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Policiers zurichois en veston sous les jets de pierre en 68

Le 29 juin 1968, les policiers zurichois, surpris et relativement démunis, ont sorti une lance d'incendie pour tenter de disperser les manifestants du Globus (archives). KEYSTONE/STR sda-ats

(Keystone-ATS) Les émeutes de l’été 1968 à Zurich ont pris de court la police municipale. Surprise, elle a complété l’équipement de ses agents peu après: premières acquisitions, des lance-gaz lacrymogène et des boucliers.

L'”émeute du Globus” désigne l’affrontement violent opposant la police et de jeunes manifestants. Ceux-ci demandaient d’utiliser un entrepôt désaffecté des magasins Globus pour en faire un centre de jeunesse autonome. Les policiers se sont retrouvés sans protection sous une pluie de jets de pierres.

A l’époque, les policiers municipaux de Zurich portaient des chaussures de ville, un costume avec pantalon et veston, une chemise et cravate, un veston et un chapeau d’uniforme.

“Et ils étaient équipés du wienerli”, ajoute Fritz Hürzeler, ancien policier et conservateur du musée de la police municipale zurichoise, qui retrace l’histoire de l’instance à travers de nombreux objets exposés. Le “wienerli”, qui rappelle une saucisse de Vienne, était un gourdin en caoutchouc et ne comptait officiellement pas comme arme.

Il permettait à un policier d’imposer le respect. Mais contrairement à la matraque actuelle, l’engagement du “wienerli” ne devait pas être obligatoirement consigné.

Surpris par la violence

“Il y a toujours eu des manifestations à Zurich”, explique Fritz Hürzeler. Les protestations publiques étaient fréquentes dans cette ville politiquement active, avec un nombre élevé de travailleurs. “Mais elles étaient toujours pacifiques”, souligne-t-il. Jusqu’aux émeutes de 1968.

Les responsables de la ville et de la police avaient bien sûr à l’oeil les troubles de Paris et de Berlin. “On en était conscient, mais on pensait qu’en Suisse il n’y aurait pas de ramdam”, raconte Fritz Hürzeler.

Mais bientôt, les révoltes estudiantines ont également gagné Zurich et elles étaient bien plus qu’un simple “ramdam”. En chemise et munis du gourdin, les policiers n’ont guère pu parer les coups. “La police a été prise au dépourvu. Beaucoup d’agents ont été blessés”, raconte Fritz Hürzeler. Quand le calme est revenu, la police municipale a revu sa copie.

Pour faire face à des manifestations violentes, elle a mis sur pied une police anti-émeute. Les agents municipaux étaient tenus d’effectuer des engagements lors de manifestations. “Personne n’aimait faire cela”, se rappelle Fritz Hürzeler, qui, jeune homme, est entré en fonction en 1969.

Protection de hockeyeur

Le premier équipement de la police anti-émeutes est exposé au musée: un survêtement bleu, un casque, des bottes militaires. Ce qu’on ne voit pas, Fritz Hürzeler l’explique: sous leur combinaison, les policiers portaient une protection de hockeyeur pour se protéger contre les jets de pierres et de bouteilles.

Ils ont aussi été munis des premiers lance-gaz lacrymogène. “Il s’agissait de lance-flammes de l’armée transformés”, se souvient l’ancien policier Hürzeler. Les agents qui devaient manier l’engin lors de manifestations étaient à plaindre: le gaz irritant était porté dans un réservoir sur le dos, relié par un tuyau au lance-gaz. “Ce n’était jamais étanche” et les malheureux pleuraient pendant toute l’opération, malgré le masque de protection.

Si les lance-gaz lacrymogène était plus ou moins improvisés, les premiers boucliers étaient davantage élaborés. Tressés par les détenus du pénitencier zurichois de Pöschwies, une partie des boucliers étaient ensuite munis de petites caméras. Ce dispositif permettait de photographier les manifestants.

Psys de la police

Avec les années, cet équipement d’origine a été perfectionné: le lance-gaz a été remplacé par des fusils capables de tirer des pétards de gaz lacrymogène, des boucliers transparents sont devenus plus imposants. Après les émeutes de 1980, la police municipale a complété son arsenal de balles en caoutchouc.

L’équipement n’a pas été le seul élément qui a été modifié après les émeutes. Après elles, deux fonctionnaires de police ont suivi une formation spéciale, devenant les premiers psychologues de la police de Suisse. La municipalité a aussi cherché le dialogue avec les étudiants. “On leur a proposé un local de rencontre pour la jeunesse”, raconte Fritz Hürzeler.

Ironie du sort, ce local était l’abri anti-aérien situé à côté du principal poste de police de la ville, le poste Urania, et dans lequel se trouve aujourd’hui le musée de la police. La construction sur quatre étages date de 1941. Les jeunes l’ont investi en octobre 1970, le transformant en un plus grand centre autonome de jeunes en Europe, la “République autonome Bunker”.

Cheveux longs et haschisch

Une photo au mur témoigne toujours de cette époque. On y voit des jeunes aux cheveux longs et portant des habits colorés, contrôlés par des policiers en gris. “Moi aussi j’ai parfois veillé au grain ici”, se souvient l’ancien fonctionnaire de police. Certains jeunes n’ont jamais quitté le bunker. “Nous sentions bien qu’on y fumait du haschisch”, ajoute-t-il.

La “République autonome Bunker” a survécu 68 jours. “Il s’agissait en quelque sorte d’une zone de non-droit”, explique Fritz Hürzeler. Après une razzia, des jeunes ont occupé le bunker, la police l’a encerclé et le centre a été fermé.

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