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Grand-Saint-Bernard: un hospice en quête de renouveau

L'hospice du Grand-Saint-Bernard, un des lieux de passage symbolique des Alpes. Andrea Alborno

L’hospice qui a vu défiler Napoléon et dont les chiens ont sauvé tant de voyageurs a besoin de plusieurs millions pour assurer son avenir. Ses murs millénaires accueillent toujours des milliers de personnes, de passage ou en quête de spiritualité. 

Pour les vacanciers en direction du sud, le Grand-Saint-Bernard est peut-être d’abord un tunnel, long de 5,8 kilomètres, entre le Valais suisse et le val d’Aoste italien. 

Entre froid et bandits

Bernard de Menthon (vers 1020 – 1081 ou 1086), archidiacre d’Aoste, voit régulièrement arriver les voyageurs épuisés en provenance du col du Mont-Joux, une des portes de passage nord-sud à travers les Alpes, culminant à 2472 mètres. Ces voyageurs ont été victimes des conditions météorologiques ou des agressions de bandits. Le col passe pour une des routes les plus dangereuses d’Europe. C’est pourquoi le futur Saint-Bernard fait construire un refuge, inauguré vers 1045 ou 1050. La communauté religieuse et son principe d’hospitalité voient le jour. Le nom de Saint-Bernard s’est imposé au col dès le 13e ou 14e siècle. Saint-Bernard fait aussi construire un hospice au col de Colonne-Joux, reliant la vallée d’Aoste à l’Isère (F), qui deviendra le Petit-Saint-Bernard.

Fondé en 1801 par Bonaparte, l’hospice du Simplon, le plus grand des Alpes, appartient aussi à la congrégation bernardine. En 1931, cette dernière décide de participer à la construction d’un hospice au col du Latza, (3800 mètres d’altitude), au Tibet. Il y eut quatre équipes de chanoines, jusqu’en 1947. Mais en 1949, un chanoine et un compagnon de voyage sont assassinés au Tibet. Après l’arrivée des communistes au pouvoir, les missionnaires sont expulsés en 1951. Les chanoines du Grand-Saint-Bernard fondent une mission à Formose, qui deviendra Taïwan, et qui est toujours en activité.

Mais ceux, moins pressés, qui choisissent d’emprunter la route tournoyante menant au col, connaissent non seulement les fameux chiens Saint-Bernard qui veillent sur l’endroit mais aussi l’atmosphère unique des lieux.

Lunaire, sauvage, désertique et, très souvent, couvert de neige: à près de 2500 mètres d’altitude, le col du Grand-Saint-Bernard, avec ses quelques bâtiments et son petit lac, ne laisse pas indifférent. Autrefois nommé col du Mont-Joux, le passage était en outre l’un des plus dangereux des Alpes.

Il y a bientôt un millénaire (voir ci-contre), Bernard de Menthon, archidiacre d’Aoste, y fait ériger un abri pour les voyageurs et les pèlerins affrontant les bandits et le froid. La réputation de l’endroit et sa tradition d’accueil se propagent très vite dans toute l’Europe.

Au fil des siècles, le col a vu passer d’innombrables hôtes prestigieux – ou spectaculaires: le 20 mai 1800, Napoléon Bonaparte l’a ainsi fait gravir à 40’000 soldats, 5000 chevaux, 50 canons et 8 obusiers.

Si la vocation d’accueil ne change pas, l’hospice doit pourtant se renouveler. Comment attirer de nouveaux visiteurs dans un lieu plutôt frisquet (le record est de 21,8 degrés…) ouvert au trafic à peine cinq mois par année? C’est pourtant le pari d’Annick et Stéphane Boisseaux-Monod, qui viennent de reprendre, avec leur fils d’une année, l’hôtel-restaurant de l’hospiceLien externe, désormais rebaptisé «auberge».

Un même esprit

Avec les chanoines, ils entendent revivifier les lieux bientôt millénaires, en leur insufflant justement un peu de cette chaleur manquant à l’extérieur. «Nous voulons créer quelque chose de plus hospitalier que le paysage, explique Annick Boisseaux-Monod. Mais cela ne peut fonctionner que si nous avons le même esprit qu’en face.»

«En face», c’est l’hospiceLien externe avec une église baroque, une crypte, une exposition et les lieux de vie des chanoines et de leurs hôtes, pèlerins ou non. Séparés par quelques mètres seulement, l’hospice et l’auberge sont situés de chaque côté de la route. Cette même route que l’on voit, sur des photographies d’archive, emprisonnée entre des murs de neige déblayée par des chanoines hilares.

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En 1925, l’hôtel avait été confié à des gérants extérieurs pour accueillir les hôtes payants, tandis que l’hospice continuait à offrir gratuitement gîte et couvert aux randonneurs et aux pèlerins.

Solidarité menacée

Dès 1893, la nouvelle route amenait en effet au col des milliers de nouveaux visiteurs, que certains voyagistes n’hésitaient pas à envoyer chez les chanoines, sachant que l’accueil y était gratuit. La tradition d’accueil menaçait de s’écrouler.

Au fil du 20e siècle, la distinction traditionnelle – les personnes arrivées en voiture logeant à l’hôtel, les autres à l’hospice – est devenue artificielle et les deux voisins ont eu de moins en moins de choses à se dire. Symbole de cet éloignement: la passerelle reliant les deux bâtiments est bouchée, car transformée en débarras.

«Nous la rouvrirons, assure Annick Boisseaux-Monod. Nous voulons qu’elle redevienne un trait d’union». Avec des baies vitrées, la passerelle ouvrira aussi la vue sur les deux côtés du col. Un autre symbole de ce lieu qui fait fi des frontières, entre deux pays d’abord, mais aussi entre l’église et le monde extérieur.

La congrégation aujourd’hui

La Congrégation du Grand-Saint-Bernard compte aujourd’hui 45 prêtres, frères et laïcs. Cinq chanoines et une sœur oblate vivent toute l’année à l’hospice du Saint-Bernard, six autres à l’hospice du Simplon.

Les chanoines du Grand-Saint-Bernard sont épaulés par une dizaine d’employés et de bénévoles.

Le col est accessible par la route de juin à mi-octobre.L’hospice offre la nuitée à quelque 11’000 personnes et le couvert à 20’000 personnes par année. 

Près de 5 millions à trouver

Le «lifting» des lieux a d’abord été dicté par l’urgence. «Les conduites d’eau étaient tellement rouillées qu’elles ne laissaient plus passer qu’un mince filet d’eau, explique le chanoine José Mittaz, prieur de l’hospice. Toute l’installation électrique doit aussi être refaite.»

La liste des travaux comprend également une nouvelle présentation des objets du «trésor» (de culte, mais aussi œuvres d’art et ouvrages précieux), la rénovation de l’auberge, la réaffectation des anciennes écuries en Maison du terroir, le ravalement des façades et le remplacement des 120 fenêtres, qui sont toutes des pièces uniques.

Problème: des travaux de toute façon coûteux le sont encore plus en montagne. La petite congrégation n’a pas les 4,7 millions de francs nécessaires. Un comité de patronage est institué pour la recherche de fonds.

Il réunit à peu près tout ce que la Suisse romande compte comme personnalités, de l’aéronaute Bertrand Piccard au guide de montagne Jean Troillet en passant par l’ancien ministre Pascal Couchepin.

Attachement de toute une région

Christophe Darbellay, camarade d’école du prieur et parlementaire fédéral démocrate-chrétien, préside le comité de patronage. Comme de nombreux Valaisans, son lien avec le Grand-Saint-Bernard est fort.

«Ma grand-mère paternelle y a travaillé en tant que bonne durant la première guerre mondiale, explique le politicien. Le col est un endroit très fort, très spécial. J’y suis beaucoup allé, adolescent, pour faire de la montagne et de la peau de phoque avec mes cousins.»

Des chanoines à la station-service du Grand-Saint-Bernard, en 1953. RDB

Entretemps, les dons ont commencé à affluer. Le Trésor renouvelé a déjà été inauguré. «L’accueil suscité par notre campagne est encourageant, note José Mittaz. Nous avons conscience de ne pas devoir compter que sur nous. L’hospice appartient à tout le monde, depuis bientôt mille ans.» Christophe Darbellay rappelle que «l’hospice a toujours dépendu de la générosité des gens. Chaque année, les habitants de la vallée donnaient un sac de sel.»

Annick Boisseaux-Monod en est convaincue: «Le Grand-Saint-Bernard peut répondre à de nouveaux besoins, que ce soit de silence, de recul ou de spiritualité au sens large. Les nouveaux aménagements n’ont plus aucune connotation religieuse.»

Cette «philosophie de l’accueil» est également prioritaire pour le prieur José Mittaz. «Nous ne demandons pas aux arrivants de quelle confession ils sont, mais leur disons de venir se mettre à l’abri. Nous favorisons le passage. Or un touriste est quelqu’un qui a besoin d’ailleurs pour revenir fortifié.»

La Congrégation du Grand-Saint-Bernard compte aujourd’hui 45 prêtres. Andrea Alborno

«Où sont les chiens?»

Bientôt millénaire, l’hospice a déjà dû se réinventer plus d’une fois, que ce soit avec l’ouverture de la route en 1893 ou celle du tunnel en 1964. Même les célèbres chiens, qui ont trouvé plus d’un voyageur frigorifié dans la neige lors des tournées matinales des chanoines, ont changé.

Depuis 2005, l’élevage est propriété de la Fondation BarryLien externe, du nom du plus célèbre des Saint-Bernard, Barry I (1800-1814). «Leur attractivité est incontestée et incontestable, confirme José Mittaz. ‘Où sont les chiens?’ est souvent la première chose que les gens demandent en arrivant. Ils sont le réceptacle de nos propres sentiments et nous emmènent bien plus loin que nous-mêmes…»

Jean-François Chételat, un retraité jurassien effectuant un séjour de deux semaines en tant que bénévole à l’hospice, ne dira pas le contraire. «Je vais marcher avec deux ou trois chiens tous les matins. Si je pouvais, je resterais tout le temps ici!»

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