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Comment parler de l’holocauste aux jeunes

Le camp d extermination d Auschwitz en janvier 1945, juste après sa libération par l armée soviétique.
Le camp d'extermination d'Auschwitz en janvier 1945, juste après sa libération par l'armée soviétique. Keystone

Présidée par la Suisse, l’assemblée plénière de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) s’est réunie cette semaine à Genève. Les 200 participants ont planché sur la recherche, la formation et l’éducation des jeunes. Un travail mené depuis des années en Suisse romande par la CICAD. Retour d’expérience avec son secrétaire général, Johanne Gurfinkiel.

La présidence suisse de l’IHRALien externe, de mars 2017 à mars 2018, a fait de la formation, de la jeunesse et des médias sociaux sa priorité. Elle pose la question de comment raconter l’Holocauste aux jeunes, question d’autant plus urgente que les témoins de la Shoah sont de moins en moins nombreux.

Une problématique bien connue de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICADLien externe), comme l’explique Johanne Gurfinkiel.

swissinfo.ch: Comment évaluez-vous l’apport de l’IHRA?

Johanne Gurfinkiel: Cette organisation a donné une dynamique nouvelle et nécessaire. Avec l’âge avancé des témoins directs et leur disparition, la question s’est en effet posée de savoir comment continuer à travailler sur l’entretien de cette mémoire qui est importante et essentielle pour de multiples raisons. Elle a aussi permis une remise en question et une prise de conscience dans les pays membres ou candidats face à leur implication dans cette industrialisation de la mort par l’Allemagne nazie.

L’IHRA en bref

Créée en 1998, l’IHRALien externe est une organisation intergouvernementale qui compte 31 États membresLien externe et 11 Etats observateursLien externe. Elle a pour but de promouvoir, en priorité dans ses États membres, la recherche historique et l’éducation sur l’holocauste, ainsi que de perpétuer la mémoire de ses victimes par des commémorations et des monuments.

Les Nations Unies, le Conseil de l’Europe, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE et l’UNESCO figurent parmi les partenaires institutionnels de l’IHRA.

Depuis l’admission de la SuisseLien externe au sein de l’IHRA en 2004, le ministère suisse des affaires étrangères (DFAE) réunit les principaux acteurs fédéraux, cantonaux et non gouvernementaux dans un groupe de suivi.  Ce groupe a été associé aux efforts visant à façonner et à profiler la présidence suisse de l’IHRA.

Source: DFAE

Certains parlent de double standards en pointant la place particulière qui serait accordée à la Shoah. Il ne s’agit pas de dire qu’un génocide est plus important qu’un autre. Mais oui, la Shoah a une place particulière dans l’histoire européenne. C’est même un événement fondateur. Rappelons que le procès de Nuremberg est un élément clé dans toute la conception juridique internationale d’aujourd’hui, qui s’est notamment matérialisée avec la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux.

Pour les plus jeunes, cela permet de pouvoir conceptualiser ce qu’a été un crime de masse sur notre territoire. Qu’ils aient été des acteurs ou des spectateurs passifs, tout le monde était impliqué dans cette épisode.

Quelles sont vos actions de sensibilisation auprès des jeunes?

A la demande des écoles, nous avons considérablement étoffé nos programmes attachés à l’histoire et la mémoire qui sont abordés sous des angles différents comme la discrimination, le préjugé, le racisme, l’antisémitisme et l’histoire.

Nous publions également des ouvrages, comme celui sur les Justes de Suisse, soit toutes ces personnes qui ont pu porter secours à des juifs pendant la guerre au péril de leur vie. Nous comptons en faire une 2e édition avec une quinzaine supplémentaire de ces Justes identifiés depuis la sortie du livre.

Surtout, depuis une quinzaine d’années, nous organisons une fois l’an une journée d’étude au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Elle a d’abord été ouverte aux enseignants, puis aux élèves de 16 ans ou plus. Il faut avoir la maturité nécessaire pour encaisser le choc d’une telle confrontation. Mais ce voyage peut devenir une expérience et une leçon de vie et de civisme, pas seulement une étude d’une page d’histoire.

Pour ce faire, nous avons élaboré avec des enseignants et des pédagogues une préparation au voyage. Elle se fait par une rencontre avec un rescapé et de la documentation écrite et vidéo que nous avons édité ou produit.

Le voyage lui-même se fait avec un accompagnement particulier par des guides et des historiens. Au-delà de l’émotion, il s’agit de comprendre l’ensemble du processus d’extermination – cette industrialisation de la mort – mis en place par le IIIe Reich.

Et au retour de la visite, nous menons un débriefing avec les élèves et les enseignants. Puis dans la plupart des cas, les élèves travaillent, le plus souvent en groupe, sur le sujet sous diverses formes. Par exemple à l’Ecole internationale de Genève, un enseignant d’artLien externe a, sur la base du volontariat, impliqué les élèves à réaliser des travaux sous une forme plus artistique, une autre manière de transmettre la mémoire.

Faites-vous face à des réticences à aborder ce thème?

Oui. Parfois, certains enseignants sont bloqués par des élèves qui mêlent à cette question historique des problématiques qui n’ont rien à voir, comme le conflit israélo-palestinien. D’autres lancent des remarques antisémites ou négationnistes sur la base d’avis trouvés via internet.

Il faut donc pouvoir travailler avec les enseignants pour décortiquer, analyser et trouver des solutions pour sortir de ce type de blocage. C’est un autre programme que nous proposons, dont l’idée est d’apporter un service d’accompagnement, de contenu et de connaissance pour les enseignants. Et ce en collaboration avec les départements cantonaux d’enseignement public dans le cadre de la formation continue. Il s’agit aussi d’aider les enseignants, qui n’ont pas toujours une connaissance approfondie de cette période de l’histoire

L’autre réticence que nous avons constatée surgit lorsque nous abordons une question fondamentale à nos yeux: la Suisse et la Seconde Guerre mondiale. Ce sujet reste encore extrêmement douloureux pour certains partenaires qui préféreraient que nous n’abordions pas ce sujet. Ce qui est inconcevable pour nous.

Nous tenons à ce que les enseignants et les élèves bénéficient de toutes les informations et les recherches menée à ce sujet. Car la Suisse n’a pas fait tout juste à l’époque. Ce qui n’est pas grave, j’ai envie de dire, parce qu’il faut pouvoir tourner la page des erreurs commises. Mais pour le faire, il faut pouvoir se confronter aux réalités de l’époque, bonnes ou mauvaises. Ce qui continue de poser problème parce que certains estiment qu’on touche ainsi à l’intégrité même de la Suisse.

Cette défiance diminue avec les années. Il ne s’agit plus d’un mouvement comme par le passé. Mais subsistent toujours des poches de résistance acharnées à l’idée que l’on puisse écorner l’image de la Suisse. Mais il n’est pas acceptable qu’en 2017 ce sujet puisse encore causer des réactions violentes. Il faut pouvoir aborder cette question de manière frontale.

Car c’est finalement une profonde marque de faiblesse de sa propre identité que de ne pas vouloir se confronter à cette réalité. 

Ces réactions tendent donc à diminuer?

Oui. Mais vous avez toujours des gens, des partis qui, à ce propos, dénoncent une version gauchisante de l’histoire. Ce qui est proprement surréaliste.

Cela dit, nous constatons un énorme intérêt chez les élèves et les enseignants pour nos programmes, comme le voyage à Auschwitz. C’est en particulier le cas dans les écoles privées. Car ce programme nécessite un budget important, qui n’est pas toujours à la portée des écoles publiques. Car la Confédération n’intervient aucunement dans le financement de ces voyages. 

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