St-Gall récompense le courage d’une Afghane
Vendredi soir à St-Gall, le prix Grüninger - du nom du commandant de police qui sauva des centaines de Juifs dans les années 1938-39 - a été décerné à Sima Samar. Médecin, la lauréate a fondé des hôpitaux et des écoles pour les femmes afghanes.
A St-Gall, le nom du capitaine Paul Grüninger n’a pas toujours été respectable. En accueillant dans sa ville des Juifs persécutes par le régime nazi, ce commandant de la police de l’immédiat avant-guerre violait les directives fédérales. Ce qui lui valut en 1939 un renvoi sans délais. L’année suivante, il fut même condamné par le Tribunal cantonal pour abus de pouvoir et faux en écriture et finit ses jours dans la pauvreté.
Justice ne lui sera rendue que bien plus tard. En 1993, le gouvernement du canton de St-Gall le réhabilitera officiellement. L’année suivante, ce sera au tour du Conseil fédéral. Et, en 1995, le Tribunal cantonal procédera à la révision du procès et accordera un non-lieu à titre posthume au courageux capitaine.
Finalement, en 1998, le Parlement St-Gallois votera une indemnisation matérielle en faveur des descendants de Paul Grüninger pour les pertes de salaire et de retraite infligées à leur père et grand-père en raison de son licenciement immédiat. Et c’est l’entier de ces sommes que les bénéficiaires ont choisi d’affecter au capital de base de la Fondation Paul Grüninger.
La Fondation a décidé d’attribuer un prix de 50 000 francs tous les trois ans à une personnalité ou à une organisation qui s’est distinguée par des actes humanitaires exceptionnels de courage ou d’indépendance par rapport aux pouvoirs en place.
Pour cette première édition, le Jury a examiné plus de 30 candidatures, provenant de trois continents. Et il a fixé son choix sur une femme dont l’action colle parfaitement aux critères définis.
Agée de 44 ans, Sima Samar a réussi son premier tour de force dans sa jeunesse. Etudiante en médecine dans un pays – l’Afghanistan – où les femmes étaient systématiquement écartées des universités, elle est parvenue à mener son cursus à terme malgré la mort de son mari (et unique soutien) dans le putsch pro-soviétique de 1978.
Exilée au Pakistan six ans plus tard, elle y a fondé son premier hôpital pour les femmes qui fuyaient l’Afghanistan. Puis elle n’a pas hésité à repasser la frontière et à créer des structures similaires dans les provinces du sud de l’Afghanistan, jusque-là dépourvues de tout système sanitaire.
Bravant les brimades des islamistes purs et durs – pour qui une femme qui travaille est au mieux une prostituée et au pire une criminelle – la lauréate a également fondé 49 écoles entre l’Afghanistan et le Pakistan, qui accueillent aujourd’hui plus de 17 000 élèves au total.
Depuis la prise de pouvoir des Taliban à Kaboul, le travail de Sima Samar est devenu encore plus difficile. Mais cette femme de tempérament n’hésite pas à braver les nouveaux maîtres du pays, par la ruse plus que par la force. Ainsi, lorsque la milice locale ordonne la fermeture d’une école, les enseignantes renvoient les élèves à la maison pour les rappeler dès que le danger est passé.
Les ténèbres qui se sont abattus sur son pays n’empêchent pas Sima Samar d’espérer. «La situation ne peut pas être pire et cela ne pourra pas continuer. Nous avons perdu des générations entières dans les guerres, soupire la première lauréate du Prix Von Grüninger. Mais il faudra encore bien de la patience aux jeunes qui n’ont connu que la lutte et la mort avant d’accéder enfin à une vie normale.»
Marc-André Miserez
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