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Tout le monde s’extasie sur Julien Wanders

(Keystone-ATS) “La plus grande performance suisse de toute l’histoire, tous sports d’endurance confondus!”

C’est ainsi que Louis Heyer, entraîneur national du fond, qualifie le temps réalisé par Julien Wanders vendredi passé à Ras El-Khaïmah, record d’Europe du semi-marathon à la clef (59’13).

Louis Heyer n’est pas le seul à s’extasier et le dithyrambe s’est rapidement imposé dans le milieu de l’athlétisme suisse. “Je suis tout à fait d’accord”, acquiesce par exemple Jean-Louis Bottani, le “père” de la Course de l’Escalade qui a vu débarquer dans son club le tout jeune Wanders alors âgé de 11 ans.

Ce temps, “stupéfiant, insensé, extraordinaire, inimaginable pour un Blanc, presque déraisonnable” (Bottani), a ouvert les portes des annales à Wanders. Lequel n’est que le cinquième Européen à être descendu sous l’heure et tout simplement le meilleur non-Africain de tous les temps.

Sauf que ces 59’13 ne constituent “que” le 38e temps mondial de l’histoire et qu’ils n’ont même pas permis au Genevois de gagner la course (4e)… Ce semi-marathon émirati constitue-t-il alors vraiment la plus grande performance de l’athlétisme suisse? Plus par exemple que la sixième place de Viktor Röthlin sur le marathon olympique 2008?

“Oui, et de toute façon, les deux choses ne sont pas semblables, estime Louis Heyer. Il faut distinguer les championnats, dans lesquels seules les médailles comptent, et le temps, qui touche à la performance absolue.” Jean-Louis Bottani nuance de la même manière. “En tant qu’ancien athlète, je trouve important de se considérer soi-même en valeur absolue. Le chrono ne trompe pas et là, Julien a atteint un niveau stratosphérique. N’oublions pas non plus que dans les championnats, il y a moins d’athlètes par pays, donc moins de Kényans ou d’Ethiopiens au départ.”

Réducteur

Cinéaste, auteur, historien du sport, entraîneur et ancien coureur, Pierre Morath n’est pas aussi tranché que Louis Heyer et Jean-Louis Bottani quant à la valeur pure de ce record d’Europe. “C’est une vraie question et il est extrêmement difficile de situer ce que vaut cette performance. Le temps de Julien est exceptionnel: jamais un Suisse n’avait encore battu un record d’Europe en élite et le semi-marathon, bien que non olympique, est disputé par les meilleurs coureurs de fond au monde. Mais ce qui reste réellement, ce sont les médailles dans les championnats. Donc c’est la piste, où Julien a encore tout à prouver, et le marathon, où il est encore très loin.”

Pierre Morath trouve également “un peu réducteur” d’installer le Genevois au sommet de l’histoire nationale de son sport, rappelant les médailles d’argent de Paul Martin (800 m) et Willy Schärer (1500 m) aux JO de 1924, les trois titre mondiaux de Werner Günthör au poids (1987, 1991, 1993), celui d’André Bucher (800 m) en 2001 ou encore la victoire de Franziska Rochat-Moser au marathon de New York (1997).

“Ce record est extrêmement symbolique, comme lorsque le Français Christophe Lemaitre est devenu le premier sprinter blanc sous les dix secondes aux 100 m. Il vaut beaucoup par rapport à notre univers suisse, mais à l’échelle mondiale, ce n’est pas encore grand-chose. En revanche, ce qui est important, ce sont les promesses que ce temps induit”, affirme Pierre Morath.

Eprouvant “admiration et respect” pour ce que Wanders a réalisé, Morath veut en effet voir dans cette irruption au plus haut niveau un message pour tous les coureurs. “Il y avait beaucoup de sceptiques au sujet de l’approche et des choix de vie de Wanders. Mais je crois que son parcours démontre qu’il est illusoire de suivre aveuglément les autres et qu’il faut écouter sa flamme intérieure.”

“A peine une hutte”

Une flamme qui a soufflé à Julien Wanders l’inspiration d’aller s’installer à la dure au Kenya pour y apprendre aux côtés des meilleurs. “Ce gamin s’est donné les moyens de réussir, insiste Jean-Louis Bottani. Son ambition est sans limites et sa volonté sans faille. Il en faut pour accepter de s’imposer toutes ces privations. Alors qu’il a grandi dans le confort de l’Occident, alors qu’il aurait désormais les moyens de vivre mieux qu’actuellement, Julien partage avec sa compagne ce qui ressemble à peine à une hutte. Je ne connais aucun Européen qui ait tenu plus d’une voire deux saisons.”

“Julien a toujours eu la foi en lui et en son projet qui n’entre pas dans un moule, témoigne Louis Heyer. Sa chance a été de trouver en Marco Jäger un entraîneur aussi fou que lui. A la Fédération, il a fallu garder confiance face à ceux qui n’y croyaient pas, quand les résultats ne suivaient pas et que des voix s’élevaient. Mais cela valait la peine”, se réjouit l’entraîneur national, précisant que le Genevois est encore au bénéfice – mais plus pour longtemps – des 15 000 francs par année alloués par le programme “World Class Potentials”.

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