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Tirabosco, la nécessité de l’utopie

Tom Tirabosco, entre humour et rébellion. swissinfo.ch

Souvenirs 2003, perspectives 2004… Avec aujourd’hui, le dessinateur et auteur Tom Tirabosco.

Rencontré dans son atelier, au cœur de Genève, Tom Tirabosco répond aux questions de Bernard Léchot.

2003 a sans doute été une année charnière pour Tirabosco. Jusque là, s’il connaissait un vrai succès critique, son public relevait plutôt de l’underground.

Avec la publication de «L’œil de la forêt», chez Casterman, album couronné par le Grand Prix de la Ville de Sierre à l’occasion du festival BD, Tirabosco change de catégorie. La même ville valaisanne lui a d’ailleurs consacré une large exposition rétrospective cet automne.

Tom Tirabosco a donc toutes les raisons de participer à notre série de fin d’année, dont le principe sera, en compagnie de personnalités qui ont eu une actualité importante en 2003, de jeter un coup sur l’année écoulée, mais aussi de regarder 2004 droit dans les yeux…

swissinfo: 2003, un album chez Casterman, un prix et une exposition à Sierre… Au quotidien, comment ce changement de statut se traduit-il?

Tom Tirabosco: C’est une année de reconnaissance, très clairement. Je suis très content, je plane un peu… Disons que cela me donne un peu plus de tranquillité, et me renforce dans ce que je fais. Cela me confirme que ça valait la peine de creuser le sillon!

Et puis, depuis, j’ai eu des propositions de deux autres grandes maisons d’édition, qui ont insisté pour que je fasse une série chez elles. J’ai dû décliner, parce que je n’avais rien à proposer. Par ailleurs, le prix et l’exposition ont conforté Casterman dans le fait de m’avoir intégré à leur catalogue.

Ils sont très contents et ont envie de faire un bout de chemin avec moi. J’ai un projet, en phase de discussion, et d’écriture, chez Casterman. Un ‘one-shot’ avec Pierre Wazem. Et je continue à nourrir un certain nombre d’envies, dont une adaptation de «Moby Dick» de Melville, en plusieurs tomes.

swissinfo: Sur un plan plus large, quel événement vous a marqué en 2003?

T.T.: Ce qui m’a marqué très directement dans ma vie, ce sont les événements liés au G8 à Genève, auxquels j’ai participé non pas en tant que casseur, mais en tant que manifestant pacifiste. J’ai vécu cette grande manifestation avec beaucoup d’émotion, et de croyance en des lendemains un peu plus reluisants pour d’autres que nous.

Il y a maintenant un constat d’impasse face au développement de pays qui n’arrivent pas à accéder aux mêmes richesses que nous. La reconnaissance d’une injustice criante. J’ai trouvé sympathique et réjouissant que plein de citoyens, de tous âges, prennent conscience qu’il va falloir faire d’autres choix de société. Et je crois que je suis prêt à le faire. Je ne suis même pas sûr que cela demanderait à chacun d’entre nous d’énormes sacrifices.

swissinfo: On reproche aux alter-mondialistes d’avoir mis en place une systématique de la protestation, sans que de réelles solutions soient avancées…

T.T.: J’ai envie d’alimenter une culture de l’utopie. La pensée utopique est nécessaire, et en l’occurrence, elle me tient debout. Je ne peux pas me ranger du côté du cynisme ou de la ‘real politik’. Sans être un militant acharné, je ne peux pas me résoudre à baisser les bras.

Pour moi, ce G8, même si c’était une goutte d’eau, cela a été la confirmation qu’à la longue, on pourra faite bouger les choses… Le combat des alter-mondialistes n’est pas qu’un combat de façade, dû à la mauvaise conscience de gosses riches. Je crois que ce sont vraiment des gens qui se posent des questions, et qui essaient de réagir à leur niveau.

swissinfo: Si vous deviez résumer l’année 2003 par deux couleurs… lesquelles choisiriez-vous et pourquoi?

T.T.: Deux couleurs, cela ne suffit pas. 2003, je lui donnerais toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. C’est l’année de ce drapeau qu’on a vu flotter sur toutes les façades des grandes villes du monde.

swissinfo: A titre personnel, vos attentes pour l’année 2004?

T.T.: Je n’ai pas d’attentes particulières, si ce n’est de prendre la vie de manière un peu plus légère, de passer du temps avec des gens que j’aime, des banalités de ce type. Et puis de réussir à faire les livres que j’ai envie de faire, et de me dire que… que ça vaut le coup d’être ici, maintenant.

swissinfo: Et sur un plan national?

T.T.: On assiste à un changement certain. Christoph Blocher (leader de l’UDC, droite dure, NDLR) au Conseil fédéral… Et bien il faut qu’il fasse ses preuves, et surtout les preuves de son incompétence. Ce sera une bonne chose pour ceux qui cherchent des réponses moins simplistes aux problèmes.

Moi, en fait, ce qui me choque beaucoup, c’est l’arrogance de l’argent, le fait que ce multimillionnaire donne des leçons en prétendant s’adresser aux petites gens. Je trouve que c’est un discours assez insupportable. Il faudrait que tout le monde puisse péter dans la soie. Mais attention, de la soie bio!!

swissinfo: Pour conclure, imaginons que la planète entière vous écoute. Qu’avez-vous avez envie de lui dire?

T.T.: Je dirais aux gens d’aller au bout de ce qu’ils ont vraiment dans le ventre. Je crois que si les gens faisaient vraiment ce qu’ils ont envie de faire, ils seraient plus tolérants et plus sympas les uns avec les autres.

swissinfo, propos recueillis par Bernard Léchot

– Tom Tirabosco est né en 1966 à Rome. Il vit en Suisse depuis 1970. Diplômé des Beaux-Arts, il fait ses premières armes dans la presse française (Libération, Les Inrockuptibles).

– Côté bande dessinée, on lui doit notamment «Cabinets de curiosité» (Atrabile, 1997), «Le Colporteur» (Delcourt, 1999), «Week-end avec préméditation», avec Wazem (Humanoïdes Associés, 2000), «L’œil de la forêt» (Casterman, 2003).

– Depuis 1997, il a également signé les illustrations de plusieurs livres pour enfants. Le dernier en date, «Le Dessert», vient de paraître aux éditions La Joie de Lire.

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