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Suisse, ta toxicologie fout le camp

En Suisse, les laboratoires de toxicologie se vident. Keystone

Qu’il s’intéresse à nos salades ou à nos crèmes solaires, le toxicologue est un auxiliaire précieux de la santé publique. Or en Suisse, l’enseignement et la recherche dans ce domaine sont en voie d’extinction.

Scientifiques et politiques en appellent au gouvernement. Mais les caisses sont vides.

A la fin des années soixante, la toxicologie est en plein boom. L’arrivée sur le marché de composés chimiques nouveaux oblige les Etats à créer des listes de substances pour autoriser ou prohiber ce qui doit l’être.

En 1969 déjà, une motion parlementaire demande à la Confédération de financer ces tâches. Cinq ans plus tard, l’Ecole polytechnique et l’Université de Zurich créent ensemble l’Institut suisse de toxicologie.

Installé à Schwerzenbach, il réunira jusqu’à 100 collaborateurs et l’aventure durera 27 ans. En 1997, les deux écoles zurichoises décident de sa fermeture pour 2001.

Un domaine multiforme

«Schwerzenbach s’est assez mal profilé. Il s’est diversifié, atomisé en une série de petites baronnies», explique Jacques Diezi, professeur à l’Institut de pharmacologie et de toxicologie de l’Université de Lausanne.

Constamment sollicité par les médias, ce spécialiste est bien placé pour juger de la position ambiguë de sa discipline.

«D’un côté, on ne peut bientôt plus ouvrir un journal sans découvrir quelque affaire liée à des toxiques. Mais de l’autre, les scientifiques se renvoient la balle parce que personne ne sait vraiment qui doit s’occuper de ça», fait remarquer Jacques Diezi.

Domaine protéiforme, la toxicologie tient de la biologie, de la chimie, de la médecine et des sciences de l’environnement. Difficile à accorder donc. Et plus difficile encore à enseigner.

Des spécialistes très sollicités

Pourtant, toute société industrielle moderne fait une grosse consommation d’analyses toxicologiques.

En Suisse, les géants de la pharmacie (Roche, Novartis) ou de l’agroalimentaire (Nestlé) obéissent, pour la commercialisation de leurs produits, à des règles largement internationales.

Les analyses peuvent être faites à peu près n’importe où dans le monde. Et lorsqu’elles le sont en Suisse, les toxicologues qui travaillent dans les labos de l’industrie viennent le plus souvent d’Allemagne.

En Suisse même, leurs résultats sont contrôlés, soit par les spécialistes de Swissmedic, soit par ceux de l’Office fédéral de la santé publique. Sans oublier les chimistes cantonaux, qui s’occupent autant de la qualité des eaux que du taux de nitrates dans les salades

Aujourd’hui, la plupart de ces postes sont occupés par d’anciens élèves de Schwerzenbach. Et Jacques Diezi – qui prend sa retraite l’année prochaine – n’est pas le seul professeur de sa génération à s’inquiéter pour la relève.

Les inquiétudes des Verts



Déjà avant la fermeture de l’Institut suisse de toxicologie, les scientifiques avaient tiré la sonnette d’alarme. Ils préconisaient alors la mise en réseau des institutions encore existantes. Mise en réseau qui a été réalisée depuis.

En mars 2002, la députée verte Maya Graf dépose une motion pour demander au gouvernement comment il entend assurer à l’avenir un enseignement et une recherche de qualité en toxicologie.

Pour les écologistes, la question est très sensible. Citant un rapport de l’OCDE, Maya Graf avance le chiffre de 80 à 100’000 substances circulant dans l’environnement dont la toxicité devra être réexaminée après la découverte de nouveaux effets qu’elles pourraient avoir.

Et d’ajouter qu’aujourd’hui en Suisse, plus de 96% des spécialistes en toxicologie «travaillent dans ou pour l’industrie et ne sont donc pas indépendants».

Pour une recherche indépendante

Un souci que partage Jacques Diezi. Pour lui, il est très important de maintenir une recherche «dirigée par la curiosité, qui ne soit pas liée à une application concrète, et au revenu final d’un investissement».

«L’industrie ne va pas s’évertuer à trouver un mécanisme de toxicité si elle n’y est pas contrainte par la loi» explique le professeur lausannois.

Jacques Diezi se réjouit de voir le monde politique s’intéresser à l’avenir de sa discipline. Mais il ne se fait guère d’illusion sur les ressources que l’Etat pourra et voudra y consacrer.

A titre d’exemple, il cite la décision récente de l’Ecole polytechnique de Zurich de fermer son Institut de médecine du travail. Bien que ce domaine dépasse le cadre de la toxicologie, les risques d’exposition à des substances nocives sur les lieux de travail existent toujours.

Pour Jacques Diezi, cette fermeture annoncée est une autre expression du dédain qu’affichent certains responsables académiques envers des disciplines comme la sienne.

«Il faudra de l’argent»

Le gouvernement n’a pas enterré la motion de Maya Graf pour autant. Il a commandé à l’Office fédéral de l’environnement un rapport sur l’état de la situation, qui lui permettra de «décider des démarches ultérieures».

Chef de la division substances et biotoxicologie de l’Office, Georg Karlaganis annonce que ce rapport contiendra «quelques recommandations». Et ne sortira que l’année prochaine.

«Venir avec de nouvelles exigences cette année ne tomberait pas bien, à cause des programmes d’économies», admet Georg Karlaganis. Car que l’on choisisse de renforcer le réseau existant ou de créer un nouveau Schwerzenbach, «il faudra de l’argent. C’est clair».

swissinfo, Marc-André Miserez

La toxicologie en Suisse en 2000 (selon le rapport de la SSPT):

– 900 personnes travaillent dans le domaine, dont un tiers d’universitaires et deux tiers au bénéfice d’une formation technique

– Principaux employeurs: industrie, hautes écoles, administration.

– Le centre de la toxicologie industrielle est à Bâle, celui de l’industrie alimentaire à Lausanne.

– La recherche universitaire se fait à Zurich, Lausanne, Genève, Bâle et Berne.

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