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Vers un nouveau coup de frein au bétonnage

Les constructions grignotent de plus en plus les espaces verts. Keystone

Après les résidences secondaires, la Suisse pourrait limiter encore le mitage de son territoire. Le Parlement a accepté une modification législative permettant de réduire les surfaces à bâtir. C’est une réponse à une initiative populaire qui demande leur gel pendant 20 ans.

Il a beaucoup été question du bétonnage des régions de montagne lors de la campagne entourant le vote sur l’initiative sur les résidences secondaires. Mais les nouvelles constructions sont aussi légion dans les zones de plaine.

Un visiteur débarquant dans le pays pourrait voir la Suisse comme un gigantesque chantier. Partout ou presque, les nouveaux bâtiments – notamment les villas individuelles – poussent comme des champignons.

«Tout pousse à la construction»

Une simple impression? Non: les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS) montrent que 67’750 nouveaux logements ont été construits l’an dernier, soit 2% de plus qu’en 2010. Et depuis 2004, environ 10’000 maisons individuelles sortent de terre chaque année.

L’abondance de constructions s’explique en grande partie par le niveau historiquement bas des taux hypothécaires en Suisse. Tellement bas que le remboursement d’un crédit s’avère souvent moins onéreux que le paiement d’un loyer.

«Tout pousse à la multiplication des constructions. Elle est aussi favorisée par une législation qui permet d’utiliser son avoir de retraite pour acheter ou faire construire un logement. Par ailleurs, la politique du logement n’a pas été assez active. Beaucoup de ceux qui construisent le font parce qu’ils ne trouvent pas d’autre solution», explique le professeur Pierre-Alain Rumley, responsable de la Chaire d’aménagement du territoire et d’urbanisme de l’Université de Neuchâtel.

Douze terrains de football

Les mouvements de protection de la nature dénoncent ce bétonnage du paysage. Ils rappellent que les nouvelles constructions représentent l’équivalent d’une dizaine de terrains de football par jour. Pour enrayer le phénomène, ils ont lancé en 2007 l’initiative populaire «Pour le paysage».

Principale revendication: que la surface totale des zones à bâtir en Suisse n’augmente plus pendant 20 ans. Pour Philippe Roch, ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement et membre du comité d’initiative, il est urgent d’agir. «On parle depuis 40 ans du mètre carré qui est dégradé chaque seconde, déclare-t-il. Mais la situation n’a aujourd’hui pas changé. Le degré de destruction est beaucoup trop fort.»

Le gouvernement et une majorité du Parlement rejettent cette initiative, jugée trop extrême et trop peu flexible. A la place, ils lui opposent un contre-projet indirect sous la forme d’une révision de la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire. La révision propose que les zones à bâtir soient définies de manière à répondre aux besoins des 15 prochaines années.

Des zones à bâtir déjà existantes, surdimensionnées ou mal placées, pourraient même être réduites. L’autre mesure phare de cette révision concerne la taxation. Les propriétaires dont le terrain prend de la valeur suite à un changement devront payer une taxe correspondant au minimum à 20% de la plus-value. L’argent servira à financer les changements d’affectation.

Assez de terrain

La Suisse compte de plus en plus d’habitants; sa population s’approche du seuil des 8 millions. Dans ces conditions, ne va-t-il pas s’avérer préjudiciable de réduire ou de bloquer la surface des zones à bâtir?

Par forcément, car le pays possède suffisamment de surfaces constructibles pour plusieurs années. «Il y a actuellement en Suisse 58’000 hectares de zone à bâtir non bâtie», a rappelé le député libéral-radical Jacques Bourgeois lors du débat parlementaire.

Pierre-Alain Rumley confirme: «Beaucoup de terres ont été affectés à la construction dans les années 1970 et aujourd’hui, nous avons l’héritage de ce que l’on a fait à l’époque. Et il y a aussi eu des extensions de ces zones depuis lors.»

Ce qui ne veut pas dire que des manques ne peuvent pas se faire sentir. «Théoriquement il y a assez de zones à bâtir, poursuit-il. Si l’on prend uniquement la quantité de terrains à bâtir à disposition, il y a largement de quoi répondre aux besoins pour les 20 prochaines années. Mais il existe un problème de thésaurisation avec une part non négligeable de terrains que les propriétaires ne souhaitent ni vendre ni construire.»

Pour les défenseurs de l’environnement, la solution passe par la densification. «Si l’on doit répondre à 70’000 habitants de plus par an, ne les dispersons pas n’importe où, estime Philippe Roch. Essayons de densifier un peu les villes et de construire des bâtiments agréables. Avant de pouvoir agir sur la croissance, il faut au moins organiser la vie de manière à garder le maximum d’espace et de qualité de vie.»

Le professeur Rumley est aussi d’avis que la densification est l’une des clés du problème, mais pas forcément dans les villes. «La densification des centre-ville a déjà lieu. Il faudrait pouvoir densifier ce que l’on appelle les régions suburbaines. On pourrait même imaginer densifier les zones de maisons familiales. Au lieu de perpétuer ce phénomène, on pourrait diminuer les surfaces des parcelles et essayer d’y faire une deuxième construction ou une deuxième petite construction, par exemple pour un couple qui n’a plus d’enfants.»

Initiative probablement retirée

L’initiative «Pour le paysage» pourrait ne jamais passer devant le peuple. «Si le Parlement met sous toit la révision de la loi, l’initiative sera retirée», avait déclaré Otto Sieber, secrétaire central de Pro Natura et président de l’association «Oui à l’initiative sur le paysage».

D’autres membres du comité d’initiative sont plus réservés. «Qu’est-ce qui me dit que l’on va vraiment changer, quand on voit que l’Etat fédéral n’a pas la volonté d’agir et que les cantons se rebiffent, déclare Philippe Roch. Il est important que le peuple se prononce, car ensuite, les autorités ne peuvent pas vraiment faire autrement que de respecter sa volonté.»

Le sénateur écologiste Luc Recordon n’est pas aussi affirmatif et trouve beaucoup d’avantages au contre-projet. Mais hors de question de retirer l’initiative avant que le délai référendaire contre le contre-projet ne soit échu. Le sénateur doute néanmoins que les opposants en appellent au peuple après l’adoption de l’initiative contre les résidences secondaires…

2004: 12’957

2005: 12’407

2006: 12’031

2007: 11’982

2008: 11’320

2009: 9149

2010: 9887

Source: Office fédéral de la statistique

Les cantons auront davantage de latitude pour défricher, y compris hors des zones à bâtir. Après les députés, les sénateurs viennent d’adopter une révision en ce sens de la Loi sur les forêts.

Il sera ainsi possible aux cantons de défricher s’ils veulent empêcher une croissance de la surface forestière au détriment de la zone agricole.

La forêt couvre 1,27 million d’hectares, soit 31% du territoire suisse et s’étend en moyenne de 650 hectares par an.

La révision, consécutive à une initiative parlementaire, assouplit en outre la compensation des coupes. Le reboisement pourra être remplacé par des mesures pour la protection de la nature ou du paysage.

Source: ATS

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