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Violées, elles cherchent à se reconstruire en exil

Le nombre de viols de femmes est en nette en agumentation au Congo. AFP

Lors d’un conflit, les abus sexuels par des troupes armées brisent les liens familiaux et fissurent le tissu social des victimes. Pour se reconstruire, certaines femmes s’exilent en Suisse. Plongée dans une réalité traumatisante, faite de honte et de rejet.

Le 1er octobre, l’ONU doit publier son rapport intitulé «Projet Mapping» sur les violations des droits humains commises entre 1993 et 2003 en République Démocratique du Congo (RDC). Mais le Rwanda, largement impliqué dans les violences, voudrait qu’il soit édulcoré avant parution.

Aujourd’hui, de nombreuses ONG, notamment suisses, militent contre cette censure, qui pourrait minimiser l’extrême ampleur des viols commis. Comme dans les conflits armés de Bosnie, de Somalie, de Colombie ou de Birmanie, les femmes sont considérées comme un banal butin de guerre, encore assimilées au «repos du guerrier».

En quête d’une échappatoire vitale, certaines choisissent l’exil. Combien sont-elles en Suisse? Ni l’Office des migrations ni l’Office fédéral de la population ne sont en mesure de donner des chiffres, ignorance réelle ou secret des données oblige.

Tout au plus sait-on que l’Aide aux requérants d’asile de l’Hospice général de Genève a accueilli, en juin 2008, quelque 3’443 personnes dont 46% de femmes, qui venaient en majorité d’Afrique, et de façon plus minoritaire des Balkans et d’Asie.

Du statut de paria à celui de victime

En plus du traumatisme intime subi, un viol perpétré dans le cadre d’une guerre met en péril toute la structure sociétale de ces femmes, qui préfèrent souvent se murer dans le silence par peur du rejet de leur mari ou de leur communauté.

«En exil, l’éloignement géographique et la discussion avec des interlocuteurs étrangers pousse ces femmes à se confier», rapporte Betty Goguikian-Ratcliff, psychothérapeute à l’association Appartenances-Genève, qui reçoit les migrantes en consultation.

Lors de la procédure d’asile, elles passent du statut de paria à celui de victime, un paradoxe dont elles veulent se saisir ensuite pour obtenir un jugement et des réparations.»

En Suisse Romande, près de 60% des consultations des migrants résultent de troubles post-traumatiques, selon les différentes associations leur venant en aide. Et la difficulté de parler du traumatisme subi, qui prend parfois des années, peut avoir un impact négatif lors d’une demande d’asile.

Comme le souligne Fabienne Bugnon, directrice générale de l’Office des droits humains à Genève, «concernant la difficulté, voire l’impossibilité pour la femme de retourner dans le pays où elle a été violée durant la guerre, les éléments de preuve sont souvent ténus. Et comme la victime n’ose pas parler à son mari par honte, ce fait ne figure souvent pas au dossier».

Incertitude et crises d’angoisse

Un poids du secret d’autant plus lourd dans le cadre d’une procédure d’asile que le temps nécessaire à la libération de la parole ne correspond pas au laps de temps très court accordé pour les auditons devant les agents fédéraux.

Or, décrire un épisode traumatisant comme un viol, où la perception des éléments est souvent confuse, dans un contexte où la parole peut être mise en doute, est potentiellement vécue comme une nouvelle intrusion et risque de bloquer la requérante.

Selon l’association Appartenances-Genève, la loi autorisait par le passé les psychologues à accompagner ces demandeuses d’asile lors des interrogatoires. Mais suite à un durcissement législatif, ces dernières sont aujourd’hui munies d’un simple certificat médical attestant des faits et des violences subies, et du danger que représenterait un renvoi dans leur pays.

Si l’incertitude de l’obtention de leur statut de réfugié peut leur valoir de nouvelles crises d’angoisse, l’éventualité que leurs maris apprennent leur drame personnel ou le séjour de leurs bourreaux à Genève, comme les membres de certaines juntes au pouvoir en Afrique, sont aussi une source d’insomnie et de prises d’anxiolytiques. Les psychothérapeutes sont formels: aucune victime de ces viols de guerre ne peut guérir seule. D’autant qu’elles doivent aussi faire le deuil d’un retour au pays, proscrit par le statut de réfugié.

Que faire depuis la Suisse?

Alors beaucoup s’interrogent sur l’efficacité d’actions mises en place à distance. Pour Claire Morclette, du bureau Afrique de l’Est d’Amnesty International, «la pression exercée depuis la Suisse par la diaspora exilée et les ONG, à la fois sur les gouvernements concernés et sur le Conseil fédéral, constitue l’une des clés pour améliorer la protection de ces femmes.»

«Le co-parrainage de parlementaires suisses avec des défenseuses des libertés au Burundi ou au Sud-Kivu est aussi porteur et apporte aux militantes de terrain un poids qui peut se révéler décisif en cas de problème. Enfin, le cofinancement des projets ciblés se révèle capital.», affirme-t-elle.

En ce sens, le canton de Genève va probablement signer une nouvelle convention avec l’Appel de Genève. Celle-ci prévoit des prises de contact avec de nouveaux groupes armés ou gouvernements non-reconnus, pour les sensibiliser aux standards internationaux interdisant la violence sexuelle basée sur le genre et la nécessité de reconnaître le rôle des femmes.

Des interventions sont prévues en Colombie, en Somalie, au Niger, au Tchad et dans les pays du Moyen Orient – Irak, Iran, Liban et Syrie. La contribution du canton de Genève sera de 200’000 francs par année pour une première période de trois ans.

«Mais au niveau fédéral, le Parlement bloque souvent les initiatives en la matière, relève Maria Roth-Bernasconi, car il n’est pas dominé par des personnes sensibles à ces problématiques. »

Plus de 500’000 femmes auraient été violées dans la région des grands lacs depuis 15 ans, selon les associations locales.

Ce qui a commencé comme une stratégie de guerre est devenue un mode de vie: dans l’est de la RDC, 1% des viols étaient commis par des civils en 2004. En 2008, le taux est monté à 38%, selon l’Ong Oxfam International.

En 1945, 2 millions de viols ont été perpétrés par des soldats de l’Armée rouge sur des femmes allemandes dans l’est de l’Allemagne.

La guerre d’indépendance du Bangladesh en 1971 a donné lieu au viol de 200’000 femmes bengalaises par des soldats pakistanais.

Les récits de la guerre d’Algérie démontrent aussi qu’entre 1954 et 1962, les femmes ont été massivement violées.

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