Deux Suisses de New York dans l’enfer du 11 septembre

On dit que tout le monde se souvient de ce qu’il faisait le 11 septembre 2001. C’est particulièrement vrai pour les deux Suisses de New York que swissinfo.ch a rencontrés. Ils racontent l’impensable, et expliquent leur choix de rester dans «la ville qui ne dort jamais».
Ce matin du 11 septembre, Beat Baudenbacher est arrivé tôt au bureau. Lorsqu’il commence à entendre ses collègues parler de deux avions entrés en collision avec les tours jumelles, il sort pour aller se rendre compte. Et il voit la seconde tour s’effondrer en direct.
«Il y avait d’autres avions dans le ciel et c’était effrayant. Je me souviens avoir pensé pour la première fois à ce que mes grands-parents ont dû ressentir pendant la Seconde Guerre mondiale, quand le danger était dans le ciel», raconte l’émigré.
Contrairement à de nombreux New Yorkais, Beat Baudenbacher n’a encore jamais visité Ground Zero, le site principal des attaques terroristes qui ont tué près de 3000 personnes – dont deux Suisses. «J’ai toujours pensé que je n’avais pas besoin de voir ça de mes propres yeux. D’une certaine manière, c’était probablement un mécanisme de défense», admet-il.
Il se souvient qu’à l’époque des attentats, il traversait une période difficile émotionnellement. Il se sentait un peu désillusionné quant au monde du travail. Et le 11 septembre n’a rien arrangé, le laissant plus vulnérable que jamais. Ce d’autant qu’il connaissait bien les tours: durant plus d’un an, il a travaillé à quelques blocs de là et il passait tous les jours devant pour se rendre à son bureau.
Aujourd’hui, devant le chantier de One World Trade Center, qui doit devenir le gratte-ciel le plus haut d’Amérique du Nord, Beat Baudenbacher cherche les empreintes au sol des anciennes tours, cachées à la vue par des palissades. L’atmosphère lui semble «presque irréelle». Les bassins qui marquent l’emplacement des tours effondrées ouvriront pour le 10e anniversaire du drame, ainsi que le musée souterrain dédié aux victimes et le jardin du souvenir.
Peur de la hauteur
En désignant ce que d’aucuns appellent la «freedom tower» – dont 80 des 105 étages sont déjà construits -, le Suisse annonce qu’il ne montera probablement jamais au sommet: «c’est certainement une des choses que le 11 septembre a fait pour moi. Je n’ai plus le désir de monter très haut dans les immeubles. Et tant pis pour la vue».
Après les attentats, Beat Baudenbacher a pu réfléchir à la sécurité qui règne dans cette Suisse où il a grandi, ce pays si loin des turbulences qui agitent le monde. Mais il a malgré tout décidé de rester à New York, notamment pour manifester son soutien à la ville. «En fait, j’avais encore plus envie de rester qu’avant. J’ai trouvé qu’il y avait une camaraderie incroyable dans la ville. Je me souviens que j’ai délibérément décidé de rester ici».
Dix ans plus tard, Beat Baudenbacher ne se sent plus comme une cible potentielle et admet qu’il ne pense plus que rarement au 11 septembre. «J’ai une femme et deux jeunes enfants, ce qui laisse peu de temps pour repenser à ces choses», explique l’émigré.
L’histoire de Tina
Tina Roth-Eisenberg, quant à elle, n’est pas près d’oublier cette journée d’il y a dix ans. Au matin du 11 septembre, elle est encore en plein «jet lag». La veille, elle est rentrée d’une visite en Suisse, son pays, qu’elle a quitté en 1999.
De son bureau situé à quelques blocs du World Trade Center, elle entend d’abord un énorme bruit d’explosion, qui ne ressemble à rien de ce qu’elle a pu entendre dans sa vie. «J’ai regardé par la fenêtre, et il y avait des papiers qui volaient de partout. Puis j’ai vu que la tour Nord était en feu. Je n’avais aucune idée de ce qui se passait et je ne savais pas quoi faire. J’étais dans le brouillard», se souvient-elle.
Puis vient une seconde grosse explosion, environ 20 minutes après la première. Tina Roth-Eisenberg dévale les vingt étages de son immeuble avec quelques employées et employés d’une boîte de design voisine. Dans le groupe, une jeune femme crie «mon fiancé travaille au sommet de la tour !»
Couverte de cendres
Quand l’émigrée ouvre la porte donnant sur la rue, elle reçoit le choc de sa vie: «j’ai été littéralement balayée par un énorme nuage de cendres et j’ai vu la première tour s’effondrer. C’était terrifiant. J’étais complètement couverte de cendres et j’arrivais à peine à respirer».
Le groupe court vers un restaurant tout proche. Dans la cuisine, ils trouvent des serviettes qu’ils se collent sur le visage pour arriver à respirer dans ce nuage toxique. Ressortis dans la rue, ils se précipitent pour aider une femme couchée à terre, hébétée et couverte de poussière.
Ensuite, ils se rendent à l’appartement de la jeune femme, d’où Tina Roth-Eisenberg peut appeler le pays et parler à ses parents «paniqués et malades d’inquiétude».
Le soir venu, la Suissesse se sent complètement engourdie et perdue à l’heure d’aller se coucher. «Je n’ai pas pleuré ni rien, j’étais totalement en état de choc», se souvient-elle. Et ce n’est que dans les jours et les semaines suivantes qu’elle réalise vraiment ce qui s’est passé.
Le week-end d’après les attentats, elle pleure finalement. «C’était plus fort que moi, je sanglotais sans pouvoir m’arrêter», raconte Tina Roth-Eisenberg, qui apprendra plus tard que la jeune femme de la boîte de design a perdu son fiancé dans l’effondrement des tours.
Elle-même perd son job quelques semaines après le drame. L’entreprise – de design elle aussi – qui l’emploie doit fermer en raison des perspectives économiques incertaines. Elle se demande alors si elle arrivera encore à payer son loyer.
Le rêve new yorkais
Pendant longtemps, Tina Roth-Eisenberg aura peur de prendre le métro. Mais elle se répète sans arrêt «tu ne peux pas vivre dans la peur, parce qu’alors, ils auront gagné».
Et alors que tout semble la pousser à rentrer en Suisse, elle refuse d’abandonner son rêve new yorkais. «J’aime absolument cette ville et ses habitants. Et je voulais continuer à appeler New York City mon chez moi», dit-elle.
La Suissesse se rappelle à quel point la gentillesse qu’elle a pu observer après les attentats l’a touchée: «de parfaits inconnus m’ont aidée et s’aidaient les uns les autres. C’était vraiment impressionnant et je ne sais pas si cela pourrait se passer n’importe où ailleurs dans le monde». Elle a aussi rapidement compris que New York s’en remettrait: «bien sûr, les attaques ont changé tout le monde en ville, mais la ville est résistante. Les gens d’ici sont des combattants».
Depuis ce 11 septembre, Tina Roth-Eisenberg s’est mariée, a eu deux enfants et a lancé avec succès sa propre affaire. Aujourd’hui, elle en démord moins que jamais: «New York City est ma ville. Je suis l’ambassadrice inofficielle de Brooklyn».
11.9.11. Le mémorial du World Trade Center ouvrira ses portes à l’occasion des dix ans de l’attentat.
Hommage. Baptisé « Reflecting Absence », il rend hommage aux victimes du 11 septembre ainsi qu’à celles de l’attentat de 1993.
Parc. Conçu par Peter Walker et l’architecte américano-israélien Michael Arad, il consiste en un parc arborisé avec deux bassins carrés situés dans les empreintes des deux tours détruites, alimentés par des chutes d’eau s’écoulant le long de murs. Figurera également un espace sur les murs duquel figureront le nom des victimes.
Musée. Un musée sous-terrain devrait ouvrir ses portes en 2012.
Tour. Sur la zone de ‘Ground Zero’ s’élèvera également un complexe de bâtiments avec notamment le ‘One World Trade
Center’, surnommé la ‘Freedom Tower’, qui culminera à 1776 pieds (541 mètres), rappelant ainsi l’année d’indépendance des États-Unis.
75.000 ressortissants suisses vivent aux USA, dont 19.000 dans le grand New York. Les deux tiers sont doubles-nationaux.
Source: Statistique des Suisses de l’étranger 2010
Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez

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