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Des athlètes poussées à surjouer la féminité

Caster Semenya est hyperandrogène, c’est-à-dire que son corps produit naturellement trop de testostérone pour une femme. Keystone / Martin Meissner

Peut-on imposer à des femmes de faire baisser leur taux de testostérone pour s’aligner lors de compétitions sportives? Le débat fait grand bruit depuis que le Tribunal arbitral du sport de Lausanne a débouté l’athlète sud-africaine Caster Semenya. Au-delà d’un règlement, c’est la féminité que les instances sportives essaient de définir, estime la chercheuse suisse Lucie Schoch.

Muscles saillants, poitrine plate, larges épaules et voix rauque. La double championne olympique du 800 mètres Caster Semenya ne correspond pas aux clichés de la féminité. L’athlète sud-africaine est hyperandrogène, c’est-à-dire que son corps produit naturellement trop de testostérone pour une femme. Une caractéristique qui embarrasse, depuis des années, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF).

Si elle veut continuer à participer aux compétitions féminines d’athlétisme, Caster Semenya devra suivre un traitement pour faire baisser son taux d’hormones masculines, se conformant ainsi au règlement de l’IAAF. Début mai, le Tribunal arbitral du sport (TAS) de Lausanne a rejeté le recours de l’athlète contre cette règle. Le TAS qualifie la mesure de «discrimination», tout en estimant qu’elle «constitue un moyen nécessaire, raisonnable et proportionné» pour «préserver l’intégrité de l’athlétisme féminin dans le cadre de certaines disciplines».

Lucie Schoch travaille comme maître-assistante à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne, elle est sociologue et spécialiste de la médiatisation du sport et des questions de genre. Unil

Le jugement a provoqué un large débat au sein du public. Il y a ceux qui estiment qu’elle est légitime pour éviter que Caster Semenya ne dispose d’un avantage trop important sur ses concurrentes, et ceux que le caractère discriminatoire de la mesure indignent. La sociologue de l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne Lucie Schoch rappelle que la nouvelle règle s’inscrit dans la tentative, depuis les années 1960, des hautes instances du sport de définir la catégorie féminine.

swissinfo.ch: La décision du Tribunal arbitral du sport (TAS) apporte-t-elle une réponse appropriée à la controverse autour des athlètes hyperandrogènes comme Caster Semenya?

Lucie Schoch: La décision du TAS m’a surprise. Je ne suis pas en mesure de prendre position sur l’argumentaire juridique développé au cours de la procédure. En revanche, les fondements scientifiques du règlement souhaité par la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) sont controversés.

A mon avis, il n’y a pas assez de preuves scientifiques de l’influence du taux de testostérone sur la performance d’une sportive pour qu’on puisse se baser sur ce critère pour définir la catégorie féminine. Cette nouvelle régulation s’inscrit dans l’histoire des tests de féminité, mis en place depuis les années 1960 pour contrôler le genre des athlètes. Il y a eu les contrôles gynécologiques, les tests génétiques et désormais le taux de testostérone. Par ces mesures, l’IAAF tente de «protéger» la catégorie féminine et indirectement de la définir.

Le fait de vouloir imposer des critères pour définir la féminité s’apparente-t-il à une discrimination envers les femmes?

Se baser sur un critère soumis à la controverse scientifique pour imposer un traitement à des femmes est clairement discriminatoire. En outre, si vous prenez ce critère, il faudrait en prendre plein d’autres. Il existe aussi de nombreuses inégalités biologiques entre les hommes. Pourtant, personne ne contrôle s’ils ont un taux de testostérone supérieur à la moyenne ou un taux de globules rouges anormalement élevé. La taille peut être un avantage dans de nombreux sports. Doit-on pour autant créer des catégories en fonction de ce critère?

Dès lors, quel est le chemin à suivre pour intégrer les athlètes qui ne correspondent pas clairement à la définition binaire du genre?

Il faut mener une réflexion, dans le milieu du sport et en dehors, pour comprendre qu’il y a une multitude d’inégalités et que nous devons les accepter plutôt que d’essayer de les réguler. Les discussions autour de ces critères sont sans fin et ne mènent qu’à des impasses et des discriminations.

«Be you for you» (Sois toi-même pour toi-même !) a commenté Caster Semenya sur son compte Instagram Lien externequelques jours après le jugement du TAS.

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La solution passe-t-elle par la mise en place de compétitions mixtes?

Le Comité international olympique (CIO) est très fier de ses nouvelles épreuves mixtes, qui seront introduites lors des Jeux olympiques de Tokyo en 2020. Pourtant, à y regarder de plus près, elles n’annulent pas les catégories hommes et femmes; une équipe mixte va par exemple devoir compter deux hommes et deux femmes. Il faut des catégories masculines et féminines, puisque le sport repose sur cette catégorisation et que la remettre en cause serait complexe. Cependant, au sein de ces catégories, il faut faire preuve de tolérance et d’ouverture face aux différences.

«Le débat actuel cherche à définir la femme et comment elle doit se comporter»
Lucie Schoch

En continuant à se baser sur des critères et des catégories très strictes, le monde du sport est-il en retard par rapport à l’évolution de la société?

Le monde du sport est empêtré dans cette division binaire des sexes, alors que nous savons désormais que la réalité est plus compliquée. En ce sens, il est à contre-courant de l’évolution de notre société. La gouvernance du sport reste un milieu très masculin. Ainsi, les décisions sont prises par une majorité d’hommes avec une vision plutôt fermée de ces questions.

Quelle conséquence pourrait avoir la nouvelle réglementation sur les athlètes?

Elles pourraient notamment être incitées à surjouer leur féminité. Le débat actuel est sournois. Il cherche à définir la femme et comment elle doit se comporter. Les sportives intersexes ou hyperandrogènes n’ont pas intérêt à s’afficher. Caster Semenya est une athlète ouvertement homosexuelle. Au niveau de ses tenues, elle ne joue pas le registre de la féminité. D’ailleurs, elle a longtemps porté un cuissard masculin. Néanmoins, après sa suspension en 2009, elle est revenue beaucoup plus féminine. Il y a quelques couvertures de magazines où elle est apparue avec des boucles d’oreille. Elle s’est mise à surjouer la féminité pour montrer qu’elle était bien une femme.

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