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Des retraités suisses en Nouvelle-Zélande hors-la-loi

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La Nouvelle Zélande (ici, les hauteurs de Wellington, la capitale) continue à attirer beaucoup d'étrangers. De 2001 à 2013, la proportion des immigrés y est passée de 19,5 à 25,2% de la population totale. Les Suisses y sont 7000. Reuters / David Gray

La Nouvelle-Zélande a introduit il y a plus de 80 ans le principe de la «retraite unique», qui interdit de recevoir deux rentes de vieillesse. Les Suisses qui vivent dans le pays se voient donc réduire leur pension néo-zélandaise. Une pratique considérée comme injuste par de nombreux expatriés, qui en viennent à enfreindre les règles.

«Depuis cinq ans, j’ai cherché à actionner tous les leviers à ma disposition pour trouver une solution au problème auquel sont confrontés les retraités suisses», explique David Vogelsanger, ambassadeur suisse à Wellington.

«Bien que les partis actuellement au gouvernement connaissent très bien le problème et l’aient exploité à des fins électorales, ils ont remis les réformes nécessaires aux calendes grecques». C’est un ambassadeur très déçu que nous rencontrons au siège de la mission suisse, dans la venteuse capitale néo-zélandaise.

Son bureau au 12e étage offre une vue splendide sur la baie et sur le port où débarquèrent un jour ceux qui avaient choisi la Nouvelle-Zélande comme terre d’accueil. Et parmi eux, de nombreux Suisses. Aujourd’hui, ils sont 7000 dont quelque 1200 retraités. David Vogelsanger, qui prendra lui-même sa retraite en septembre, prend particulièrement à cœur le sort de ces derniers.


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L’ambassade suisse est au 12e étage du bâtiment de droite. Luca Beti

Le principe de la «pension unique»

Le système de retraites néo-zélandais accorde une pension, dite SuperannuationLien externe ou «NZ Super», à qui a vécu légalement dans le pays durant dix ans après l’âge de vingt ans et cinq ans après l’âge de cinquante ans. Il s’agit d’une rente financée par l’impôt, payée à tout habitant de plus de 65 ans, indépendamment de son statut social, des années qu’il a travaillées, de sa nationalité et de son revenu. Qu’il soit millionnaire ou qu’il n’ait jamais travaillé de sa vie, chacun la touche. En revanche, la loi interdit de toucher deux retraites, soit celle de la Nouvelle-Zélande et celle d’un autre pays dans lequel la personne aurait vécu et travaillé auparavant. L’idée est d’éviter une différence de traitement entre ceux qui ont travaillé et payé des impôts toute leur vie au pays et ceux qui viennent de l’étranger.

C’est pourquoi la Nouvelle-Zélande ne verse aux retraités suisses que la différence entre la NZ Super et leur rente AVS. Concrètement, cela signifie que le montant de l’AVS est déduit des 1100 francs mensuels de la rente locale. La rente suisse, elle, peut aller jusqu’à 2370 francs, en fonction des années d’activité, des revenus et des sommes allouées aux dépenses éducatives et d’assistance.

Dans le pire des cas, un retraité suisse, même s’il a travaillé et payé des impôts durant des décennies en Nouvelle-Zélande, peut très bien ne pas toucher un dollar de son pays d’adoption, parce que son AVS dépasse le montant de la NZ Super.

Un système à l’ancienne

«C’est un système désuet et dépassé. Nous vivons dans un monde globalisé, où la mobilité est élevée», estime David Vogelsanger. Le dernier recensement montre que le Pays du Long Nuage Blanc, comme on appelle aussi la Nouvelle-Zélande, continue d’exercer un énorme attrait. Ses résidents nés à l’étranger sont passés de 19,5% de la population totale en 2001 à 25,2% en 2013. Ce qui veut dire qu’un habitant sur quatre est un immigré.

L’interdiction de recevoir deux pensions affecte ainsi un nombre croissant de personnes, que ce soit des Néo-Zélandais qui ont travaillé à l’étranger ou des étrangers établis légalement. En 2016, 84’000 retraités ont vu leur NZ Super réduite, et en 2018, ils et elles étaient déjà 98’000, soit plus d’un retraité sur dix. «Cette évolution nous donne de l’espoir, relève David Vogelsanger. En fait, plus il y aura de Néo-Zélandais touchés par cette mesure, plus la pression exercée sur les politiciens pour modifier la loi sera forte».

«La Nouvelle-Zélande économise chaque année des centaines de millions de dollars en laissant d’autres pays supporter le coût de la vie de ses retraités, poursuit l’ambassadeur. C’est une déduction inacceptable». En 2018, les caisses de l’Etat ont épargné plus de 430 millions de dollars (290 millions de francs suisses), un montant qui a plus que doublé depuis 2010. «Malgré l’insistance de la Suisse et d’autres pays, la Nouvelle-Zélande a toujours refusé de conclure un accord pour améliorer la situation des bénéficiaires d’une pension étrangère», regrette David Vogelsanger.

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L’épée de Damoclès

En conséquence, de nombreux Suisses ont choisi de contourner la loi: ils cachent leur rente AVS aux autorité néo-zélandaises, en demandant à leur caisse de compensation de la verser sur un compte postal ou bancaire personnel en Suisse. Si l’on compare certains chiffres, la pratique apparaît courante et répandue.

Le Ministère du développement social de Nouvelle-Zélande indique 471 rentes AVS reçues par des résidents suisses à fin décembre 2018, alors que selon l’Office fédéral de la statistique, il y a 1179 retraités suisses dans le pays. Il y aurait donc plus de 700 de ces Suisses qui n’auraient pas respecté les règles. Rappelons quand même que certains Suisses n’ont probablement pas demandé la NZ Super, vu que leur rente AVS dépasse le montant qu’ils toucheraient de l’Etat néo-zélandais.

Une épée de Damoclès pend désormais au-dessus de tous les autres retraités suisses. Le 1er janvier 2018 en effet, est entré en vigueur l’accord sur l’échange automatique d’informations avec la Nouvelle-Zélande, auquel les expatriés s’étaient opposés en vain en 2017. «J’ai conseillé à tout le monde de se dénoncer spontanément pour éviter une éventuelle amende», dit l’ambassadeur Volgelsanger.

Les premières données seront fournies à l’administration fiscale à Wellington dans le courant de cette année. Si ces informations devaient passer au Ministère du développement social, en violation des accords, les retraités suisses de Nouvelle-Zélande risqueraient, en plus de l’amende, de se vor poursuivis pénalement et de devoir rendre à l’Etat les sommes illégalement touchées.

(Traduction de l’italien: Marc-André Miserez)

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