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Il y a 125 ans naissait le vélo militaire à la mode helvétique

Des recrues des troupes cyclistes lors du "service de parc" en 1994 (archives). KEYSTONE/MARTIN RUETSCHI sda-ats

(Keystone-ATS) Uniques en Europe, elles étaient la fierté de l’armée suisse: les troupes cyclistes. Il y a 125 ans, le 5 avril 1892, entrait en vigueur la loi fédérale qui introduisait cette nouveauté. Elle a persisté jusqu’en 2003 avant d’être sacrifiée sur l’autel de la modernité.

En août 1892, une première école accueillait 215 recrues et autant de bicyclettes: chaque homme devait alors entrer en service avec son propre deux-roues.

Cette première école de “vélocipédistes” militaires a eu lieu à Berne et duré 22 jours. Les places étaient recherchées, malgré le fait que les amateurs devaient acheter eux-mêmes leur monture. Les soldats, selon la presse de l’époque, étaient attirés par cette spécialité, qui paraissait synonyme de plus grande liberté.

Et le manque de discipline des débuts ne passait pas inaperçu. Grâce à la rapidité de leurs montures métalliques, nos cyclistes sont rapidement hors de la vue des officiers. On les retrouve ensuite dans les auberges, d’où il n’est pas si facile de les faire sortir, relevait le rapport de gestion 1895 du Département militaire.

Premier vélo, fiasco

Le lancement du premier vélo officiel de l’armée, modèle 1894, est un fiasco, même si le soldat bénéficie d’une réduction de 50 francs pour son achat. Les chambres à air viennent en effet de sortir sur le marché.

Face à cette petite révolution pour le confort des séants, les pneus en caoutchouc plein de la machine livrée aux militaires manquent singulièrement d’attrait. Le modèle 1905, en revanche, fera un tabac.

Par une ordonnance de 1910, le Conseil fédéral demandait qu’une attention accrue soit portée à la bicyclette militaire. Dans les descentes et sur le plat, elle a des avantages inégalés par rapport à d’autres moyens de locomotion, tant sur le plan des performances que celui du prix, soulignait le gouvernement. En côte en revanche, son poids élevé constitue un handicap.

Aux yeux du Conseil fédéral, le renforcement des troupes cyclistes devait permettre des économies sur les régiments à cheval, bien plus coûteux en ravitaillement et en soins.

Troupes combattantes

Durant les premières années, les deux-roues ont servi surtout aux estafettes pour porter des messages. Dès la guerre de 1914- 1918 cependant, la moto et d’autres moyens de transmission venaient prendre la relève. Et les cyclistes se retrouvent graduellement dans les troupes combattantes, un rôle que le Conseil fédéral confirmera après la guerre.

Unités silencieuses, rapides et d’une puissance de feu équivalente à celle de l’infanterie, leurs effectifs sont portés en 1924 de 2500 à 6300 hommes. Cette année-là en outre, elles sont équipées de mitrailleuses légères. Dans l’entre-deux-guerres, les troupes cyclistes se développent en unités d’élite, avec la fierté de leur arme et un esprit de corps remarquable.

Pénurie de caoutchouc

La pénurie de caoutchouc, déjà ressentie pendant la Première guerre, devient aiguë durant le conflit de 1939-1945. Pour économiser les précieux pneus, les cyclistes doivent systématiquement pousser leurs vélos lors de leurs déplacements, ou les charger sur le train. Et pas question de rouler pour des courses civiles avec la monture militaire.

Après la guerre, l’équipement en armements lourds se poursuit. Les unités cyclistes emportent avec elles un nombre croissant de tubes lance-roquettes et même, depuis 1981, des engins guidés anti-chars. Par la suite, chaque régiment cycliste est accompagné de véhicules tous-terrains légers, qui servent d’atelier de réparation, transportent l’approvisionnement ainsi que du matériel.

Le rôle des cyclistes consistait en particulier à intervenir rapidement pour des actions ponctuelles, et à engager le combat en terrain difficile et de nuit.

Nouveau vélo en 1993

Le vélo d’ordonnance “05” était fabriqué par des firmes comme Schwalbe, Caesar, Condor et Cosmos sur mandat du Conseil fédéral. Mis à part quelques améliorations techniques, l’engin émaillé noir restera inchangé pendant une carrière de près de 90 ans.

En 1995, les troupes cyclistes touchent le “modèle 93”. Equipé d’un dérailleur à sept vitesses et de freins hydrauliques, il était fabriqué par l’entreprise jurassienne Condor, à Courfaivre.

De couleur gris-vert, la nouvelle bicyclette est équipée d’une plus grande proportion de pièces normalisées et de composants du commerce. Elle est aussi mieux adaptée à la taille des soldats, lesquels, depuis le début du siècle, sont devenus plus grands. L’engin a une charge utile de 60 kilos.

Las, en 2001 tombe la décision: après la cavalerie en 1972 et les pigeons voyageurs militaires en 1996, les troupes cyclistes sont supprimées au 1er mai 2003. Motif principal, leur vulnérabilité dans la guerre moderne, l’absence de protection contre les éclats d’obus notamment. Un ultime défilé marque l’événement.

“Modèle 12”

Pour autant, le vélo ne disparaît pas totalement de l’armée suisse. Au “93” dont les pièces de rechange ne sont plus disponibles succèdent 4100 exemplaires du “modèle 2012”, commandés au prix de 2500 francs pièce à l’entreprise zurichoise Simpel.

Le “12” est très perfectionné: cadre en alu, freins à disques, moyeu dynamo intégré, 8 vitesses, il ne pèse que 15 kilos. Le vélo sert à l’exercice des soldats et aux déplacements dans les casernes.

Celui qui a supervisé cet achat à l’époque n’était autre que le ministre de la défense Ueli Maurer, un ancien des troupes cyclistes. Le Zurichois a en effet commandé un bataillon de cyclistes jusqu’en 1994. Le conseiller fédéral reste d’ailleurs fidèle à son vieux vélo militaire et ne dédaigne pas de l’utiliser encore de temps à autre.

Près de 70’000 unités du “05” ont été écoulées jusqu’en 1988. Alors qu’ils se liquidaient à 150 francs dans les ArmyLiqShops il y a quelques années, un modèle parfaitement restauré se négocie aujourd’hui autour de 1500 francs.

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