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Une borne d’amitié entre Zurich et Berlin

Bien visible des automobilistes, la borne de Berlin indique le nombre de kms jusqu'à Zurich.

A force d'échanges et de louanges, l'amour entre Zurich et Berlin semble infini. Mais une ombre plane, née des enquêtes fiscales de Berlin et de la polémique sur la présence allemande chez Zwingli.

Beaucoup sont gênés par ce mécontentement. Une pierre oubliée pourrait leur réchauffer le cœur.

Voilà un cinquantenaire qui risque bien de passer totalement inaperçu, quand bien même l’objet de cette hypothétique célébration réjouit tous ceux qui sont interpellés sur le sujet!

C’était le 3 juin 1958, à Berlin. Ce jour-là, non loin de Rathaus Steglitz, dans la zone ouest, le maire de Zurich Emil Landolt inaugurait une borne commémorative en signe d’amitié et de solidarité avec la ville «île», symbole de liberté face au bloc de l’Est.

Le 11 avril de l’année suivante, le même maire – un des plus populaires du 20e siècle à Zurich, qui a aussi réussi à apaiser le climat politique très tendu jusque-là entre gauche et droite – posait une borne semblable au centre de Zurich, avec programme culturel et discours politiques de circonstances.

Très mal placée à Berlin – sur une bande de vague verdure entre deux chaussées très fréquentées, la borne «Zürich grüsst Berlin» est néanmoins connue de tous. «Bien sûr je sais qu’elle a été offerte par Zurich», répond, presque offusquée, Sieglinde, une dame âgée.

Si bien placée, pourtant!

Tout aussi oubliée, la borne de Zurich n’a pas, en revanche, l’excuse de la mauvaise localisation. Au contraire, elle ne pourrait pas être mieux placée.

Sur le pont traversant la Limmat près de la gare, dans le virage débouchant sur le Limmatquai, elle est vue chaque jour par des milliers de personnes. Vue mais pas regardée. Ni le maire de la ville ni les personnalités interrogées ne la connaissent.

Roger de Weck, journaliste et essayiste vivant à Zurich et à Berlin, replace le geste de solidarité de l’époque dans son contexte historique. «A Zurich, la borne s’inscrivait dans un mouvement anticommuniste très fort», explique-t-il.

Célébrations anticommunistes

Ce n’est pas Ernst Borer, 85 ans, ancien syndicaliste chrétien qui dira le contraire. Fondateur – entre autres associations – d’une «Action suisse pour le droit de tous les peuples à l’autodétermination», cet activiste a commémoré chaque année, de 1963 aux années 80, le soulèvement réprimé par les panzers soviétiques à Berlin le 17 juin 1953.

La municipalité avait, dès 1966, tenté de l’éloigner de la borne qu’elle ne voulait pas voir liée à cette commémoration, selon une lettre du maire, mais Ernst Borer y est toujours revenu. Dans les années 70, «les étudiants gauchistes ont jeté nos couronnes à la Limmat, raconte-t-il, las. L’intolérance était extrême.»

Mauvaise humeur antiallemande

Aujourd’hui, c’est une autre forme d’intolérance qui règne, regrettent les partisans de l’ouverture. Le soi-disant ras-le-bol grandissant des Zurichois face aux Allemands, (qui, désormais, forment le premier groupe d’étrangers dans le canton, avant les Italiens) suscite beaucoup de critiques, à Zurich, comme à Berlin.

C’est dans ce contexte que les enquêtes pour fraude fiscale lancées par Berlin viennent encore échauffer les esprits à Zurich. A Berlin en revanche, c’est la polémique «anti-allemande» qui préoccupe.

«Les discussions en Suisse irritent les Berlinois, explique Sascha Buchbinder, correspondant du «Tages-Anzeiger» à Berlin. Ils ne comprennent pas qu’ils puissent être perçus comme étrangers. Mais je pense que l’évolution est double.
Un ami allemand vivant en Suisse me disait que pour la première fois, lors du Mondial 2006, il n’avait pas vu le public suisse espérer la défaite allemande. Le ressentiment historique des Alémaniques est peut-être, malgré les apparences, en train de s’estomper.»

Pour l’essayiste Roger de Weck également, ces polémiques sont un mouvement d’humeur sans gravité. «Les Zurichois savent qu’ils bénéficient, aujourd’hui comme par le passé, du dynamisme de ces nouveaux arrivants», explique-t-il.

Capitale germanophone

«Les Berlinois sont toujours les bienvenus au bord de la Limmat», avait d’ailleurs déclaré le Emil Landolt en inaugurant la borne. Il avait aussi dit la réciproque: «Les professeurs zurichois vont se former à Berlin et les étudiants y chercher leur science.»

Une attirance peu étonnante puisque Berlin était devenue, au long des 18e et 19e siècle, la capitale économique et intellectuelle de l’espace germanophone. Bon nombre de Zurichois ont aujourd’hui un appartement au bord de la Spree. Parmi les pendulaires, on trouve des journalistes et de nombreux écrivains et acteurs.

Nettoyage mystérieux

Tous ont été précédés par des générations d’artistes faisant le passage d’une ville à l’autre (Gottfried Keller, Adolf Muschg, Bertolt Brecht et Bruno Ganz). «Berlin et Zurich sont des points de rencontre des artistes au diapason de leur époque», dit Roger de Weck.

Serait-ce pour honorer cette proximité aujourd’hui parfois décriée que la borne Zurich-Berlin a été nettoyée des graffitis qui l’ornaient il y a peu encore? Le Service municipal de monuments historiques n’est pas au courant. Une histoire de plus pour la borne oubliée…

swissinfo, Ariane Gigon, Zurich et Berlin

La borne de Berlin a été inaugurée le 3 juin 1958, avant la construction du Mur (août 1961).

Elle est placée sur la Schlossstrasse, non loin du Rathaus Steglitz. Un ours berlinois orne un côté avec cette mention «Berlin-Zürich 863 kilomètres». De l’autre côté, on lit: «Offerte par la ville de Zurich le 3 juin 1958. Rénovée en 1989». La rénovation est le fait de Berlin.

La borne de Zurich, en granit tessinois dessinée par le sculpteur Otto Münch, s’épanche un peu plus: «863 kilomètres jusqu’à Berlin», lit-on péniblement en tournant autour de la borne. Et encore: «La ville de Zurich a posé cette pierre le 11 avril 1959 en signe d’attachement avec la ville de Berlin.»

La municipalité de Zurich est le centre d’un espace métropolitain de 200 communes et de près de 1,7 million de personnes.

Créer des alliances au-delà des frontières est l’un des objectifs de la présente législature. La ville a adhéré à de nombreuses organisations (Euro Cities, The Glocal Forum, Sustainable Cities (ICSC), etc.).

Zurich a ainsi instauré des relations systématiques avec Barcelone Lyon, Paris, Londres, Stuttgart, Vienne, Berlin et Turin notamment.

Existant depuis 25 ans, le partenariat avec la Chinoise Kunming suscite la grogne permanente de l’Union démocratique du centre (UDC / droite nationaliste) tandis que l’alliance, récente, avec San Francisco, qui concerne des échanges scientifiques, est moins critiquée, si ce n’est pour le goût du spectacle auquel s’est livrée la municipalité à l’occasion de visites…

– Connaissiez-vous l’existence de la borne Zurich-Berlin?

– Non, je l’avoue. Mais je me réjouis que la relation privilégiée que nous entretenons avec Berlin se soit aussi concrétisée de cette manière. Cela me confirme que la politique que nous menons actuellement est la bonne, malgré les critiques d’un certain nombre de personnes vis-à-vis de toute relation de notre ville au-delà des frontières.

– Allez-vous évoquer la borne à la prochaine visite du maire de Berlin Klaus Wowereit?

– Nous nous connaissons relativement bien et nous nous rendons régulièrement visite. La prochaine fois qu’il viendra, je l’emmènerai voir la borne!

– Qu’est-ce qui fait que les deux villes sont si proches?

– Les deux villes, à des échelles différentes, connaissent aussi un dynamisme et un développement urbain intense, Berlin par le fait qu’elle est devenue capitale de l’Allemagne, Zurich par sa revitalisation d’anciens sites industriels, au nord et à l’ouest de la ville surtout. En théâtre aussi, les relations sont nombreuses, puisque ce sont des exilés de Zurich – ce qui n’est pas une page très glorieuse de notre ville, qui les a chassés pour leur progressisme – qui ont créé la Schaubühne de Berlin.»

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