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L’Italie commémore les 40 ans de la mort de Pasolini

(Keystone-ATS) Pier Paolo Pasolini a été assassiné il y a 40 ans, dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, sur une plage proche de Rome. Longtemps à l’abandon, ce terrain vague est devenu en 2005 un parc à la mémoire du célèbre cinéaste, écrivain et poète italien du 20e siècle.

Giuseppina Sardegna est la propriétaire du restaurant dans lequel Pasolini avait ses habitudes. Elle est une des dernières personnes à l’avoir vu en vie.

Ce soir-là, raconte-t-elle, “mon mari est venu me dire: Giuseppina peux-tu préparer des spaghetti à l’ail et l’huile ? Comment ça, je lui ai répondu, c’est très tard, il y a encore des gens qui veulent manger ? C’est Pasolini, m’a-t-il répondu, on ne peut pas lui dire non”, se souvient Mme Sardegna.

Le couple prépare alors le plat de spaghetti et l’apporte à l’artiste de 53 ans. “Il était à cette table, montre-t-elle. Pasolini s’est assis de ce côté. En face il y avait un jeune qui s’appelait Pelosi”.

Jeune voyou prostitué

Pino Pelosi avait 17 ans à l’époque. Il sera arrêté quelques minutes après la mort de Pasolini au volant de la voiture du réalisateur, une Alfa Romeo.

Condamné à 9 ans et 7 mois de prison pour ce meurtre en 1976, il est désormais libre. Selon l’enquête, le cinéaste aurait cherché un rapport sexuel que le jeune homme, un voyou prostitué, aurait refusé.

Intellectuel peu commode

Cette homosexualité affichée et son discours anticonformiste avaient fait de Pasolini un personnage dérangeant dans l’Italie de l’après-guerre. Intellectuel peu commode, Pasolini était le témoin provocateur d’une société italienne marquée dans les années 70 par de fortes tensions politiques.

Cinéaste, poète, marxiste et mystique, Pasolini considérait son activité artistique comme un combat. Il est venu assez tard à la réalisation alors que sa gloire d’écrivain était déjà assurée.

Cinéaste déroutant

Au début des années 60, il signe “Accatone” et “Mamma Roma”, deux films réalistes et poétiques sur le prolétariat urbain. Il signe ensuite des oeuvres déroutantes comme “Théorème” avec Silvana Mangano et revisite les mythes d'”Oedipe Roi” ou de “Médée” avec Maria Callas.

Au début des années 70, le cinéaste se lance dans l’adaptation de textes érotiques avec sa trilogie “Le Décaméron”, “Les contes de Canterbury” et “Les mille et une nuits”. Son ultime long métrage “Salo ou les 120 journées de Sodome” fut interdit dans plusieurs pays à l’époque.

Pasolini était également journaliste. Il avait été un des premiers à mettre en cause les institutions dans les attentats meurtriers commis par l’extrême droite, notamment à Milan en 1969 (16 morts, plus de 80 blessés). Des hommes des services secrets y avaient joué un rôle trouble.

Hommage d’un ministre

Si à l’époque Pasolini dérangeait, aujourd’hui l’Italie redécouvre son oeuvre. Le gouvernement lui a rendu hommage cette semaine avec une série d’événements. Pour le ministre de la Culture, Dario Franceschini, “40 ans après, le souvenir est encore grand et le message est en train d’arriver aux jeunes générations”.

“En tant que ministre de la Culture, je dois demander en quelque sorte pardon, pas pour moi, mais pour mes prédécesseurs, pour les institutions qui n’ont pas compris Pasolini et qui l’ont même parfois mis à l’écart”, a-t-il affirmé.

Geste de réconciliation

Dans un geste de réconciliation, M. Franceschini, avec un des acteurs fétiches de Pasolini, Ninetto Davoli, a donné le coup d’envoi d’un tournoi de football dédié au réalisateur. Ce dernier avait une passion pour ce sport.

Pour le réalisateur Marco Risi, l’Italie “est devenue ce que Pasolini avait prévu il y a 40 ans, un pays méchant, un pays antipathique. Il nous l’avait dit avec son dernier film et ses derniers écrits. Il nous manque, il nous manque énormément”, a-t-il souligné.

Un complot?

Et 40 ans après, beaucoup s’interrogent. Ils se demandent encore si, sur cette plage d’Ostie, c’est bien le jeune Pelosi le seul auteur de l’assassinat de Pasolini.

Pour beaucoup, Pino Pelosi n’aurait été que l’instrument d’un complot ourdi par des fascistes, voire par des dirigeants politiques de la Démocratie chrétienne. Ils auraient été gênés par les textes de cet intellectuel marxiste atypique, éclectique et subversif.

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