de Madagascar

Les membres d'un groupement d'épargne communautaire se réunissent à Ampanihy, dans le sud de Madagascar. swissinfo.ch

Pour simplement manger à leur faim, une majorité de Malgaches sont contraints de s’endetter à des taux d’intérêt exorbitants. Un phénomène sous-estimé qui constitue un puissant frein au développement de la Grande Ile, affirme l’anthropologue suisse Gion Cabalzar.

Voilà près d’un quart de siècle que Gion Cabalzar a posé ses valises à Madagascar. Autant dire que cet anthropologue est devenu, au fil du temps, un fin connaisseur des réalités sociales et économiques qui régissent ce pays autrefois prioritaire pour la coopération suisse.

Depuis douze ans, Gion Cabalzar est le coordinateur d’Action de Carême à Madagascar. L’œuvre d’entraide de l’Eglise catholique suisse a mis sur pied un programme pour s’attaquer à la problématique de l’endettement chronique provoqué par l’usure (prêts à taux d’intérêt exagérés), qui serait en grande partie responsable de l’extrême-pauvreté sévissant dans les campagnes malgaches.

Usure. En cas de difficultés financières ou alimentaires, les personnes concernées sont obligées de contracter des emprunts en argent ou en riz auprès de prêteurs informels. Ces usuriers pratiquent des taux d’intérêt très élevés. Un taux de 100 à 300% est appliqué pour un crédit informel (en argent ou en riz) allant de quelques semaines à quelques mois en milieu rural, de 50 à 100% par mois pour un crédit informel en argent dans les villes.

Cercle infernal. Le paiement d’intérêts exorbitants provoque un manque à gagner important dans les foyers. L’endettement devient chronique par sa logique même: une fois pris dans le piège, un cercle vicieux se met en marche. Un crédit informel entraîne nécessairement le prochain, et il devient très difficile de se sortir de cette spirale.  

swissinfo.ch: L’endettement est-il pour quelque chose dans les difficultés que connaît Madagascar depuis son indépendance en 1960?

Gion Cabalzar: L’endettement chronique est un frein majeur au développement de Madagascar. Il touche les paysans, les ouvriers, les petits commerçants et fonctionnaires, soit potentiellement près de 90% de la population. Les pertes engendrées par l’usure font que ces personnes stagnent à un niveau économique où ils ont trop peu pour vivre mais trop pour mourir – le niveau idéal pour les exploiter.

Deux facteurs viennent aggraver la situation: les paysans vendent du riz, l’aliment de base à Madagascar, à bas prix après les récoltes, puis sont contraints d’en racheter parfois au double du prix en période de soudure, ces semaines qui précèdent les récoltes.  A cette perte très répandue vient s’ajouter celle subie par les métayers, qui remettent d’office 50% de leurs récoltes aux propriétaires terriens. Une pratique fréquente dans les grands périmètres rizicoles. Sans désendettement complet et durable, on ne peut pas espérer un développement à Madagascar.

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swissinfo.ch: A-t-on véritablement pris conscience de l’ampleur du phénomène?

G. C. : Non, l’endettement chronique est l’un des problèmes les plus négligés de Madagascar, que ce soit par l’Etat, les organismes de développement nationaux et internationaux, mais aussi la presse. De nombreux acteurs pensent qu’une politique normale de développement va résoudre le problème. Mais c’est faux. Le fléau doit être combattu à la base, par une approche spécifique. Lorsqu’un fût a une fuite, il est inutile d’y verser toujours plus de liquide, il faut d’abord le réparer. Il en va de même pour l’endettement.

swissinfo.ch: La crise politique que vit Madagascar depuis près de trois ans joue-t-elle un rôle aggravant?

G. C. : Dans les villes, les sanctions imposées par les Etats-Unis et l’Union européenne suite à la prise de pouvoir d’Andry Rajoelina participent au renforcement du phénomène. De nombreuses usines ont dû fermer leurs portes, 50’000 emplois ont été détruits et près de 300’000 personnes sont affectées.

En milieu rural, l’effet est indirect. L’insécurité s’accroît, les vols de bovidés et de récoltes sur pied augmentent. Les paysans sont contraints au repli, ce qui provoque des baisses de rendement agricole. La nécessité d’avoir recours à un crédit informel auprès d’un usurier augmente nécessairement, à la ville comme à la campagne.

L’anthropologue grison Gion Cabalzar vit depuis 24 ans à Madagascar. De 1987 à 1997, il a été coordinateur d’un programme régional de sauvegarde et d’aménagement des forêts denses sèches de la région du Menabe, située à l’ouest de Madagascar, pour le compte de l’ONG suisse Intercoopération.

Depuis 1998, il est coordinateur du programme «Tsinjo Aina» (littéralement «sécuriser la vie par la prévention») d’Action de Carême Suisse à Madagascar. Cette organisation non gouvernementale a mis sur pied des groupes d’épargne communautaire afin de lutter contre l’endettement chronique et la pauvreté en milieu rural.

Gion Cabalzar s’est attelé récemment à l’écriture d’un livre retraçant l’histoire de la coopération suisse à Madagascar dans le cadre du 50e anniversaire de la  Direction du développement et de la coopération (DDC), l’organisme officiel de l’aide au développement suisse.  Il paraîtra bientôt en allemand sous le titre Schweiz-Madagaskar: Die Geschichte einer Zusammenarbeit.

swissinfo.ch: Comment faire alors pour sortir les Malgaches de cette impasse?

G. C. : Action de Carême et ses organisations partenaires ont déjà mis sur pieds plus de 9000 groupements d’épargne commune, qui bénéficient à près de 500’000 personnes. L’épargne commune constituée au sein de ces organisations sert de fond de crédit interne pour des membres en difficulté. Il n’est ainsi plus nécessaire de recourir aux usuriers.

Les résultats obtenus depuis douze ans sont probants, puisque les bénéficiaires arrivent à se désendetter. Notre approche n’est pas basée sur l’assistanat. C’est l’effort fourni par les Malgaches eux-mêmes qui permet aux victimes de l’usure de sortir du cercle vicieux de l’endettement.

swissinfo.ch: Quelle différence avec les sociétés de micro-crédit, qui pullulent sur la Grande Ile?

G. C. : Les groupements d’épargne exercent une véritable démocratie de base, ce qui n’est pas une mince affaire à Madagascar. Les valeurs véhiculées, soit la solidarité et l’entraide, sont proches de celles de la société traditionnelle.

Les institutions de micro-finance sont d’une nature complètement différente. Elles pratiquent principalement du crédit externe à des individus, et ceci le plus souvent à des fins d’investissement. Ce système peut être utile pour les commerçants, mais représente un piège pour les paysans.

Avec des taux d’intérêt situés entre 3 et 4% par mois, on arrive en moyenne à un taux annuel de 60%. Qui en Suisse serait prêt à contracter un tel crédit? Nous mettons en garde contre ce genre de pratiques, qui, à l’instar de ce qui se passe avec les usuriers informels, peuvent entraîner la perte des terres agricoles. Celles-ci, données en caution pour un crédit, sont perdues quand l’emprunt ne peut être remboursé.

swissinfo.ch: Quelles sont les principales difficultés rencontrées par ces groupements d‘épargne?

G. C. : En raison de la honte ressentie par les victimes, nous pensions qu’il serait difficile de gagner leur confiance. Mais nous avons été surpris de la facilité avec laquelle les groupements d’épargne ont pu être mis sur pied. Aujourd’hui, ils constituent des réseaux d’échange et d’entraide précieux. Ce qui ne paraissait pas évident dans un contexte de développement qui favorise généralement l’attentisme des bénéficiaires.

J’en déduis que le potentiel de prise en charge autonome des populations locales est beaucoup plus élevé qu’on ne le croit. Les difficultés rencontrées n’émanaient pas des acteurs-bénéficiaires, mais d’usuriers qui ont tenté de perturber notre action par la désinformation ou de politiciens qui essayaient de tirer profit de notre action. Les dégâts sont pour l’heure minimes.

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