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Sur le terrain du sport, le français joue sa survie

Sport historiquement lié à la langue française, l'escrime doit aussi faire face à une anglicisation au quotidien. AFP

Langue officielle du CIO, le français dispose d’un statut privilégié au sein des organisations sportives internationales. Dans la pratique, l’anglais s’est imposé comme langue d'échange et de travail incontournable. Pragmatisme salutaire ou perte de diversité regrettable?

Depuis les Jeux d’Athènes en 2004, une personnalité francophone de renom est chargée d’observer la place dévolue au français durant les deux semaines de joutes olympiques. Et le constat est sans appel: le français n’est certes pas absent des JO, mais il est presque exclusivement devenu une langue de cérémonie et non plus une langue d’usage, de communication et de travail.

Jusqu’ici, seul l’ancien ministre suisse Pascal Couchepin, nommé Grand Témoin pour les Jeux de Vancouver, a délivré un message plus optimiste. «Ces Jeux de Vancouver sont un exemple de la voie à suivre en matière de diversité linguistique», déclarait-il en février au quotidien valaisan Le Nouvelliste.

Dans ce pays officiellement bilingue qu’est le Canada, les autorités ont en effet tenu à garantir une diversité linguistique visible, même si certains l’ont jugée artificielle.

Déclin du français

Pourtant, si l’on en croit Alexandre Wolff, responsable de l’observatoire de la langue française au sein de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), les Jeux de Vancouver restent une exception dans l’histoire récente du mouvement sportif international et des organisations qui y sont liées.

«Toutes les mesures effectuées – taux d’interprétation, de traduction, fréquence dans les langues officielles ou de travail – montrent un déclin du français et des autres langues officielles de ces organisations», affirme-t-il.

Selon une étude menée en juin 2008 par l’OIF, le français possède pourtant le statut de langue officielle de 68% des 85 organisations et fédérations sportives consultées. Et la charte olympique mentionne sans ambiguïté dans sa règle 24 que le français et l’anglais sont les deux langues officielles du mouvement olympique, précisant qu’en «cas de litige, la langue française fait foi».

«En garde!»

Le statut de langue officielle ne suffit toutefois pas à faire du français une langue d’usage et d’échange quotidien. L’anglais s’est ainsi, au fil des dernières décennies, peu à peu généralisé dans toutes les grandes organisations sportives. L’escrime en est peut-être l’exemple le plus frappant. Langue historique de ce sport de combat, le français est aujourd’hui encore la langue d’annonce des compétitions internationales. «En garde ! Prêts ? Allez ! Halte !», peut-on ainsi entendre sur les pistes d’escrime du monde entier.

Mais peut-être plus pour longtemps. «Comme d’autres sports, l’escrime s’internationalise, explique Frederic Pietruszka, président de la Fédération française d’escrime. Certains font pression pour que l’anglais remplace le français. Même si toute la codification a été faite en français et qu’un changement de règles serait très lourd à mettre en œuvre, le danger est réel».

Depuis l’introduction de l’arbitrage-vidéo, les arbitres communiquent très souvent entre eux en anglais, affirme Frederic Pietruszka. Et avec la nomination du Russe Alishcher Usmanov à la tête de la Fédération internationale, l’anglais est devenue la langue «véhiculaire» du comité exécutif.

Do you speak english?

Frederic Pietruszka s’accommode pourtant assez bien de l’évolution actuelle. «C’est important de pouvoir échanger et l’anglais est aujourd’hui la langue commune qui facilite le plus la communication. Préserver une identité, d’accord. Mais faut-il maintenir à tout prix le français comme langue officielle du CIO? On le fait par respect à l’égard de Pierre de Coubertin. Toutefois, la multiplication des langues complique les choses. La substance du discours se perd parfois en cours de route».

Un pragmatisme apparemment avisé qui fait bondir Alexandre Wolff: «Contrairement à ce que beaucoup pensent, l’anglais ne facilite pas la communication. Son usage systématique dégrade sa pratique et ne favorise pas l’intercompréhension. C’est particulièrement préjudiciable dans des enceintes où l’on cherche des consensus».

A l’appui, l’exemple maintes fois observé de traducteurs qui doivent d’abord retranscrire un anglais international très approximatif en anglais académique avant qu’il ne puisse être traduit dans les autres langues. «Une situation absurde qui contrarie le fonctionnement des organisations internationales, comme nous avons pu le constater au sein de l’ONU», précise Alexandre Wolff.

Mesures concrètes

«C’est important que chacun puisse s’exprimer dans sa langue, concède Frederic Pietruszka. Je ne peux pas formuler en anglais les mêmes nuances qu’en français, surtout dans des domaines très techniques. Les outils de traduction simultanée demeurent primordiaux».

C’est précisément dans cette direction que s’engage l’OIF. Aux Jeux olympiques de Pékin, une aide concrète a ainsi été fournie en matière de formation des interprètes, de traduction, de terminologie ou encore d’aide à la diffusion de l’information en français.

«Des éléments objectifs laissent à penser que le changement est possible, affirme Alexandre Wolff. La prise de conscience politique a eu lieu, comme en atteste l’adoption par les pays membres de la Francophonie au Sommet de Bucarest, en 2008, d’une série d’engagements sur l’utilisation du français au sein des organisations internationales».

Le plurilinguisme avant tout

Frederic Pietruszka estime toutefois que la Russie, la Chine ou encore l’Amérique latine doivent pouvoir elles aussi défendre leurs légitimes revendications: «Je comprends qu’on milite pour l’utilisation du français comme deuxième langue officielle à Vancouver. Mais à Pékin ou Sotchi, on pourrait très bien s’accommoder du russe et du chinois».

L’engagement de l’OIF est-il trop exclusif et basé sur l’unique volonté de réhabiliter la grandeur passée du français? «Ce n’est pas un combat d’arrière-garde, assure Alexandre Wolff. Si un jour le français disparaissait du paysage olympique, il ne serait remplacé ni par l’espagnol ni par le chinois. La présence du français aux Jeux garantit la diversité culturelle de l’événement. L’OIF défend avant tout le plurilinguisme. Il faut certes trouver un équilibre et se montrer pragmatique. Mais se résoudre à un unilinguisme de fait serait une grave erreur».

Le français est une langue historique de nombreuses organisations ou fédérations sportives internationales.

Selon une étude réalisée en 2008 par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), le français est une langue officielle de 68% des organisations et fédérations internationales.

Le français est également une langue de travail de 72% de ces organisations. Dans 25%, le français est la langue faisant foi en cas de litige, alors que l’anglais est la langue d’arbitrage dans 67% des cas.

De nombreuses organisations et fédérations sportives ont été créées en France. Aujourd’hui, une majorité d’entre elles ont leur siège administratif en Suisse francophone ou à Monaco.

Une grande partie des dirigeants d’organisations ou fédérations internationales sont de langue maternelle française ou maîtrisent le français. C’est le cas notamment de Sepp Blatter (FIFA), Michel Platini (UEFA), Jacques Rogge (CIO), Lamine Diack (IAAF) ou encore Pat McQuaid (UCI).

Le CIO, fondé en 1894 par le baron Pierre de Coubertin, stipule dans sa Charte que ses langues officielles sont le français et l’anglais. En cas de litige, la langue française fait foi. Le siège du CIO est à Lausanne.

La FIFA, fondée en 1904 à Paris sous l’impulsion de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques, a longtemps utilisé le français comme seule langue officielle. Aujourd’hui, le français détient le statut de langue officielle au même rang que l’anglais, l’allemand et l’espagnol.

L’UEFA, fondée en 1954 à Bâle, a aujourd’hui son siège à Nyon, dans le canton de Vaud. Ses langues officielles sont l’anglais, le français et l’allemand.

L’UCI (Union cycliste internationale) a été créée en 1900 à Paris. Elle a établi son siège en 2001 à Aigle, dans le canton de Vaud. Ses langues officielles sont le français et l’anglais.

L’AMA (agence mondiale antidopage) a été fondée le 10 novembre 1999 à Lausanne. Son bureau principal est à Montréal et ses deux langues officielles sont le français et l’anglais.

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