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Mon Repos réconcilie droits de l’homme et sanctions de l’ONU

Le Tribunal fédéral était appelé jeudi à se prononcer sur l'application des sanctions de l'ONU contre l'Irak en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme (archives). KEYSTONE/LAURENT GILLIERON sda-ats

(Keystone-ATS) Suite à un jugement de la Cour européenne des droits de l’homme, le Tribunal fédéral a annulé jeudi un arrêt datant de 2008. Il considère que l’application des sanctions de l’ONU contre l’Irak doit respecter le principe de l’interdiction de l’arbitraire.

L’affaire concerne un Irakien considéré par le Conseil de sécurité de l’ONU comme un haut fonctionnaire sous le régime de Saddam Hussein. A ce titre, il avait été inscrit sur les listes de personnes et de sociétés visées par les sanctions de l’ONU. Le Département fédéral de l’économie (DEFRI) avait engagé une procédure de confiscation des biens de sa firme.

L’homme s’était opposé à cette procédure et avait été débouté par le Tribunal fédéral en 2008. La Cour européenne des droits de l’homme a accepté son recours en 2016. Elle demandait aux autorités suisses de vérifier que l’inscription du recourant sur les listes de l’ONU n’était pas arbitraire avant de confisquer ses biens.

Réunie jeudi en audience publique, la 2e Cour de droit public du Tribunal fédéral a admis par trois voix contre deux la révision du jugement de 2008 et son annulation. Elle a décidé de renvoyer la cause au DEFRI afin qu’il statue sur l’inscription du recourant sur les listes de l’ONU et sur le gel de ses biens.

La majorité des juges a estimé que les sanctions de l’ONU n’excluaient pas l’application de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Ils ont plaidé en faveur d’une interprétation harmonieuse – et non pas conflictuelle – des ordres juridiques onusien et européen.

Défense des droits fondamentaux

“Tout l’édifice de l’ONU est fondé sur la défense des droits fondamentaux”, a rappelé un des magistrats. Et la CEDH a été adoptée dans le sillage des principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme. “On ne peut que saluer l’arrêt de la Cour européenne qui, loin d’opposer les deux ordres juridiques, s’est fondée sur les valeurs communes”, a-t-il ajouté.

Les deux magistrats minoritaires, au contraire, considéraient que le droit onusien devait primer sur la convention et qu’il n’y avait donc pas lieu d’annuler l’arrêt de 2008 et d’examiner le grief de l’arbitraire soulevé par Strasbourg. Selon eux, permettre aux Etats de vérifier l’application des sanctions reviendrait à les vider de leur substance.

Les deux juges ont aussi soulevé une contradiction dans l’arrêt de la Cour européenne. Cette dernière admet que le TF ne pouvait pas se prononcer sur le bien-fondé de l’inscription sur les listes de personnes sanctionnées tout estimant que les autorités auraient dû s’assurer de l’absence d’arbitraire de cette inscription.

Ils ont conclu que, plutôt que de condamner la Suisse dans un jugement “confus”, la cour aurait dû se pencher directement sur les sanctions onusiennes. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu, selon eux, de changer de jurisprudence et d’annuler l’arrêt “très fouillé” rendu par le TF en 2008.

La majorité a refusé de suivre ce raisonnement qui aboutirait, selon elle, à introduire une condition supplémentaire de cohérence pour appliquer les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme.

Documents sujets à caution

En fin d’audience, la 2e Cour de droit public s’est demandée si elle devait trancher elle-même la question de l’arbitraire ou renvoyer l’affaire au DEFRI. Sur ce point également, la même majorité de trois contre deux s’est dégagée.

Les magistrats majoritaires ont estimé qu’il n’entrait pas dans la mission du Tribunal fédéral d’instruire la question de l’inscription du recourant sur les listes de l’ONU. Ce d’autant plus que certains documents produits seraient sujets à caution et mériteraient d’être soumis à des experts. “Les éléments factuels disponibles ne permettent pas de faire un travail sérieux”, a souligné l’un d’eux.

Les deux juges minoritaires estimaient au contraire que le principe de célérité plaidait en faveur d’un examen immédiat de l’arbitraire par la cour. Ils ont été contrés par l’un de leurs collègues qui a rappelé que le recourant lui-même demandait un réexamen complet et un renvoi au DEFRI.

Au final, la révision de l’arrêt de 2008 (2A.785/2006) a été admise et ce dernier a été annulé. La cause a été renvoyée au Département fédéral de l’économie et les fonds du recourant demeurent gelés. (arrêt 2F_23/2016)

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