Des perspectives suisses en 10 langues

Macron lève le tabou de la torture pendant la guerre d’Algérie

Le recours à la torture par les troupes françaises en Algérie, bien que connu, demeure un tabou de l'histoire officielle (image d'illustration). KEYSTONE/AP sda-ats

(Keystone-ATS) Emmanuel Macron a reconnu jeudi que la France avait mis en place un “système” entraînant des actes de torture pendant la guerre d’Algérie (1954-1962). Il a ainsi donné un coup d’accélérateur à ce chantier mémoriel, source de nombreuses blessures pas encore refermées.

Le président français a remis une déclaration en ce sens à la veuve de l’opposant communiste Maurice Audin, mort après avoir été enlevé par des militaires français à Alger en 1957, lui demandant “pardon”.

“Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité. Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris (…) tant en Algérie qu’en France”, a-t-il dit. M. Macron a aussi promis l’ouverture des archives sur le sujet des disparus civils et militaires, français et algériens.

Sujet hyper-sensible

Ces déclarations promettent de provoquer de vives réactions en France où la guerre d’Algérie, bien que largement documentée, reste un sujet hyper-sensible et le recours à la torture, bien que connu, demeure un tabou de l’histoire officielle.

Français ayant dû fuir l’Algérie (les “pieds-noirs”), combattants algériens s’étant battus pour la France puis abandonnés par cette dernière (les harkis), familles des disparus enlevés par les Français ou les Algériens, jeunes appelés du contingent jetés dans la guerre, etc. Des pans entiers de la société française ont été meurtris par cet épisode et M. Macron semble décidé à crever l’abcès.

“On est dans une continuité. Les premiers gestes datent de Jacques Chirac. Quand il fait reconnaître par son ambassadeur, en 1998, les massacres de Sétif (en 1945, ndr). Il ouvre alors un processus de reconnaissance que poursuit François Hollande en reconnaissant la répression de la manifestation d’octobre 1961 à Paris, aussi dans son discours sur la dureté du système colonial en 2012”, explique l’historien Patrick Garcia, spécialisé dans les questions de mémoire.

“Un seuil est franchi avec la reconnaissance de la torture à travers le cas emblématique de Maurice Audin. Emmanuel Macron est au plus près des travaux des historiens qui ont établi les choses depuis bien longtemps”, analyse-t-il pour l’AFP.

“Crimes de guerre”

Le ministre algérien des Moudjahidine (anciens combattants) a qualifié jeudi “d’avancée” et de “pas positif”, la reconnaissance par la France de sa responsabilité dans la mort sous la torture du militant communiste Maurice Audin pendant la guerre d’Algérie.

Les conséquences de cette reconnaissance, diversement accueillie en France, restent encore incertaines. “Pour la première fois, la République assume que, pendant la guerre d’Algérie, des militaires français, qui accomplissaient leur devoir, ont pu se rendre coupables de ce qu’il faut bien appeler des crimes de guerre”, analyse dans Le Monde l’historienne Raphaëlle Branche.

“On a toujours condamné la torture. Si elle a bien existé pendant la guerre d’Algérie, la grande majorité des militaires d’active et ceux du contingent ont servi loyalement dans une période douloureuse, très troublée et difficile à vivre, et mis en échec un putsch en avril 1961 qui aurait poussé le pays dans l’abîme”, a déclaré à l’AFP Serge Drouot, de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc, Tunisie (FNACA).

Ne pas instrumentaliser l’histoire

“Quel est l’intérêt pour le président de rouvrir des blessures, en évoquant le cas de Maurice Audin ? Il souhaite surfer sur la division des Français, au lieu de les réunir dans un projet”, a pour sa part dénoncé Marine Le Pen, dont le père Jean-Marie a qualifié sur la chaîne de télévision LCI l’action de M. Macron d'”incongruité”.

Le secrétaire national du Parti communiste français, Pierre Laurent, s’est quant à lui réjoui que “le mensonge d’Etat qui durait depuis 61 ans tombe”.

“Il ne faut jamais craindre la vérité, mais en même temps il ne faut pas instrumentaliser l’Histoire” a estimé le chef de file des sénateurs de droite Les Républicains, Bruno Retailleau, sur RTL, prévenant contre “la concurrence mémorielle qui brise souvent le tissu national”.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision