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“Nous sommes en face d’une organisation qui a inspiré Al Qaida”

Le procès des Tigres tamouls a repris lundi devant le Tribunal pénal fédéral après deux semaines de pause. KEYSTONE/TI-PRESS/CARLO REGUZZI sda-ats

(Keystone-ATS) Le procès des Tigres tamouls a repris lundi devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone. De nombreux moyens de preuves ont été encore demandés par la défense avant que la procureure ne puisse débuter son réquisitoire en milieu d’après-midi.

“Nous sommes en face d’une organisation criminelle comme il n’en existe plus”, a lancé la procureure fédérale en ouverture de son réquisitoire. Elle a souligné que les Tigres tamouls (LTTE) avaient assassiné deux chefs d’Etat, le président indien Rajiv Gandhi et son homologue sri-lankais Ranasinghe Premadasa.

“Une organisation dont l’efficacité a inspiré Al Qaida”, a ajouté Juliette Noto, qui a dénoncé sa mainmise sur la communauté tamoule en Suisse par l’intermédiaire du World Tamil Coordinating Comitee (WTCC). La magistrate a invité le tribunal à ne pas se laisser abuser par la défense qui a invoqué sans cesse la légitimité de la lutte des Tamouls contre un régime présenté comme génocidaire.

Enfants soldats et cadets

Les fondements du nationalisme tamoul ne sont pas l’objet de ce procès, a rappelé la procureure. Pas plus que les crimes commis par le gouvernement du Sri Lanka: “Ces crimes ne peuvent pas être invoqués à la décharge des Tigres tamouls”. Juliette Noto s’est indignée de l’attitude de la défense qui a minimisé, voire plaisanté sur le recrutement d’enfants soldats en le comparant aux cadets dans les cantons suisses.

“Vous devez juger une organisation qui finançait un mouvement qui menait une guerre conventionnelle mais qui commettait aussi des attentats, des enlèvements et toutes sortes d’actes contre la population civile”, a rappelé la procureure. Et de rappeler que de nombreux témoignages faisaient état de la peur des Tigres parmi la communauté tamoule en Suisse aussi.

“Quel message donnons-nous avec ce procès à la communauté internationale, s’est demandé Juliette Noto. Qu’il n’y a aucune tolérance pour de tels faits. Que la Suisse doit protéger les diasporas résidant sur son sol!”

La magistrate s’est expliquée sur la durée de la procédure, de près de neuf ans. “La première enquête menée à Zurich à la fin des années 90 avait été entachée par des règlements de comptes entre Tamouls. Nous avons voulu l’éviter et avons dû corroborer beaucoup de déclarations et en écarter certaines.” De nombreux actes d’instruction ont été nécessaires afin de percer le secret de l’organisation.

Pas de complot

Juliette Noto a contesté que l’enquête ait été menée sous pression internationale ou dans le cadre d’un complot contre le LTTE orchestré par Colombo. “Des soupçons d’actes criminels existaient dès 2003 mais une trève était alors en vigueur et la Suisse était l’hôte du processus de paix.” Ils ont été renforcés au fil des enquêtes menées à l’étranger.

La procureure a ensuite décortiqué par le menu les différents actes commis par les LTTE: recrutement d’enfants soldats, attentats contre la population civile, assassinats de personnalités politiques et d’opposants. “Ces attentats étaient commis dans la capitale Colombo, ou contre des temples, des bus. Ils obligeaient le gouvernement à déployer une partie des forces de sécurité dans le sud afin de protéger la population. Cette stratégie dément les affirmations selon lesquelles les civils étaient des victimes collatérales.”

Juliette Noto n’a pas nié qu’une partie des fonds récoltés ait pu servir à acheter du matériel sanitaire, comme l’a soutenu la défense. Mais l’essentiel servait à financer des armes qui n’étaient pas seulement utilisées dans la guerre conventionnelle mais aussi pour des attentats.

Toutes ces activités sont constitutives de la notion d’organisation criminelle, a souligné la procureure. La récolte de fonds, leur transport, l’achat d’armes, leur acheminement et leur répartition étaient hautement professionnels et contrôlés par la hiérarchie des LTTE. Comme au Sri Lanka, les diasporas étaient encadrées par des structures hiérarchiques pyramidales dans les pays d’accueil, y compris en Suisse.

S’appuyant sur les déclarations des dirigeants du WTCC, la procureure a souligné que cette organisation était un paravent des LTTE. “Ces derniers, en tant que mouvement de libération armée, n’aurait jamais pu ouvrir un compte en Suisse.” Seuls les cadres du WTCC connaissaient la nature des liens entre les deux entités qui étaient nimbées de secret pour le reste de la communauté.

La procureure a aussi évoqué le fichage systématique de la diaspora en Suisse, données qui étaient transmises au bureau des relations internationales des Tigres. Ce fichage portait sur les contributions financières, les éventuelles réticences à payer et les sympathies politiques en particulier. En 2009, ce fichier comptait 10’000 personnes, ce qui correspondait à 80% de la communauté. Juliette Noto conclut que ce fichage et sa communication constituaient un moyen de pression sur la communauté.

La procureure a conclu que le WTCC était une organisation criminelle par les buts qu’elle poursuit, par sa structure, par le secret qui l’entoure et par les pressions exercées sur les Tamouls. “Par l’intermédiaire du WTCC, les Tigres ont étendu leurs tentacules sur la Suisse comme une pieuvre.”

Durant la matinée, la procureure et les avocats ont encore bataillé sur les derniers moyens de preuves requis par la défense. L’avocate du responsable financier du WTCC s’est interrogée sur l’absence au dossier d’écoutes téléphoniques par le Ministère public de la Confédération ou par d’autres services.

La procureure fédérale s’est vivement opposée à ces requêtes. Elle a rappelé que le WTCC avait cessé son activité dix jours après l’ouverture de l’enquête et que des écoutes étaient donc sans objet. “Il n’y a pas eu non plus d’écoutes secrètes, a martelé Juliette Noto, puisque la base légale pour de telles mesures date de l’an passé.”

Le tribunal a rejeté la plupart de ces demandes, admettant cependant l’ajout au dossier de plusieurs documents jugés potentiellement pertinents.

Treize prévenus comparaissent depuis début janvier devant le Tribunal pénal fédéral. Ils répondent de soutien à une organisation criminelle, d’escroquerie, de faux dans les titres, de blanchiment et d’extorsion. Ils sont accusés d’avoir mis en place en Suisse un système complexe de crédits et de sociétés écrans afin de financer le mouvement indépendantiste des Tigres tamouls (LTTE).

Le Ministère public terminera son réquisitoire mardi.

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