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Suchard, un arrière-goût de symbole

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Le Musée d'Art et d'Histoire de Neuchâtel présente dès le 4 avril une exposition intitulée «Le monde selon Suchard». De la fondation de l'entreprise à la friche industrielle d'aujourd'hui en passant par son rayonnement planétaire et ses implications sociales.

La vache Milka… les petits bonshommes noirs des bonbons Sugus… le gros Saint-Bernard des tablettes de chocolat (des «plaques de chocolat» en Suisse) millésimées début du 20e siècle…

«On a tous en nous quelque chose de Suchard», pour parodier Johnny, et ce quelque chose varie selon la génération à laquelle on appartient.

C’est sur la saga chocolat créée par Philippe Suchard à Serrières, juste à côté de Neuchâtel, en 1826, que se penche aujourd’hui le Musée d’art et d’histoire de la ville. Pour l’occasion, il a vu grand, et surtout large, notamment à travers une collaboration avec les instituts de géographie, d’histoire, d’histoire de l’art et de muséologie de l’Université de Neuchâtel.

Interdisciplinarité

Car l’exposition – et le livre qui l’accompagne – se veut résolument interdisciplinaire. A travers la dizaine d’espaces où se déploie l’exposition, tous les aspects de l’aventure Suchard sont évoqués, de façon thématique.

Et souvent ludique. La preuve? C’est une «fontaine à chocolat» qui vous accueille – en fonctionnement tous les jours, mais de 15h00 à 16h00 seulement…

Moins rigolo, l’exposition en elle-même commence par aborder les sujets qui fâchent: la fin de l’ère neuchâteloise de Suchard, qui aura tout de même duré 170 ans, avec un fleuron régional devenant friche industrielle dans les années 1990. Triste. Reste une zone passablement déglinguée, au charme étonnant, enserrée dans un vallon qui tient presque du canyon, et pour laquelle aucun projet d’envergure n’a encore été amorcé pour le moment (voir galerie).

Après cet accueil en demi-teinte sont évoqués la «route du chocolat», soit le travail planétaire d’une entreprise déjà mondialisée, les recherches chocolatières dans un espace déguisé en labo, la vie quotidienne dans l’entreprise, la diffusion du chocolat «de l’usine au palais», la saga familiale des Suchard, toute l’imagerie de la marque, avec des affiches et des projets des diverses époques, et enfin, la traversée d’un appartement millésimé fifties, l’évocation d’un «appartement rêvé de la Cité Suchard»… La «Cité Suchard»? Quid?

Famille

La saga Suchard, c’est la saga d’une entreprise familiale. A tous les niveaux. D’abord parce que, à l’ombre de la figure tutélaire du fondateur, Philippe Suchard, c’est les autres membres de la famille qui portent l’entreprise.

«C’est surtout la famille qui travaille», constate Régis Huguenin, doctorant à l’institut d’histoire de l’université de Neuchâtel. «Philippe Suchard a mille et une activités, le chocolat en est une parmi d’autres, c’est celle qui a éclos alors que d’autres ont fait faillite ou ont périclité. C’est surtout sa femme, ses enfants, son fils direct Philippe et son beau-fils allemand Karl Russ qui mettent la main à la pâte et développent l’entreprise».

Il est vrai que Philippe Suchard – le fondateur – tentera également la voie du ver à soie et des tissus appelés Indiennes, l’asphalte dans le Val-de-Travers, le développement de colonies Outre-Atlantique…

Entreprise familiale également dans le sens où les employés de l’entreprise sont, selon l’expression, une «grande famille». Et qu’à son fondateur, franc-maçon ayant une foi inébranlable dans la notion de ‘progrès’, on accole volontiers le terme de «paternalisme». Car pour ses employés, le bonhomme va créer les logements de la «Cité Suchard» (confortables maisons à l’époque au bord du lac), d’autres appartements encore, qui appartiennent à l’entreprise et sont loués à des prix très bas, une crèche, un jardin d’enfant, un dispensaire…

«Les éléments essentiels de la vie quotidienne sont fournis aux ouvriers», explique Régis Huguenin. Qui relativise: «Il y a la préoccupation sociale, mais pas seulement. Pour l’entrepreneur, s’occuper des ouvriers, c’est s’occuper de sa force de travail, de son capital. C’est donc aussi dans cette perspective-là qu’il faut voir ce paternalisme, qui ne signifie pas seulement ‘avoir le cœur sur la main’. D’autant plus que c’est une période où, contrairement à aujourd’hui, la main d’œuvre n’est pas toujours surabondante. Il faut donc offrir des avantages que le concurrent n’offre pas.»

Suchard… et les autres

Une entreprise qui naît dans une région hors des grands axes. Qui rapidement saura se vendre car le marketing, même s’il ignore alors son nom, se pratique déjà, comme en témoigne cette salle où l’on prend conscience que le chocolat suisse, même à l’époque, est une légende: lait et cacao viennent d’ailleurs. «Une salle qui met en tension la géographie réelle de l’approvisionnement et la géographie imaginaire de l’iconographie Suchard», dit élégamment le professeur Ola Söderström de l’institut de géographie.

Un patron «paternaliste» (connotation pour le moins péjorative prise au cours de la deuxième moitié du 20e siècle) qui propose à ses employés ce que nombre d’ouvriers d’aujourd’hui rêveraient d’avoir, soins de santé, crèche et appartement inclus.

Et puis l’entreprise qui quitte progressivement le giron familial, qui passe en mains extérieures, celles de Klaus Jacobs, en 1982, lequel, sans état d’âme, la vendra à un géant américain, Philip Morris pour ne pas le nommer.

Suchard, un arrière-goût de symbole. Car son histoire est exemplaire de nombreuses autres histoires économico-familiales de ce 20e siècle progressiste et ambitieux, inventif et avide, génial et destructeur… Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, la marque Suchard existe toujours. Mais plus à Neuchâtel.

Reste l’étonnante géographie industrielle de Serrières… ainsi que les objets et les images – fixes ou mouvantes – de l’exposition «Le monde selon Suchard». Pour l’occasion, le musée à travaillé avec l’Institut suisse pour la conservation de la photographie, le département audiovisuel de la Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds et Memoriav a œuvré à la conservation des éléments audiovisuels du Fond Suchard.

Un fond constitué de 35.000 objets offerts au musée en 1996, lorsque «la Suchard», comme on dit ici, s’est définitivement transformé en souvenir.

swissinfo, Bernard Léchot à Neuchâtel

«Le monde selon Suchard», du 4 avril 2009 au 3 janvier 2010 au Musée d’Art et d’histoire de Neuchâtel, Esplanade Léopold-Robert 1. Du mardi au dimanche de 11h à 18h.

Présentation en français et en allemand. De nombreuses animations sont organisées.

L’exposition est accompagnée d’un ouvrage richement illustré publié aux éditions Gilles Attinger.

Philippe Suchard est né en 1797 à Boudry, petite cité voisine de Neuchâtel. Il apprend le métier de confiseur à Berne, chez son frère.

Il part aux Etats-Unis en 1824 en espérant y faire fortune.

En 1826, il fonde sa fabrique de chocolat à Serrières, à l’ouest de Neuchâtel. La production est d’abord destinée à la confiserie qu’il a ouverte un an avant à Neuchâtel, rue des Halles.

Derrière le confiseur se cache un entrepreneur tous azimuts :

– développement de concepts publicitaires novateurs, création (1834) d’une entreprise de navigation^, tentative de production de vers à soie (1837), création de la Société des mines d’asphalte du Val de Travers.

– Philippe Suchard meurt en 1884, laissant à son beau-fils, Carl Russ-Suchard, une entreprise prospère.

1826: fondation de la société Suchard à Serrières

1930: Fondation de la holding Suchard

1970: En 1970, le groupe fusionne avec les Chocolat Tobler, connus par le Toblerone et prend le nom d’Interfood SA.

1982: Klaus Jacobs acquiert la majorité du capital et l’intègre à son groupe qui devient Jacobs Suchard SA.

1990: le géant américain Philip Morris reprend Jacobs Suchard en 1990 et l’intègre dans le groupe Kraft General Foods lequel deviendra Kraft Jacobs Suchard en 1993.

1996: Arrêt total du site neuchâtelois (la production des bonbons ‘Sugus’ avait été maintenue jusqu’en 1993).

2000: Kraft Jacobs Suchard est rebaptisé Kraft Foods.

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