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La reconstruction d’Alep, dévastée, se prépare en Allemagne

La vieille ville d'Alep et ses trésors classés au patrimoine mondial de l'Humanité ont été ravagé par la guerre en Syrie. La mosquée des Omeyyades a perdu son minaret où l'appel à la prière a sonné pendant 900 ans, ses portes ont été arrachées et les murs sont désormais troués de balles (archives). KEYSTONE/AP/HASSAN AMMAR sda-ats

(Keystone-ATS) Façades éventrées, maisons pulvérisées, immeubles dévastés. L’une des plus anciennes cités du monde, Alep, agonise, ravagée par la guerre en Syrie. En Allemagne, des universitaires préparent sa reconstruction: ils ont établi une carte minutieuse de la vieille ville.

Dans une pièce lumineuse plongeant sur les allées rectilignes du campus universitaire de Cottbus, en ex-Allemagne de l’Est, l’urbaniste Christoph Wessling promène son index dans le labyrinthe des ruelles d’Alep. Déroulée sur son large bureau, une carte immense de 2 mètres 50 sur 2 mètres dessinée avec une échelle de 1/500.

Le document dont l’expert coordonne actuellement la réalisation est exceptionnel. Toute la vieille ville, ses souks, ses hammams, ses mosquées, ses églises, ses habitations y sont répertoriés avec une infinie précision. Au total, ce sont quelque 16’000 parcelles qui ont été tracées, ainsi que 400 plans au sol des principaux édifices de cette ville constamment habitée depuis plus de 6000 ans.

Le doigt de l’universitaire suit avec assurance le dédale des impasses mais ses souvenirs se perdent dans cette cité dont un poème du XIIe siècle dit qu’elle est aussi vieille que l’éternité.

Cours enchanteresses

“A Alep, il arrivait qu’on entre dans une maison dont la façade austère n’avait absolument rien de spécial”, raconte Christoph Wessling, qui garde la nostalgie de ses nombreux séjours dans la métropole syrienne avant le début de la guerre en 2011. “Et puis tout à coup on tombait sur un enchaînement de trois cours intérieures enchanteresses avec des piliers richement décorés”.

Ainsi allait la vie avant l’horreur. La métropole économique, divisée entre secteurs loyalistes à l’ouest et rebelles à l’est, a été le principal champ de bataille de la guerre en Syrie. A la fin 2016, Alep est le théâtre d’une tragédie humanitaire, avant d’être entièrement reprise par l’armée de Bachar al-Assad, appuyée par la Russie.

Bientôt en ligne

D’ici quelques semaines, la carte, qui mobilise six experts et dispose d’un budget de 60’000 euros, sera mise en ligne, à la disposition de tous ceux désireux de participer à la reconstruction d’Alep dont la vieille ville est classée au patrimoine mondial de l’Humanité de l’Unesco depuis 1986.

En cliquant sur la carte, ils auront accès “à l’ensemble des plans de chantier, photos et descriptions d’un lieu donné”, selon l’Université technique du Brandebourg (BTU), à Cottbus, chargée de ce projet par le ministère des Affaires étrangères et l’Institut archéologique allemand (DAI).

“Nous ne sommes pas des responsables politiques”, souligne Christoph Wessling. “Mais en tant qu’urbanistes, nous avons voulu jeter des bases” pour que la cité retrouve un jour sa splendeur si particulière. Il s’agit aussi d’éviter par exemple que des groupes de BTP ou des investisseurs n’envoient leurs bulldozers raser les bâtiments endommagés pour y construire hôtels et centres commerciaux.

Et le reste d’Alep ?

Chercheur doctorant à l’Université de Cottbus, le Syrien Zeido Zeido, qui prépare une thèse sur Alep, sa ville natale, met néanmoins en garde contre l’attention excessive portée à la vieille ville. “Il n’y a aucune protection nationale du patrimoine prévue pour les quartiers qui ne sont pas concernés par le classement de l’Unesco”, déplore-t-il.

Or “il y a d’autres quartiers avec des styles architecturaux plus récents qui doivent être protégés, comme les bâtiments de la fin du XIXe siècle”, à l’époque où Alep était l’une des principales villes de l’Empire ottoman, explique le jeune homme de 29 ans.

Le défi de la reconstruction sera immense, soulignent les chercheurs de la Faculté d’architecture de Cottbus. Selon l’Unesco, environ 60% de la vielle ville a été gravement endommagée, dont 30% totalement détruits.

“La couleur sable d’Alep”

L’Université de Cottbus a été retenue pour réaliser cette carte car sa faculté d’architecture dispose d’une longue tradition d’échanges avec celle d’Alep. Et l’Allemagne, sortie anéantie du joug nazi, dispose d’une riche expérience de reconstruction de ses villes. Après la Réunification, nombre de cités de RDA ont elles aussi connu une rénovation complète.

A Cottbus, les pensées s’égarent de nouveau à 4000 kilomètres de là. On évoque la vie d’avant dans la cité décatie, le bonheur “des soirées, toutes simples, entre amis dans les rues”, sourit Zeido Zeido.

Mais ce qui lui manque le plus, c’est “la couleur (sable) d’Alep, une ville construite avec une pierre si particulière qu’elle lui a donné une couleur unique”. Une atmosphère que la carte déployée sous ses yeux, si précise soit-elle, ne pourra jamais restituer.

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