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Traverser les Alpes, un défi (pré)historique

Rossana Cardani Vergani devant une vitrine de l'exposition du Castelgrande. Keystone

L'histoire de la traversée des Alpes est le thème d'une exposition archéologique itinérante à voir jusqu'au 26 février, au Castelgrande de Bellinzone.

Elle témoigne des échanges commerciaux et culturels entre les populations du nord et du sud de l’Europe, du Mésolithique à la fin de l’Antiquité.

«Et soudain les Alpes furent devant eux. Rien d’étonnant à ce que ces montagnes leur aient paru infranchissables, puisque personne encore ne les avait traversées, comme nous l’a démontré l’histoire. La hauteur des cimes les enserrait comme dans une tenaille et ils ne parvenaient pas à décider par quelle voie, au travers de ces chaînes qui touchaient les cieux, ils allaient passer de l’autre côté du monde… »

C’est en ces termes que l’historien latin Titus Livius décrit, au début du 1er siècle après J.-C., la situation que les hordes celtes découvrirent au moment du passage des Alpes, à la fin du 5ème siècle avant J.-C.

Cette description resta valable jusqu’au 18ème siècle, lorsque la recherche archéologique effectuée le long des voies de l’arc alpin en modifia radicalement la portée.

En effet, on constata dans la foulée que, dès le Mésolithique, des tribus nomades s’étaient aventurées les Alpes centrales. C’est donc dès le neuvième millénaire avant Jésus-Christ que des hommes traversèrent occasionnellement les Alpes, à la faveur de leurs périples en quête de nourriture.

Echanges commerciaux et rapports entre populations

A partir du Néolithique, soit vers la fin du cinquième millénaire av. J-C., des liens plus étroits se tissèrent entre les populations du nord et du sud de l’Europe. Ce fut le début des échanges de marchandises, de l’exploitation des gisements de cuivre et du développement des voies de communication.

Le long des axes alpins, le commerce du sel provenant des régions de Hallstatt et Hallein (actuelle Allemagne) s’intensifia durant l’Age du Fer et les rapports se consolidèrent entre les Celtes et les Etrusques. Le développement de la culture celtique au nord des Alpes en fut définitivement influencé.

Puis la région préalpine septentrionale fut occupée par les Romains, et ses habitants annexés à l’Empire. De vraies routes furent construites le long des cols. Un tel réseau n’a d’ailleurs pas eu d’égal jusqu’au 19ème siècle.

La chute de l’empire romain, au début du 5ème siècle apr. J-C., marqua la fin des communications à travers les Alpes. Mais n’eut que peu de conséquences sur les infrastructures qui restèrent à peu près intactes.

La route romaine de la Tremola, encore praticable

En fait, durant le Moyen-âge, puis à l’âge moderne, commerçants et aristocrates utilisèrent les routes romaines pour franchir les Alpes. Le long de l’axe du Gothard, la vieille route pavée de la Tremola, encore praticable aujourd’hui sur le versant tessinois, en est un exemple éclatant.

L’histoire de ce défi plus que millénaire a été reconstituée par la communauté ArgeAlp en collaboration avec le Musée archéologique du Baden-Württemberg à Constance (Allemagne) et le département tessinois du territoire.

Intitulée «A travers les Alpes – Hommes, voies et échanges dans l’Antiquité», l’exposition qui l’illustre présente environ 400 objets de grande valeur retrouvés tout le long de l’arc alpin, ainsi qu’une série de documents et de photos.

Collections permanentes

«Axe stratégique par excellence entre le nord et le sud du continent européen, Bellinzone fait fièrement partie de cette aire géographique dont la valeur culturelle et sociale est indéniable. C’est un lieu idéal pour accueillir l’expo» se réjouit Marco Molinari, représentant du canton du Tessin auprès de la communauté ArgeAlp.

«Le matériel exposé provient de fouilles effectuées dans les dix régions de l’arc alpin, Tessin compris» explique de son côté l’archéologue Rossana Cardani Vergani de l’Office tessinois des biens culturels. «Il nous a été prêté par différents musées suisses et européens dont il constitue les collections permanentes.»

L’exposition est divisée en trois sections. D’abord les parcours, routes et voies d’eau. Ensuite, les ressources et les échanges commerciaux. Enfin, les façons de voyager.

En vrac, vases et amphores – en bronze ou en céramique, poteries, casseroles en cuivre, ustensiles quotidiens, bracelets, colliers, ceintures et autres bijoux d’ambre et de verre, sandales et bottines de fourrure, armes en silex et pierre ollaire, épées et poignards sont autant d’objets authentiques. Ils témoignent de la richesse des découvertes faites au travers des Alpes.

Patrimoine trop peu connu

En revanche, les bas-reliefs de pierre ou de marbre, les autels, les bornes signalétiques, les plaques ornementales ou les restes de tombes sont des copies. «Les musées ne veulent pas prendre le risque de prêter les originaux pour une exposition itinérante, précise Rossana Cardani Vergani.

L’archéologue souligne, elle aussi, l’importance de l’étape de Bellinzone: «Cette exposition s’inscrit parfaitement dans le circuit des trois châteaux médiévaux, patrimoine de l’humanité. Elle complète à merveille les expos permanentes installées dans deux d’entre eux, à Castelgrande et Montebello. Elle valorise, aux yeux des Tessinois, un patrimoine archéologique relativement méconnu.»

Rossana Cardani Vergani rappelle que la voie du col du Lukmanier qui relie le Tessin aux Grisons est l’une des plus antiques le long de l’accès nord-sud des Alpes. «Plusieurs pièces de valeur y ont été retrouvées. Elles attestent l’intensité des échanges qui s’effectuaient le long de ce tracé d’une grande richesse archéologique. Exception faite des inévitables changements dus à la modernité, il est resté pratiquement intact.»

Swissinfo, Gemma d’Urso, Bellinzone

L’exposition «A travers les Alpes – Hommes, voies et échanges dans l’Antiquité» est à voir jusqu’au 26 février 2006 au Castelgrande de Bellinzone.
Ouverte tous les jours de 10 à 18h. Entrée libre
Elle comprend 400 pièces archéologiques provenant de fouilles effectuées dans les dix régions de l’arc alpin. Le matériel a été prêté par plusieurs musées suisses et européens.

– L’exposition a été mise sur pied en 2002 par la Communauté de travail des régions de l’arc alpin (ArgeAlp) en collaboration avec le Musée archéologique de Baden-Württemberg à Constance (D) et l’Office des biens culturels du canton du Tessin.

– Organisée à l’occasion des 30 ans d’ArgeAlp et de l’Année internationale de la montagne, l’exposition itinérante témoigne des échanges commerciaux et culturels entre les populations du nord et du sud de l’Europe, à partir du Mésolithique (9ème millénaire av. J-C.) à la fin de l’Antiquité (environ 7ème siècle apr. J-C.)

– Elle a été présentée à Constance (D), Innsbruck (A) et Trente (I). En Suisse, après Bellinzone, elle fera halte à Saint-Gall en 2006.

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