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La Suisse fait ses lents adieux à l’énergie nucléaire

Beznau I, la plus vieille centrale nucléaire du monde, devra être désactivée au plus tard en 2029. Keystone

La Chambre basse du Parlement helvétique a décidé lundi un abandon progressif de l’énergie nucléaire. Les deux centrales les plus vieilles du pays, Beznau I et II, devront être désactivées au plus tard entre 2029 et 2031. Les moins vétustes, Gösgen et Leibstadt, n’auront en revanche pas de durée de vie maximale.

Après cinq jours de débats, le Conseil national (Chambre basse) a adopté lundi soir la stratégie énergétique 2050 par 110 voix contre 84. Le Conseil des Etats (Chambre haute) doit encore se prononcer avant que les dés soient jetés. Alors que certains observateurs prédisaient un échec total du projet lors du vote d’ensemble, la majorité a fixé une date butoir aux deux plus anciennes centrales de Suisse, limitant leur durée d’exploitation à 60 ans.

Beznau I, le plus vieux réacteur du monde, pourrait ainsi tourner encore pendant quinze ans au maximum. Son voisin Beznau II en aurait quant à lui pour dix-sept ans. L’exploitation des deux centrales plus modernes de Gösgen (1979) et Leibstadt (1984) ne serait pas limitée. La question ne concerne pas la centrale de Mühleberg, située près de la capitale suisse Berne, puisque son exploitant, le groupe BKW Energie, a décidé de débrancher le réacteur en 2019.

Le régime choisi exige des propriétaires de centrales qu’ils présentent un concept de sécurité à long terme. Si l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) donne son feu vert, l’exploitation est prolongée à coups de dix ans. Si le concept n’est pas mis en oeuvre correctement, un arrêt provisoire de la centrale intéressée peut être ordonné. La mise hors service définitive d’une centrale donnerait droit à une indemnisation.

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Pas de nouvelles centrales

Comme durant le reste du débat, la droite a tenté de torpiller la stratégie énergétique et de garder la porte ouverte à l’atome. Par 115 voix contre 77, le Conseil national a cependant confirmé l’interdiction de construire de nouvelles centrales atomiques. Il a aussi mis le holà à la poursuite de l’exportation de déchets nucléaires en vue d’un retraitement.

Au lendemain de cette décision très attendue, la presse suisse se montre mitigée face au compromis trouvé par la première chambre à se pencher sur cet épineux dossier du tournant énergétique. «La sortie du nucléaire arrive mais personne ne sait vraiment quand», titre l’Aargauer Zeitung. Le canton d’Argovie est particulièrement concerné, puisque trois des cinq centrales nucléaires du pays se trouvent sur son sol.

«La gauche veut éteindre les réacteurs nucléaires le plus tôt possible, la droite les laisser fonctionner le plus longtemps possible. Les deux camps ont finalement trouvé un compromis sous le nom impossible de ‘concept d’exploitation à long terme’», avance le quotidien argovien. 

Le lobby pro-nucléaire, emmené par un petit entrepreneur de Leibstadt, Hansjörg Knecht (UDC/AG), a été défait sur toute la ligne, souligne au contraire Le Temps. «L’Argovien ne voulait fixer aucun délai à aucune centrale et s’en tenir au droit actuel, qui prévoit que l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) procède tous les dix ans à un examen de sécurité détaillé des cinq réacteurs.»

“La Suisse, ce pays riche et densément peuplé, ne doit pas se permettre d’exploiter le risque atomique jusqu’à son dernier souffle.”

La sécurité au cœur des préoccupations

Le Tages-Anzeiger estime pour sa part qu’avec cette décision, la sortie du nucléaire devient «un peu plus concrète». Le quotidien zurichois regrette néanmoins que le Conseil national ne soit pas allé plus loin en limitant encore davantage la durée d’exploitation des réacteurs de Beznau. «Si la plus vieille centrale nucléaire du monde devait effectivement rester aussi longtemps en service, cela ferait augmenter le risque d’accident. La Suisse, ce pays riche et densément peuplé, ne doit pas se permettre d’exploiter le risque atomique jusqu’à son dernier souffle. Elle devrait donc éteindre ses vieux réacteurs à temps».

La Liberté entonne quant à elle la célèbre chanson de Georges Brassens: «Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente». Le quotidien fribourgeois se demande si la solution de compromis adoptée par le Conseil national n’est pas «la pire du point de vue qui devrait primer, soit celui de la sécurité». Certes, poursuit-il, une mise hors service plus rapide des cinq centrales rendrait la Suisse davantage dépendante du courant étranger, pour un temps du mois.

Mais cette notion d’indépendance toute relative peut-elle être mise en balance avec celle de la sécurité?, se demande la Liberté. Car «la question à laquelle vont devoir répondre maintenant le Conseil des Etats puis le peuple les place devant une bien lourde responsabilité: sont-ils prêts à assumer un risque, même réduit, d’accident nucléaire majeur dans un aussi petit pays que la Suisse en faisant durer au maximum leurs centrales nucléaires?»

Le peuple tranchera-t-il?

Le débat est loin d’être clos, comme le rappelle le Bund de Berne. «L’initiative des Verts, qui veut limiter l’exploitation des centrales nucléaires à 45 ans, plane toujours sur le Parlement. Elle sera temporairement soutenue, en plus des initiants et du PS, par les Verts libéraux afin de faire pression sur le Conseil des Etats».

Mais si l’initiative devait finalement être soumise au peuple, cela pourrait s’avérer contre-productif, tempère le Tages-Anzeiger. «Le ‘non’ probable en votation donnerait des ailes aux adversaires du tournant énergétique. Et ralentirait donc le processus politique mené jusqu’ici de manière remarquablement constructive». 

Le tournant énergétique est sur les rails

La semaine dernière, le Conseil national a fixé les conditions qui devraient permettre l’abandon progressif de l’atome, à coups d’économies d’énergie et de promotion du courant vert. La consommation moyenne finale d’énergie par personne et par an devrait reculer de 16% d’ici 2020 et de 43% d’ici 2035. Pour la seule électricité, la baisse devrait atteindre respectivement 3% et 13%.

Les consommateurs risquent de payer jusqu’à 2,3 centimes par kWh pour soutenir la production de courant renouvelable, au lieu du plafond actuel de 1,5 centime. Les moyens à disposition passeraient ainsi de 850 millions à 1,3 milliard de francs par an. Aujourd’hui, plus de 36’000 projets de centrales à énergie verte, essentiellement solaires, sont en attente d’un financement.

La production indigène tirée du renouvelable (force hydraulique non comprise) devrait être développée afin d’atteindre 4400 gigawatt-heure (GWh) en 2020 et 14’500 GWh en 2035. Pour mieux respecter les lois du marché, le mécanisme de soutien aux énergies renouvelables (RPC) serait remplacé par une prime à l’injection pour les nouvelles installations d’énergies solaire, éolienne, géothermique, de biomasse et de force hydraulique. Le montant de la rétribution, aujourd’hui fixe, serait modulé afin de pousser les producteurs à injecter le courant lorsque la demande est forte.

Des moyens sont aussi prévus pour la construction ou l’agrandissement de centrales renouvelables. L’enveloppe destinée à l’assainissement énergétique des bâtiments devrait passer de 300 à 450 millions de francs pour la seule Confédération, les cantons devant aussi mettre la main au porte-monnaie. La stratégie prévoit le maintien de la taxe sur le CO2 frappant les combustibles à 60 francs par tonne. Le gouvernement a toutefois la possibilité de la doubler si les objectifs de réduction des émissions ne sont pas atteints.

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