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Retrouver ses parents biologiques à l’étranger est un long parcours semé d’obstacles

Indian alley
Pour retrouver ses racines à l’étranger, il faut du temps, de l’argent, de la détermination et des contacts sur place. Copyright 2019 The Associated Press. All Rights Reserved.

Les personnes adoptées vivant en Suisse qui veulent retrouver leurs parents biologiques dans des pays lointains doivent y surmonter non seulement de nombreux obstacles légaux et bureaucratiques, mais également des résistances culturelles. Née en Inde, Beena Makahijani n’a toujours pas pu consulter son dossier d’adoption.

Installée près de Zurich, cette femme de 41 ans d’allure juvénile ne se réjouit pas quand vient son anniversaire. Mais ce n’est pas parce qu’elle a peur de vieillir. «J’ai un sentiment étrange ce jour-là parce que c’est aussi le jour où on m’a donnée lorsque j’étais bébé», dit-elle à swissinfo.ch. Sa mère indienne l’a mise en adoption le jour même de sa naissance et, cinq mois plus tard, l’agence la remettait à ses nouveaux parents, un Indien et son épouse suisse, qui vivaient alors en Inde. La famille est retournée en Suisse peu après et l’adoption a été officialisée deux ans plus tard dans son nouveau pays.

Beena Makhijani a toujours su qu’elle était une enfant adoptée. «Toute petite, j’ai vu une femme enceinte et j’ai demandé à ma mère de m’expliquer pourquoi elle était si différente. Elle m’a dit que la femme avait un bébé dans le ventre. Je lui ai demandé si moi aussi j’étais comme ça et elle m’a répondu que non», raconte-t-elle.

Baby Beena
Beena Makhijani dans les bras de sa mère adoptive à Mumbai. Courtesy

Son père lui a interdit d’aborder cette question et sa famille en Inde considérait qu’il était impoli d’en parler parce qu’elle l’avait accueillie en son sein et élevée comme si elle était leur propre enfant. Ce n’est que lorsqu’elle a eu son premier enfant que Beena Makhijani a eu la certitude qu’elle se mettrait en quête de ses parents biologiques.

«J’ai toujours voulu un enfant pour avoir quelqu’un de vraiment à moi. Quand j’ai donné naissance à mon fils, j’ai refusé pendant une semaine d’être séparée de lui. J’ai compris à ce moment que j’avais encore quelque chose à régler», dit-elle.

Affronter les écueils

Beena Makhijani s’est d’abord rendue à l’ambassade d’Inde à Berne qui n’a pas pu l’aider, pas plus que les autorités suisses, ni le Service social international SuisseLien externe. Le principal obstacle venait du fait qu’elle n’avait pour ainsi dire aucune information sur ses parents biologiques. «La seule chose que m’avaient dite mes parents adoptifs était que ma mère biologique avait 18 ans et le teint plutôt clair pour une Indienne.»

Elle a rapidement compris que pour avoir la moindre chance de localiser sa famille biologique, il lui faudrait accéder à son dossier d’adoption. Mais en Inde, l’agence d’adoption n’était pas disposée à lui transmettre les informations dont elle avait besoin. À cette époque, le droit des personnes adoptées à connaître leurs parents biologiques n’était pas encore reconnu.

En 2011, Beena Makhijani a fait appel à Arun Dohle, un militant contre le trafic d’enfants installé en Allemagne. Avec son associée indienne Anjali Pawar, ils ont jusqu’à présent résolu 48 cas similaires dans le sous-continent, mais leurs services ne sont pas gratuits. Les personnes adoptées doivent payer un total de 20’000 euros (21,615 francs) par tranches annuelles sur une période de sept ans – ils peuvent cependant cesser les versements après trois ans si les recherches ne donnent pas de résultat.

«Nous consacrons de 200 à 400 heures à chaque recherche. Le modèle de paiement est structuré de manière à être juste pour tout le monde», dit Arun Dohle.

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Ses compétences viennent de sa propre expérience d’enfant adopté. Il s’était lancé à la recherche de ses parents biologiques une dizaine d’années avant Beena Makhijani. «J’imaginais que je pourrais résoudre mon cas en six semaines. Il m’a fallu deux ans uniquement pour trouver les personnes à même de m’aider.»

Arun Dohle a en particulier entrepris une action en justice pour contraindre l’orphelinat à livrer les informations sur son adoption. Il a finalement eu accès aux documents le concernant sept ans plus tard, lorsque la Cour suprême de l’Inde lui a donné raison. Ensuite, il a pu localiser sa mère biologique et la rencontrer.

Obstacles à l’information

«Nous avons engagé de nombreuses actions en justice pour obtenir une modification de la loi. Le droit des personnes adoptées à connaître leurs parents est maintenant reconnu, mais il y a encore des obstacles», dit-il.

En Inde, la réglementation révisée de l’adoption reste défavorable aux personnes adoptées en quête de réponses. Elle stipule que les droits d’une personne adoptée ne doivent pas porter atteinte au respect de la vie privée des parents biologiques. Les agences d’adoption et les organes gouvernementaux se montrent par conséquent extrêmement prudents dans la transmission d’informations.

 + Ce que dit le droit Suisse sur la recherche des parents biologiquesLien externe

Un autre obstacle vient du fait qu’un article de la loi interdit à des tiers de mener des recherches. C’est pourquoi Arun Dohle a dû renoncer à sa carrière de consultant financier en Allemagne afin d’être sur place en Inde pour les audiences devant les tribunaux et pour les rencontres avec les officiels et les autorités au moment de consulter les dossiers le concernant.

Ce n’était pas possible pour Beena Makhijani parce qu’elle devait s’occuper de ses deux enfants en Suisse. Elle a donc donné une procuration à Arun Dohle et Anjali Pawar les autorisant à consulter les documents en son nom. Mais le gouvernement s’y est opposé et il lui a fallu porter l’affaire en justice. La Haute Cour de justice de Mumbai lui a donné raison en octobre dernier. Il s’agit d’un précédent important.

«C’est une grande victoire pour toutes les personnes adoptées qui vivent à l’étranger. Mon affaire a été ajournée trois fois et il m’aurait été très difficile de me rendre aussi souvent en Inde», dit la jeune femme.

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Mais les autorités indiennes renâclent toujours Elles s’inquiètent des conséquences pour les parents biologiques, dit Arun Dohle qui peut comprendre leurs réticences. «La plupart des adoptés constituent des secrets de famille vivants. Si vous donnez à quelqu’un qui a grandi en Occident toutes les informations nécessaires pour localiser ses parents biologiques, il finira toujours par aller frapper à leur porte. Cela fera scandale et c’est la mère qui en souffrira le plus», dit-il.

Idéalement, Arun Dohle souhaite que le gouvernement indien conserve tous les registres d’adoption et qu’il charge des travailleurs sociaux d’aider les personnes adoptées à retrouver leurs parents. «Je ne demande pas l’accès complet aux dossiers d’adoption tel qu’on le connaît en Occident, dit-il, parce que l’Inde n’est pas encore prête pour cela.»

Beena Makhijani se bat toujours pour accéder à son dossier d’adoption. Une de ses plus grandes craintes est que sa mère biologique ne soit plus en vie et ne sache jamais que sa fille s’en sort bien en Suisse. Pourtant, en définitive, c’est surtout à ses propres questions que cette quête doit apporter des réponses. «Je ne veux pas nécessairement trouver mes parents biologiques, mais je veux une explication. Je ne connaîtrai pas la paix avant de savoir pourquoi on m’a mise en adoption», dit-elle.


Contenu externe

 

En Suisse, le nombre d’adoptions internationales est en baisse. Elles étaient fréquentes dans les années 70 et 80 du siècle dernier, les enfants arrivant de pays tels que la Corée du Sud, l’Inde, le Sri Lanka, la Colombie, la Roumanie, la Russie, l’Ukraine et l’Éthiopie. Ces dernières années, les coûts élevés, la publicité négative autour de cas de trafic d’enfants, de nouvelles lois et de nouvelles réglementations internationales les ont sévèrement ralenties.

La Convention des Nations uniesLien externe relative aux droits de l’enfant (également signée par la Suisse) stipule que l’adoption à l’étranger peut être envisagée «si l’enfant ne peut, dans son pays d’origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé».

Arun Dohle est opposé aux adoptions internationales parce qu’il estime qu’elles représentent une forme légalisée de trafic d’enfants. Il fait valoir que «la Suisse n’envoie pas d’enfants dans d’autres pays pour y être adoptés même si le niveau de vie y est élevé».

Beena Makhijani remarque qu’avoir été considérée comme une étrangère pendant son enfance en Suisse était désagréable mais qu’elle a eu la chance de découvrir la culture indienne grâce à sa famille paternelle. Le plus difficile était d’ignorer les raisons pour lesquelles ses parents l’ont donnée en adoption. «Je me suis toujours posé cette question et je crois que je serai plus sereine quand j’aurai finalement la réponse», dit-elle.


(Traduction de l’anglais: Olivier Huether)

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