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Quand les papiers découpés renouvellent le folklore

Libération des femmes, par Catherine Winkler Rayroud Catherine Winkler Rayroud

A Zurich, le Musée national suisse présente un florilège de papiers découpés, un art qui, en Suisse, est venu du Paysd’Enhaut et de l’Oberland bernois. Traditionnelle par excellence, la découpe de papier se frotte au monde moderne.

L’art du papier découpé a connu de nombreuses formes en Suisse depuis le 17e siècle. Des images pieuses aux silhouettes en vogue parmi les élites au 19e siècle. Mais c’est Johann Jakob HauswirthLien externe (1809-1871) qui est considéré comme le père de la découpe de papier traditionnelle en Suisse.

Ouvrier dans l’Oberland bernois, Hauswirth a réussi à produire des scènes alpines d’une exquise délicatesse, obtenant souvent des ciseaux et du papier des paysans qui l’accueillaient.

Actuellement – après une perte de popularité ces dernières décennies – on trouve autour de 200 à 300 artistes de la découpe de papier en Suisse, dont une centaine exposent régulièrement. Les thèmes alpins sont toujours populaires. Mais de nombreux artistes tentent de repousser les limites du genre.

C’est le cas d’Ernst OppligerLien externe, 65 ans, l’un des plus fameux en Suisse. Il est l’auteur de Torso (voir la galerie), une des œuvres phares de l’expositionLien externe qui se tient actuellement au Musée national suisse à Zurich et qui montre des papiers découpés contemporains inspirés de thèmes traditionnels.

«Pour devenir un artiste du papier découpé, une tradition issue de l’Oberland bernois, je suis monté à l’alpage pour y travailler», raconte Oppliger à swissinfo.ch.

«Quarante ans plus tard, j’ai visité cet alpage et pris une photo étrange de neige fondue, avec ses zigzags. C’était à la base pour rendre hommage à Hauswirth. J’ai aussi comparé mon vieux corps malade à celui que j’avais quand je travaillais à l’alpage.»

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Papiers découpés, une tradition vivante

Ce contenu a été publié sur Les créations contemporaines côtoient les papiers découpés historiques réalisés entre le XVIIIe et le XXe siècle, illustrant ainsi l’évolution de l’art du découpage sur papier. On peut y admirer, entre autres, les ouvrages de Johann Jakob Hauswirth, le père du découpage sur papier en Suisse, ou encore de Louis David Saugy.

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Touche personnelle

Une petite foule l’entoure, fascinée de le voir à l’œuvre au musée. Il fait de petites coupures dans un morceau de papier de soie plié en quatre. Comme beaucoup de découpeurs modernes, Oppliger utilise un cutter, en plus des ciseaux. Aujourd’hui, il travaille sur le thème d’une ammonite.

«Je montre des fossiles, ou des choses que je voudrais fossiliser», dit-il pour expliquer la présence d’un véhicule tout-terrain dans sa pièce.

Tout l’art du papier découpé actuel est d’y mettre une touche de soi-même, assure Felicitas Oehler, présidente de l’Association suisse du papier découpé qui compte environ 500 membres, y compris les musées et les collectionneurs.

«Cette touche personnelle est d’autant plus importante que les sujets représentant des processions de vaches alpines sont toujours les mêmes. Donc parfois, vous voyez un hélicoptère transportant une vache malade ou des tracteurs. Chaque personne a sa propre façon de faire des vaches, des arbres. Et les experts peuvent dire qui a fait quelle image», explique la directrice.

Parfois, les œuvres exposées à Zurich révèlent un côté humoristique, comme celle qui a pour cadre une discothèque, avec des personnages qui dansent plus ou moins ivres.

Et aux États-Unis

Catherine Winkler RayroudLien externe, une découpeuse basée au Texas, s’inspire de la Suisse, originaire qu’elle est de Château-d’Oex, capitale du Pays-d’Enhaut, l’autre berceau helvétique du papier découpé. Ses œuvres reflètent néanmoins une influence américaine avec des chevaux plutôt que des vaches, des derricks plutôt que des chalets.

Ses pièces abordent des questions modernes, comme cette découpe en forme de soutien-gorge représentant la lutte des femmes entre leurs aspirations et leur rôle de soignantes. Ces œuvres ont remporté de nombreux prix, comme elle l’explique au téléphone depuis Houston. Elle a récemment rassemblé ses œuvres dans un livre à paraître cet été sur la signification d’être une femme.

«Je découpe pour exprimer des sentiments et des émotions profondes. La plupart de mes œuvres ont un sens ou un message caché», déclare l’artiste.

Winkler utilise encore de minuscules ciseaux à ongles incurvés qu’elle achète au supermarché quand elle passe en Suisse. Selon elle, la scène du papier découpé est particulièrement dynamique aux États-Unis, elle qui inclut d’autres traditions de coupe de papier, asiatique (son origine), juive, polonaise, sans oublier le Papel PicadoLien externe mexicain (où l’on utilise souvent un marteau et un burin).

Art vs artisanat

Mais il y a une différence majeure entre la Suisse et les Etats-Unis: «Ici, le découpage de papier est considéré comme de l’art contemporain, du jamais vu en Suisse ou presque.»

Felicitas Oehler estime difficile de classer les genres du papier découpé de nos jours. Hauswirth produit sans aucun doute un art populaire: «Ce sont des images fantastiques mais pas comme aujourd’hui. Hauswirth crée avec son cœur, pas avec sa tête. Aujourd’hui, tout est beaucoup plus parfait, et, d’un point de vue scientifique, ce n’est pas de l’art populaire.»

Elle estime que le public et certains découpeurs de papier considèrent encore cette pratique comme un artisanat. D’autres y voient de l’art contemporain. Oppliger, par exemple, dit que chacun devrait être libre de définir son propre art.

Quoi qu’il en soit, les papiers découpés font l’objet de collections et certains des plus grands collectionneurs sont des étrangers résidant en Suisse. Beaucoup de grandes œuvres partent pour 1000 francs

Mais un Hauswirth d’origine peut atteindre les 60’000 francs dans une vente aux enchères.

Torso, par Ernst Oppliger 2014, ProLitteris, Zurich.

Difficile d’en vivre

Le Torso d’Oppliger est le plus précieux de l’exposition (9300 francs). C’est un des rares à avoir réussi à vivre de son art. Nombre de découpeurs, dont beaucoup de femmes, exercent à temps partiel.

C’est le cas de Pia OdermattLien externe, qui a commencé il y a 15 ans. L’enseignante stagiaire à l’école primaire est fière d’avoir une première œuvre, Chamois, dans une grande exposition. Elle a déjà été vendue.

«L’exposition, c’est bon pour les affaires. Mais dans l’ensemble, c’est trop peu pour en vivre. J’aurais à investir trop de temps. C’est une source de revenus instable», témoigne-t-elle.

Odermatt peut passer jusqu’à 100 heures pour une pièce, Oppliger un mois. Il dit que dans une société où le temps est un luxe, la découpe de papier peut être une pratique attractive.

Un peu d’histoire

Les papiers découpés sont originaires d’Asie, il y a plus de 2000 ans. Ils se propagent dans toute l’Europe centrale au 17e siècle.

En Suisse, les premiers exemplaires sont des images pieuses ou des représentations héraldiques.

Dans la seconde moitié du 18e siècle, les silhouettes sont devenues à la mode dans les villes, auprès de la bourgeoisie.

Les premiers découpeurs suisses dont on connaît le nom, originaires de la campagne, vivaient au 19e siècle entre le Saanenland et le Pays-d’Enhaut. Les plus connus sont Johann Jakob HauswirthLien externe (1809–71) et Louis SaugyLien externe (1871–1953).

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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